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Titre original: «The Motherhood Penalty in the United Kingdom: An Unconditional Quantile Regression Analysis» (International Labour Review, vol. 164 no 3). Traduit par Isabelle Croix. Également disponible en espagnol (Revista Internacional del Trabajo, vol. 144, no 3).
1. Introduction
De nombreuses études empiriques portant sur les sociétés industrialisées montrent que la maternité est associée à une réduction du salaire horaire féminin et que les femmes qui ont des enfants perçoivent une rémunération plus faible que celles qui n’en ont pas. Cet écart salarial est une composante de la pénalité liée à maternité, qui recouvre également les préjugés concernant les compétences professionnelles des femmes qui ont des enfants. Il y a peu de temps encore, la plupart des travaux consacrés à cette question reposaient sur des modèles qui visaient à estimer les conséquences de la maternité sur le salaire des mères en moyenne. Ces études révèlent généralement que l’écart salarial diminue depuis une trentaine d’années, mais que la situation est très disparate selon les pays (Pal et Waldfogel, 2016). Toutefois, récemment, l’utilisation de méthodes quantiles a permis de nuancer quelque peu ce tableau et de montrer que la naissance d’un enfant a un impact différent selon le niveau de l’échelle de revenu auquel se situe la mère (Budig et Hodges, 2010 et 2014; Cooke, 2014; Killewald et Bearak, 2014; England et al., 2016; Glauber, 2018; Rios-Avila et Maroto, 2022; Kwak, 2022). Ces variations ne présentent pas seulement un intérêt académique: elles pourraient aussi affaiblir l’efficacité des politiques visant à réduire la pénalité liée à la maternité, parce qu’une «mesure qui se traduit par une hausse du revenu à l’extrémité inférieure de la distribution est souvent plus appréciée qu’une intervention qui fait évoluer la médiane, même si l’impact moyen des deux interventions est le même» (Frölich et Melly, 2013, p. 346).
Dans le cas particulier du Royaume-Uni, la majorité des études consacrées à la pénalité liée à la maternité font appel à des modèles qui estiment des moyennes. Leurs auteurs constatent, à l’instar de ceux qui se sont penchés sur d’autre pays, que la pénalité moyenne s’amenuise au Royaume-Uni depuis les années 1990 (Waldfogel, 1995 et 1998; Waldfogel, Higuchi et Abe, 1999; Joshi, Paci et Waldfogel, 1999), mais qu’elle ne disparaît pas (Vagni et Breen, 2021; Jones, Cook et Connolly, 2023). On sait en revanche moins de choses sur sa variation le long de la distribution des salaires. Les quelques études consacrées au Royaume-Uni qui reposent sur des méthodes quantiles présentent d’importantes limites. Cooke (2014), par exemple, fait appel à un modèle de régression quantile inconditionnelle et parvient à des résultats plus nuancés dans le cas du Royaume-Uni, montrant par exemple que la naissance d’un enfant se traduit par un écart de salaire légèrement positif parmi les femmes situées à l’extrémité inférieure de la distribution. Toutefois, son étude exploite une seule vague de la Luxembourg Income Study (LIS), qui ne permet pas d’obtenir des données individuelles aussi détaillées que celles que nous utilisons ici, issues de l’étude longitudinale auprès des ménages administrée au Royaume-Uni (UK Household Longitudinal Study – UKHLS). Elle a en outre été réalisée il y a dix ans et, comme il est établi que la pénalité fluctue dans le temps (voir Glauber, 2018; Kwak, 2022), il est nécessaire de disposer de travaux récents pour appréhender l’évolution de la relation entre maternité et salaire. Cette actualisation de la recherche est d’autant plus importante que le système d’impôts et de prestations du Royaume-Uni a été réformé. Une récente analyse de Cooke, Hägglund et Icardi (2022) remédie en partie aux faiblesses que nous venons de souligner, mais elle ne porte que sur les salaires du secteur privé, excluant ainsi les près de 5 millions de femmes employées dans le secteur public (près d’un tiers des salariées travaillant dans le pays).
Dans cet article, nous entendons explorer plus avant ce sujet dans le contexte du Royaume-Uni en appliquant des méthodes de panel et une régression quantile inconditionnelle aux données issues des vagues une à dix (2009-2020) de l’enquête UKHLS. Nous apportons ainsi une importante contribution empirique et théorique au débat sur la pénalité à la maternité en affinant la compréhension des relations entre cette pénalité et la distribution des salaires. Empiriquement, nos résultats confirment qu’au Royaume-Uni, même si la pénalité a diminué, la naissance d’un enfant s’accompagne d’une diminution du revenu d’activité des femmes et que chaque naissance se traduit par une baisse supplémentaire. Corroborant les constatations se rapportant à d’autres pays, les résultats obtenus par régression quantile inconditionnelle montrent que la maternité a un impact variable d’un point à l’autre de la distribution et qu’elle pourrait même s’accompagner d’une hausse du revenu des femmes situées à l’extrémité supérieure (Glauber, 2018; Kwak, 2022). Plus précisément, comparativement aux modèles à effets fixes, la régression quantile inconditionnelle met en évidence une pénalité à la maternité plus élevée jusqu’à la médiane. Au-delà, cette pénalité diminue, jusqu’à disparaître au niveau du 75e quantile et à se transformer en prime pour les femmes les mieux rémunérées. De même, les modèles de régression quantile montrent que la pénalité est plus faible pour les femmes qui ont un niveau d’études plus élevé, ainsi qu’une ancienneté et une expérience professionnelles plus longues.
En plus d’analyser à quel niveau la pénalité à la maternité se fait le plus sentir et quelles femmes elle touche le plus, notre article apporte une contribution théorique. La régression quantile inconditionnelle est certes devenue la méthode de choix pour l’estimation des fluctuations de l’écart de salaire le long de l’échelle des revenus (England et al., 2016), mais elle n’a été utilisée que pour quelques pays, en particulier les États-Unis. Or, les idiosyncrasies des institutions nationales et des normes sociales influent de manière non négligeable sur la perte de salaire consécutive à l’arrivée d’un enfant. Dès lors, construire des explications théoriques robustes suppose de disposer d’éléments se rapportant à divers pays. Comme les femmes continuent d’assumer l’essentiel de l’éducation des enfants, la nature et l’ampleur de leur participation au marché du travail dépendent des régimes de protection sociale et des politiques familiales en place (Stier, Lewin-Epstein et Braun, 2001). Comme les États-Unis, le Royaume-Uni est doté d’un système de protection sociale libéral, qui n’offre qu’une protection résiduelle, cette logique étant censée favoriser l’autosuffisance par le travail. Cette apparente similitude dissimule cependant des différences de taille, à commencer par le fait qu’aux États-Unis l’accès aux soins de santé, au congé de maternité indemnisé et aux indemnités de maladie dépend davantage de l’employeur. De ce fait, et en raison d’autres singularités du système de protection sociale du Royaume-Uni, les trajectoires professionnelles des mères ne sont pas les mêmes dans les deux pays (Musick, Bea et Gonalons-Pons, 2020). À titre d’exemple, au Royaume-Uni, l’absence de solutions de garde d’enfant abordables se solde par une concentration des femmes dans des emplois à temps partiel dans des secteurs où les salaires sont relativement faibles.
Le reste de notre article est organisé comme suit. Dans la deuxième partie, nous présentons une revue de la littérature sur la pénalité à la maternité, mettant ainsi en lumière certaines des principales hypothèses avancées pour expliquer cette pénalité et sa variation le long de la distribution salariale. Dans la troisième partie, nous exposons notre méthodologie et justifions l’utilisation de la méthode de la régression quantile inconditionnelle. Nous présentons nos données et des statistiques descriptives dans la quatrième partie et commentons nos résultats dans la cinquième, en nous attardant plus particulièrement sur l’éclairage apporté par la régression quantile inconditionnelle. Dans la sixième partie, nous synthétisons nos constatations et présentons brièvement certains des enseignements qui peuvent en être tirés pour l’élaboration des politiques publiques.
2. Revue de la littérature
2.1. Capital humain, normes culturelles et institutions du marché du travail
Les travaux existants montrent de manière constante que les femmes qui ont des enfants perçoivent un salaire horaire plus bas que celles qui n’en ont pas. Prenant en compte des caractéristiques individuelles, ils révèlent que cet écart salarial ne peut pas être uniquement imputé à un phénomène de sélection, selon lequel les femmes prédisposées à percevoir des salaires relativement bas seraient plus nombreuses à avoir des enfants (Gangl et Ziefle, 2009; Budig et Hodges, 2010; England et al., 2016). Nous présentons ici certaines des thèses générales qui sont avancées pour expliquer la pénalité à la maternité, avant de nous intéresser plus spécifiquement aux travaux qui font appel à des méthodes quantiles pour estimer sa variation en fonction de la position sur l’échelle des revenus.
Les principales explications mises en avant font appel à la théorie du capital humain (Becker, 1985). Elles reposent sur l’idée que cette pénalité salariale est due à des écarts de productivité mesurable imputables à des différences de capital humain entre les femmes qui ont des enfants et les autres. Les interruptions de carrière et la diminution du temps de travail induites par la maternité sont associées à des niveaux plus bas d’études, d’ancienneté et d’expérience, provoquant ainsi une baisse de la productivité des mères et, par conséquent, de leur rémunération (Anderson, Binder et Krause, 2003; Gangl et Ziefle, 2009; Glauber, 2012; England et al., 2016). Ce mécanisme est également mis en lumière par les études montrant que les femmes qui adoptent un enfant subissent une perte de salaire plus faible que celles qui mettent au monde un enfant biologique, peut-être parce que la grossesse et la prise en charge de nourrissons entraînent des interruptions de carrière plus longues (Rosenbaum, 2021). Comme les femmes assument l’essentiel de l’éducation des enfants, les écarts de capital humain entre les mères et les femmes sans enfants sont accentués. La présence d’enfants pourrait freiner leur évolution de carrière en entravant leur mobilité ou en les contraignant à opter durablement pour des emplois «conciliables avec une vie de famille», mais moins prometteurs sur le plan professionnel et moins rémunérés (Gangl et Ziefle, 2009; Abendroth, Huffman et Treas, 2014). L’argument voulant que les femmes qui choisissent d’attendre d’avoir progressé professionnellement pour avoir des enfants seraient moins pénalisées (Herr, 2016) n’est pas validé de manière probante, certaines études constatant que ce report de la maternité a peu d’effet permanent sur la rémunération féminine (Rosenbaum, 2020) et pourrait même accroître l’écart de salaire entre les femmes qui ont des enfants et les autres (Viitanen, 2014).
Autre dimension de la théorie du capital humain: l’hypothèse de l’effort de travail formulée par Becker (1985), selon laquelle les femmes qui ont des enfants sont moins productives au travail, parce que leurs obligations familiales absorbent leur énergie. Cette hypothèse est confortée par les études montrant que l’écart salarial est plus grand pour les femmes qui exercent une profession exigeante (Azmat et Ferrer, 2017) ou qui ont un plus grand nombre d’enfants (Viitanen, 2014). L’idée que les mères seraient des professionnelles moins motivées, moins compétentes ou moins engagées dans leur travail est largement répandue. Ces stéréotypes imprègnent la culture des organisations, dont les pratiques en matière de recrutement, de rémunération et de promotion sont systématiquement discriminatoires à l’égard des femmes qui ont des enfants (Correll, Benard et Paik, 2007; Glass et Fodor, 2018).
D’après la recherche, les différences de capital humain expliqueraient entre un quart et les deux tiers de l’écart salarial que subissent les mères, ce qui montre que la théorie du capital humain est un instrument puissant pour rendre compte, fût-ce incomplètement, de la pénalité à la maternité. Comme le capital humain n’a pas la même importance selon les pays (voir, par exemple, Gangl et Ziefle, 2009), les secteurs d’activité (Glass et Fodor, 2018; Halrynjo et Mangset, 2022) et les entreprises (Casarico et Lattanzio, 2023), les chercheurs ont commencé à s’intéresser aux contextes culturels et institutionnels dans lesquels s’inscrit cette pénalité.
Les explications culturelles sont centrées sur l’influence que les normes et croyances relatives au rôle des hommes et des femmes exercent sur la participation au marché du travail. Selon cette approche, la signification de la maternité et les comportements associés à ce rôle social sont le reflet des conventions et attentes existant dans le milieu dans lequel vivent les mères. Ces conventions sont marquées par des préjugés qui attribuent aux femmes la place principale dans la prise en charge de la famille et des tâches domestiques. À l’échelon de la société, des a priori culturels sont à l’origine d’effets pervers de politiques en faveur d’une meilleure conciliation de la vie de famille avec le travail, qui poursuivaient initialement un objectif louable. À titre d’illustration, Halrynjo et Lyng (2009) montrent que le congé parental généreux mis en place par la Suède a conduit des femmes à mettre fin à leur carrière, parce qu’il a renforcé l’idée reçue selon laquelle les femmes ne sont pas irremplaçables dans leur emploi. À l’échelon sectoriel ou professionnel, il a aussi été démontré que le fait que les responsabilités maternelles soient perçues comme incompatibles avec la vision du salarié idéal pèse sur les perspectives professionnelles des mères qui travaillent (Glass et Fodor, 2018).
Ces préjugés culturels influent sur les institutions du marché du travail, lesquelles ont un impact sur la pénalité à la maternité. Les pays industrialisés sont désormais dotés de politiques comprenant des mécanismes de protection de l’emploi, des solutions de garde subventionnées, des congés parentaux indemnisés et des aides financières aux familles (Olivetti et Petrongolo, 2017). En limitant la durée des interruptions de carrière, ces dispositifs réduisent la perte de capital humain liée à la maternité et, par conséquent, la pénalité salariale due à la naissance d’un enfant (Budig, Misra et Boeckmann, 2016; Waldfogel, 1998). Ces politiques sont cependant extrêmement différentes d’un pays à l’autre, ce qui signifie qu’elles peuvent avoir des conséquences très diverses et parfois des effets pervers (Mari et Cutuli, 2021). Ainsi, les mesures qui ont pour but de compléter le revenu retardent le retour au travail des femmes, si bien que les pertes de capital humain supplémentaires atténuent leur impact positif. Qui plus est, leur effet n’est pas le même pour toutes les femmes (Hook et Paek, 2020), parce qu’elles sont souvent conçues pour celles qui rencontrent les plus grosses difficultés. Il est donc primordial, pour la formulation des politiques publiques, d’analyser les effets hétérogènes de la maternité aux différents niveaux de l’échelle des salaires et de pronostiquer les effets des mesures destinées à atténuer ces disparités.
2.2. Pénalité liée à la maternité aux différents niveaux de la distribution salariale
Pour examiner l’impact de la maternité à différents niveaux de la distribution du revenu d’activité, les chercheurs font appel à la régression quantile. Ainsi, Budig et Hodges (2010) utilisent la régression quantile conditionnelle et constatent que les travailleuses situées au bas de la distribution sont plus lourdement pénalisées que les autres par la naissance d’un enfant. De surcroît, les mécanismes à l’origine de cette pénalité varient selon le niveau de l’échelle: l’hypothèse de l’effort de travail est la principale explication de l’écart salarial observé à l’extrémité inférieure, tandis que les pertes de capital humain sont le principal déterminant à l’extrémité supérieure. La régression quantile conditionnelle présente cependant un inconvénient majeur, à savoir qu’elle ne permet d’estimer le lien entre maternité et salaire qu’à différents niveaux de la distribution conditionnelle, pour les femmes dont les salaires varient dans un sens ou dans l’autre en fonction des covariables du modèle (Killewald et Bearak, 2014). Pour tenter de surmonter cet écueil, les chercheurs ont fait appel à la régression quantile inconditionnelle. Leurs travaux montrent en général que la pénalité évolue le long de la distribution en dessinant une courbe en forme de J dont l’amplitude varie d’une étude à l’autre. Ils constatent principalement qu’il existe un écart salarial dans la partie inférieure de la distribution et que cet écart augmente jusqu’à la médiane, avant de diminuer dans la moitié supérieure pour disparaître totalement dans le décile le plus élevé (Budig et Hodges, 2014; Killewald et Bearak, 2014), voire se transformer en prime à la maternité (Glauber, 2018; Kwak, 2022). En somme, la diminution générale de l’écart salarial subi par les mères mise en évidence par les modèles linéaires s’explique principalement par la rémunération des femmes situées au sommet de la distribution.
Cette trajectoire – diminution progressive de la pénalité et transformation en prime – s’explique en partie par un phénomène de sélection positive des femmes les plus aisées dans la parentalité, tandis que dans la moitié inférieure de la distribution la proportion de mères diminue en conséquence (Kwak, 2022). Des chercheurs s’appuient en outre sur la théorie du capital humain pour expliquer cette prime. England et al. (2016) avaient postulé que les femmes les mieux rémunérées et les plus qualifiées étaient plus fortement pénalisées que les autres par l’arrivée d’un enfant, parce que toute absence du travail, aussi courte soit-elle, était très coûteuse, mais des études plus récentes partent du principe qu’un salaire élevé donne aux femmes les moyens d’atténuer la perte de productivité censée résulter de la maternité. Les mères qui perçoivent un salaire élevé peuvent déléguer une partie de leurs obligations domestiques, y compris de l’éducation des enfants, et limiter ainsi l’incidence de la vie familiale sur leur productivité (Budig et Hodges, 2010; Cooke, 2014; Kwak, 2022; Rios-Avila et Maroto, 2022). À cela s’ajoute que les professions dans lesquelles les salaires sont élevés offrent souvent au personnel flexibilité et autonomie, d’où la possibilité pour les femmes d’opter pour des modalités de travail souples grâce auxquelles elles peuvent s’occuper de leurs enfants sans que leur productivité en pâtisse (Glauber, 2018; Fuller et Hirsh, 2019).
Dans le contexte des États-Unis, des arguments liés à la productivité sont également avancés pour expliquer l’hétérogénéité de la pénalité à la maternité. Si les auteurs observent une configuration similaire – à savoir des pénalités plus faibles voire des primes dans les quantiles supérieurs de la distribution –, ils constatent aussi que l’écart salarial se creuse à mesure que le nombre d’enfants augmente (Cooke, 2014; Glauber, 2018; Kwak, 2022). Ce constat va dans le sens de la thèse avancée de longue date selon laquelle avoir une famille nombreuse a un impact négatif sur les perspectives professionnelles des femmes (Yu et Hara, 2021), même si des salaires élevés semblent atténuer un peu ce phénomène. De même, depuis les années 1990, aux États-Unis, la maternité pénalise moins les femmes mariées que les mères isolées. Ainsi, depuis cette période, les femmes mariées du décile supérieur ont bénéficié d’une prime à la maternité qui n’est apparue parmi les mères isolées qu’en 2015, au moment même où la prime était observée à partir du 70e quantile parmi les femmes mariées (Kwak, 2022). Il se peut aussi qu’un salaire relativement élevé atténue l’impact de la maternité sur la productivité. Dans les cas où la rémunération de la mère est supérieure à celle de son conjoint, il est aussi possible que le couple optimise son revenu, la femme devenant le principal apporteur de revenu tandis que le conjoint assume une plus grande partie des obligations familiales et domestiques.
Les travaux qui se rapportent à d’autres pays que les États-Unis mettent en lumière une même hétérogénéité de la pénalité, mais révèlent le poids plus grand des facteurs institutionnels. Cooke (2014) montre qu’en Australie et au Royaume-Uni la pénalité la plus lourde est observée entre le 25e quantile et le quantile médian, tandis qu’une diminution est observée dans la moitié supérieure de la distribution. Les écarts sont plus petits que ceux constatés aux États-Unis et, surtout, la régression quantile inconditionnelle révèle l’existence d’une prime à la maternité à l’extrémité inférieure de l’échelle des salaires. Cooke, Hägglund et Icardi (2022) s’appuient sur des données relatives au secteur privé pour comparer la situation des mères en Allemagne, en Finlande et au Royaume-Uni. Elles constatent qu’au Royaume-Uni la maternité pénalise les femmes quelle que soit leur position dans la distribution, mais que cet impact salarial est plus fort pour les femmes les mieux rémunérées. En Finlande, c’est pour les mères situées dans les quantiles inférieurs que la pénalité est la plus lourde, celle-ci diminuant jusqu’à disparaître au niveau du 60e quantile et se transformer en prime au-delà. En Allemagne, seules les femmes situées dans le quantile médian et dans le 80e quantile sont pénalisées de manière significative par l’arrivée d’un enfant. Ce tableau contrasté s’explique en partie par des facteurs institutionnels, en particulier par les caractéristiques des politiques familiales – leur plus ou moins grande générosité, entre autres –, qui influent sur l’ampleur et la nature de l’activité des mères (Gangl et Ziefle, 2009; Budig, Misra et Boeckmann, 2016).
3. Méthodologie
3.1. Comparaison entre la régression multivariée par les MCO et la régression quantile
Les méthodes de panel et les modèles reposant sur une régression multivariée par les moindres carrés ordinaires (MCO) sont amplement utilisés dans les travaux empiriques conduits en économie du travail. Ces modèles sont adaptés lorsque les données existent sous une forme appropriée et présentent les «bonnes propriétés» en ce qui concerne les hypothèses de normalité des erreurs. Ils se focalisent en général sur la moyenne ou sur une autre mesure de la tendance centrale de la distribution de la variable examinée. Dès lors que plusieurs hypothèses restrictives liées aux distributions gaussiennes se vérifient, les modèles de régression par les MCO peuvent être correctement estimés, et il est possible d’effectuer des inférences au sujet de la distribution conditionnelle de la variable dépendante. À l’inverse, les méthodes qui reposent sur la régression quantile permettent de déterminer un ensemble de droites de régression, dont chacune correspond à un quantile différent de la distribution conditionnelle de la variable dépendante.
Suivant Koenker et Bassett (1978), nous supposons que {yi:i = 1, …, T} représente un échantillon aléatoire de la variable aléatoire Y, de fonction de répartition F. Koenker et Bassett (1978) et Koenker et Hallock (2001) montrent que le qe quantile de l’échantillon (0 < q < 1) peut être défini comme la solution du problème d’optimisation ci-après, impliquant, de la même manière concernant β, de résoudre un problème de minimisation:
(1)
Dans une régression linéaire classique, pour régresser Y sur un vecteur de covariables X, on calcule les paramètres β en minimisant la somme des résidus quadratiques. De la même manière, il est possible d’estimer le paramètre βq lié à la fonction quantile conditionnelle pour le qe quantile en minimisant la somme des valeurs absolues des résidus pondérées de manière asymétrique (Koenker et Hallock, 2001). Cette estimation s’écrit:
(2)
où ρq(.) est la fonction test, définie par ρq(ɛ) = ɛ ⋅ (q – I(ɛ < 0)) pour tout quantile q ∈ (0, 1). Les coefficients estimés, βq, peuvent alors être interprétés comme des effets partiels ou marginaux, selon que la variable explicative correspondante est continue ou catégorielle. À partir de la fonction objective précitée, nous pouvons généraliser au modèle linéaire; {xi:i = 1, …, T} représente un rang de vecteurs comprenant K paramètres et {yi:i = 1, …, T} est un échantillon aléatoire résultant du processus de régression , dont la fonction de répartition est notée F. Dans ce cadre, l’estimateur de la régression quantile pour le qe quantile minimise βq (0 < q < 1) comme suit:
(3)
3.2. Régression quantile inconditionnelle
La régression quantile inconditionnelle permet d’évaluer l’impact d’une variation de la distribution des covariables ou des variables explicatives sur les quantiles de la distribution inconditionnelle (marginale) d’une variable de résultat. Elle suppose de calculer une fonction d’influence recentrée (FIR), qui est ensuite régressée sur les variables explicatives. Cette approche est préférable à d’autres méthodes, lourdes sur le plan des calculs et nécessitant des spécifications non paramétriques. Elle constitue une solution aux situations dans lesquelles les données manquantes posent des problèmes insurmontables.
Suivant Firpo, Fortin et Lemieux (2009), nous considérons que la régression quantile inconditionnelle consiste à ajuster un modèle en fonction d’un ensemble de covariables, noté X, sur une FIR spécifique au quantile d’intérêt. Couramment employée en statistique robuste (Hampel et al., 1986), la FIR correspond à la somme des fonctions de valeur et d’influence. La fonction d’influence (FI) est la dérivée première d’un estimateur donné et mesure l’amplitude de la variation de la distribution résultant de l’introduction d’une observation supplémentaire (Hampel, 1974). Elle permet d’évaluer l’impact («l’influence») de l’ajout ou du retrait d’une observation sur la valeur d’une statistique, ν(F), sans qu’il soit nécessaire de la recalculer. Elle peut s’écrire comme suit:
(4)
où F représente la fonction de répartition cumulative de Y, et δy une distribution qui donne du poids uniquement à y (Borah et Basu, 2013). On calcule ensuite la FIR en ajoutant la statistique à sa fonction d’influence:
(5)
La FIR a ceci de particulièrement intéressant que son espérance est égale à celle de ν(F). En conséquence, si notre statistique d’intérêt est la moyenne, la fonction d’influence (FI) correspond tout simplement au résidu calculé pour cette valeur de Y, tandis que la FIR est simplement la valeur de Y:
(6)
(7)
Les coefficients issus de la régression quantile inconditionnelle estimés au moyen de la FIR peuvent donc être expliqués (et interprétés) de la même manière que ceux d’une régression par les MCO et sont applicables à n’importe quel contexte impliquant une statistique d’intérêt quelconque. Ici, notre principal objectif est de déterminer comment la maternité (fi) et un ensemble de covariables pertinentes (Xi) influent sur le salaire horaire (Yi) de l’individu i en utilisant les données de l’enquête UKHLS. Dans notre article, Yi correspond à la variable relative au salaire horaire (salh). En supposant que nos statistiques d’intérêt se trouvent dans le τe quantile, pour ce quantile τ (τ ∈ (0, 1)) la FIR spécifique à un quantile donné q, notée (φ (Y, qτ, FY)), s’écrit:
(8)
où Yi représente la valeur de la variable dépendante, et qτ la valeur du τe quantile de la distribution de la variable de résultat observée; χ(Yi ≤ qτ) est une fonction indicatrice qui prend la valeur 1 quand la valeur observée est inférieure au quantile d’intérêt correspondant (qτ); comme FY est la fonction de répartition cumulative de Y, la distribution marginale est désignée par fY, qui prend la valeur fY(qτ) en qτ. Cette expression n’inclut aucune covariable faisant de la régression quantile inconditionnelle une méthode de choix, supérieure aux méthodes classiques de régression quantile conditionnelle (Koenker et Bassett, 1978). Nous obtenons donc le résultat suivant en ajoutant la statistique à sa fonction d’influence:
(9)
Trois techniques peuvent être utilisées pour estimer une régression quantile inconditionnelle (Firpo, Fortin et Lemieux, 2009): les MCO (FIR-MCO), une régression logistique (FIR-logit) et une régression non paramétrique (FIR-non paramétrique). La première technique est semblable à une régression par les MCO classique et, dans les situations où notre statistique d’intérêt est la moyenne, les estimations obtenues par la méthode FIR-MCO sont exactement identiques à celles issues d’une régression par les MCO. Le modèle de régression quantile peut être estimé au moyen de la fonction φ (Yi, qτ, FY) évaluée pour un individu i compte tenu de l’ensemble de variables explicatives associé Xi. Si des effets fixes (γj) doivent également être inclus, on obtient la régression de second ordre suivante (Borgen, 2016):
(10)
Dans ce contexte, nous nous intéressons principalement au vecteur de coefficients β et aux ordonnées à l’origine correspondantes α. Nous supposons que les termes d’erreur uj sont indépendants, identiquement distribués, de moyenne nulle et de variance constante au sein d’une région j. Nous pouvons estimer le modèle en utilisant des erreurs types robustes groupées, particulièrement appropriées lorsque l’on suppose qu’il existe une hétérogénéité non observée entre régions. L’utilisation d’une procédure en deux étapes comme celle décrite ici facilite la réalisation ultérieure de tests diagnostiques sur les coefficients obtenus. Cette approche nous permet d’estimer de multiples modèles à partir du même ensemble de données en introduisant différentes variables explicatives. Pour tester l’égalité des paramètres entre deux quantiles d’intérêt (τ1 et τ2 par exemple), nous testons l’hypothèse selon laquelle les coefficients βτ sont identiques dans une régression de φ(Yi, qτ,1, FY) et φ(Yi, qτ,2, FY) sur les covariables X de chacun des deux quantiles. La distribution étant la même, les résultats de premier ordre ne changent pas et il est possible d’effectuer ce test en utilisant des régressions a priori indépendantes en les centrant de manière à tenir compte des effets fixes.
La régression quantile conditionnelle proposée par Koenker et Bassett (1978) permet d’évaluer les effets différentiels de chacune des variables explicatives tout au long de la distribution de la variable de résultat. Il est ainsi possible d’apprécier l’impact d’une variable explicative sur un quantile particulier de la distribution de la variable de résultat ou variable expliquée, conditionnellement à des valeurs particulières des autres variables explicatives. Cette approche présente cependant des limites que la régression quantile inconditionnelle aide à surmonter. Premièrement, la régression quantile conditionnelle suppose d’évaluer l’incidence d’une variable explicative sur un quantile de la distribution de la variable dépendante, conditionnellement à des valeurs particulières des autres variables explicatives. Ses résultats ne sont donc pas faciles à généraliser et ne sont pas directement applicables à un contexte donné. La régression quantile inconditionnelle permet de surmonter cet écueil en marginalisant l’impact des autres variables explicatives sur l’ensemble de la distribution, si bien que les résultats et l’analyse sont plus généralisables. Deuxièmement, elle fournit une évaluation des effets marginaux sur l’ensemble de la distribution des autres covariables dans un modèle donné, et aboutit ainsi à des résultats plus simples et plus faciles à interpréter du point de vue des politiques publiques. Troisièmement, elle permet d’estimer des effets partiels classiques, nommés dans ce contexte effets partiels sur les quantiles inconditionnels. Enfin, alors que la régression quantile conditionnelle met en lumière des effets au sein de chaque groupe, sa variante inconditionnelle met en lumière l’effet total (la somme des effets entre groupes et au sein de chaque groupe), ce qui en fait une méthode supérieure pour analyser les effets partiels sur les quantiles inconditionnels, particulièrement pertinents pour l’analyse des politiques publiques.
Pour les besoins de notre analyse empirique, nous faisons d’abord appel à des méthodes de panel avant de recourir à la régression quantile inconditionnelle. Dans la lignée des travaux antérieurs, nous retenons le logarithme du salaire horaire comme variable dépendante dans toutes les spécifications. La principale variable indépendante (Enfants) représente la maternité et correspond au nombre d’enfants de moins de 16 ans vivant dans le ménage. Le tableau 1 contient les autres variables indépendantes ainsi qu’un ensemble de termes d’interaction. Enfin, nous incluons également des variables fictives temporelles dans tous les modèles pour tenir compte des effets temporels, par exemple des politiques publiques dont d’autres variables indépendantes ne rendent pas compte. La forme algébrique de notre modèle est la suivante:
(11)
où γ est notre principal coefficient d’intérêt, Zi,t un vecteur contenant l’ensemble des variables de contrôle pour chaque paire individu (i)-vague(t) et ∈i,t le terme d’erreur.
Ensemble de données
Partie A. Variables telles qu’elles figurent dans l’enquête UKHLS | |
Salaire horaire (hpay) | Salaire horaire nominal, obtenu en rapportant le salaire mensuel brut au nombre mensuel d’heures travaillées. |
Âge (dvage) | Âge de la personne interrogée à son dernier anniversaire. |
Enfants (nchild_dv) | Nombre d’enfants de moins de 16 ans vivant dans le ménage. Comprend à la fois les enfants biologiques, les enfants adoptifs et les enfants nés d’une autre union d’un membre du ménage. |
Temps de travail (jbhrs) | Nombre habituel d’heures de travail par semaine. |
Emploi actuel (jbstat) | Situation professionnelle actuelle. |
Région (gor_dv) | Région administrative, d’après le code postal du ménage. |
Situation matrimoniale (mastat_dv) | Situation matrimoniale. |
Maternité (matleave) | Variable binaire égale à 1 si la répondante est en congé de maternité au moment de l’enquête. |
Diplôme le plus élevé (hiqual_dv) | Diplôme le plus élevé au moment de l’enquête. |
Activité économique (jbnssec8_dv) | Huit catégories de la National Statistics Socio-economic Classification (classification nationale des activités socio-économiques). |
Partie B. Variables issues du recodage | |
Log du salaire horaire (ln_salh) | Logarithme naturel du salaire horaire. |
Absence d’enfants | Variable fictive prenant la valeur 0 si aucun enfant de moins de 16 ans n’a été présent dans le ménage à quelque moment que ce soit. Cette variable est utilisée comme un terme d’interaction dans toutes les estimations. |
EmploiAct | Variable obtenue en divisant la variable «emploi actuel» (jbstat) en cinq catégories: activité indépendante, emploi rémunéré, sans emploi salarié, autre, hors de la population active. |
SituationMatrimoniale | Variable obtenue en divisant la variable «mastat_dv» en quatre catégories: célibataire/isolée, mariée/en couple, divorcée/veuve. |
TypeEmploi | Variable obtenue en divisant «jbnssec8_dv» en huit catégories: emploi comportant des responsabilités élevées, intermédiaire, emploi comportant peu de responsabilités. |
Niveau d’études | Variable obtenue en divisant la variable «hiqual_dv» en trois catégories: diplôme/diplôme de niveau intermédiaire, autre/absence de diplôme. |
Source: Enquête UKHLS et réalisation des auteurs.
4. Données et statistiques descriptives
Pour les besoins de notre analyse empirique, nous utilisons des données issues de dix vagues de l’enquête UKHLS se rapportant à la période 2009-2020. Chaque vague annuelle de cette enquête permet de recueillir des données sur les caractéristiques socio-économiques des ménages vivant au Royaume-Uni et de leurs membres. Notre échantillon comprend des femmes âgées de 16 à 55 ans qui appartenaient à un ménage et ont été interrogées lors de chacune des vagues. Autrement dit, celles qui sont entrées dans un ménage interrogé ou en sont sorties au cours de la période étudiée sont exclues. Cette procédure nous permet d’obtenir un ensemble de données de panel très équilibré, comptant 22 311 observations individu-vague. La partie A du tableau 1 décrit les variables telles que définies dans l’UKHLS. Nous avons recodé la majorité des variables catégorielles pour réduire le nombre de catégories, certaines d’entre elles ne contenant qu’un petit nombre d’observations. La partie B du même tableau présente les variables après recodage. Pour construire nos modèles, nous avons retenu des variables des parties A et B pour chaque individu et chaque année dès lors que des données sur le salaire mensuel étaient connues.
Notre variable dépendante est le logarithme du salaire horaire (ln_salh), obtenu en rapportant la rémunération mensuelle brute au nombre mensuel d’heures travaillées. La principale variable indépendante est le nombre d’enfants dans le ménage (Enfants). Nous suivons les conventions habituelles de la recherche et introduisons les variables de contrôle suivantes: âge, âge au carré, nombre d’heures travaillées par semaine, situation professionnelle actuelle, région de résidence, situation matrimoniale, niveau d’études et type d’activité économique. Nous incluons ainsi des variables liées à des politiques familiales susceptibles d’influer sur les écarts de salaire.
Le tableau 2 présente les statistiques descriptives concernant l’échantillon total et deux sous-échantillons, respectivement composés des femmes qui ont des enfants et de celles qui n’en ont pas. Le salaire horaire moyen est le même dans tous les groupes, ce qui traduit une homogénéité globale de la rémunération. Les valeurs maximale et minimale témoignent d’une variabilité au sein de chaque groupe, et la dispersion autour de la moyenne est plus forte parmi les femmes qui ont des enfants. Au sein du groupe des mères, le nombre d’enfants s’établit à 1,65 en moyenne et l’écart type est de 0,70, ce qui signifie que la taille des familles est variable. En moyenne, le temps de travail des femmes qui ont des enfants est inférieur de six heures et demie à celui des femmes sans enfants, un écart qui corrobore l’idée selon laquelle la présence d’enfants est associée à un temps de travail plus faible.
Statistiques descriptives
Moyenne | Écart type | Min. | Max. | Observations | ||
Femmes sans enfants | Salaire horaire (log) | 2,57 | 0,51 | –2,35 | 7,98 | 12 242 |
Âge | 43,40 | 10,25 | 16,00 | 55,00 | 12 242 | |
Nombre d’enfants | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 12 242 | |
Temps de travail | 33,01 | 9,31 | 0,10 | 97,90 | 12 242 | |
Femmes avec enfants | Salaire horaire (log) | 2,57 | 0,56 | –4,80 | 9,02 | 10 069 |
Âge | 40,43 | 6,55 | 20,00 | 55,00 | 10 069 | |
Nombre d’enfants | 1,65 | 0,70 | 1,00 | 6,00 | 10 069 | |
Temps de travail | 26,47 | 10,04 | 0,10 | 80,00 | 10 069 | |
Échantillon total | Salaire horaire (log) | 2,57 | 0,54 | –4,80 | 9,02 | 22 311 |
Âge | 42,06 | 8,90 | 16,00 | 55,00 | 22 311 | |
Nombre d’enfants | 0,75 | 0,95 | 0,00 | 6,00 | 22 311 | |
Temps de travail | 30,06 | 10,18 | 0,10 | 97,90 | 22 311 |
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de l’enquête UKHLS.
Pour compléter notre première vue d’ensemble et tenir compte des différences de volatilité, nous effectuons un simple test t comparant le logarithme du salaire horaire des mères et celui des femmes sans enfants. Nous obtenons une différence négative et très significative de –1,67 pour cent pour l’échantillon complet. Globalement, le salaire horaire moyen des femmes qui n’ont pas d’enfants est supérieur de près de 1 livre sterling à celui des mères (e–0,0167 = 0,98).
Le tableau 3 présente des statistiques descriptives pour les femmes qui ont des enfants et celles qui n’en ont pas, par quintile de la distribution du logarithme du salaire. Il met en lumière les différences de salaire, d’âge, de nombre d’enfants et de temps de travail. Dans les deux groupes, le salaire augmente à mesure que l’on progresse vers le haut de la distribution du revenu. Les femmes qui n’ont pas d’enfants sont globalement plus âgées dans tous les quintiles, en particulier dans le quintile supérieur, ce qui pourrait être le reflet d’une différence de parcours professionnel. Dans tous les quintiles, les mères accomplissent un nombre hebdomadaire moyen d’heures de travail plus faible que les femmes qui n’ont pas d’enfants, peut-être à cause de leurs obligations familiales. Dans le groupe des mères, le nombre moyen d’enfants par femme est stable quel que soit le quintile, compris entre 1,6 et 1,7. En somme, le tableau confirme qu’il existe des disparités, en particulier concernant l’âge et le temps de travail, entre les mères et les femmes sans enfants, et que ces écarts sont plus grands à l’extrémité supérieure de la distribution du revenu.
Statistiques descriptives par quintile de la distribution du logarithme du salaire
Moyenne | Écart type | Min. | Max. | Observations | |||
Quintile 1 | Femmes sans enfants | Salaire horaire (log) | 1,91 | 0,28 | –2,35 | 2,12 | 2 328 |
Âge | 41,78 | 11,96 | 16,00 | 55,00 | 2 328 | ||
Nombre d’enfants | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 2 328 | ||
Temps de travail | 29,51 | 11,99 | 2,00 | 97,90 | 2 328 | ||
Femmes avec enfants | Salaire horaire (log) | 1,90 | 0,33 | –4,80 | 2,12 | 2 166 | |
Âge | 39,37 | 7,22 | 20,00 | 55,00 | 2 166 | ||
Nombre d’enfants | 1,69 | 0,75 | 1,00 | 6,00 | 2 166 | ||
Temps de travail | 22,00 | 10,40 | 2,00 | 80,00 | 2 166 | ||
Échantillon total | Salaire horaire (log) | 1,90 | 0,30 | –4,80 | 2,12 | 4 494 | |
Âge | 40,62 | 10,03 | 16,00 | 55,00 | 4 494 | ||
Nombre d’enfants | 0,82 | 0,99 | 0,00 | 6,00 | 4 494 | ||
Temps de travail | 25,89 | 11,86 | 2,00 | 97,90 | 4 494 | ||
Quintile 2 | Femmes sans enfants | Salaire horaire (log) | 2,26 | 0,08 | 2,12 | 2,38 | 2 455 |
Âge | 43,12 | 10,72 | 18,00 | 55,00 | 2 455 | ||
Nombre d’enfants | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 2 455 | ||
Temps de travail | 32,02 | 9,11 | 3,00 | 85,00 | 2 455 | ||
Femmes avec enfants | Salaire horaire (log) | 2,26 | 0,08 | 2,12 | 2,38 | 1 976 | |
Âge | 40,26 | 6,80 | 21,00 | 55,00 | 1 976 | ||
Nombre d’enfants | 1,65 | 0,74 | 1,00 | 6,00 | 1 976 | ||
Temps de travail | 25,36 | 9,28 | 2,00 | 60,00 | 1 976 | ||
Échantillon total | Salaire horaire (log) | 2,26 | 0,08 | 2,12 | 2,38 | 4 431 | |
Âge | 41,84 | 9,29 | 18,00 | 55,00 | 4 431 | ||
Nombre d’enfants | 0,73 | 0,96 | 0,00 | 6,00 | 4 431 | ||
Temps de travail | 29,05 | 9,76 | 2,00 | 85,00 | 4 431 | ||
Quintile 3 | Femmes sans enfants | Salaire horaire (log) | 2,53 | 0,08 | 2,38 | 2,68 | 2 600 |
Âge | 42,75 | 10,37 | 18,00 | 55,00 | 2 600 | ||
Nombre d’enfants | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 2 600 | ||
Temps de travail | 34,04 | 8,08 | 3,00 | 80,00 | 2 600 | ||
Femmes avec enfants | Salaire horaire (log) | 2,54 | 0,08 | 2,38 | 2,68 | 1 862 | |
Âge | 39,99 | 6,41 | 24,00 | 55,00 | 1 862 | ||
Nombre d’enfants | 1,64 | 0,71 | 1,00 | 5,00 | 1 862 | ||
Temps de travail | 27,43 | 9,15 | 2,00 | 55,00 | 1 862 | ||
Échantillon total | Salaire horaire (log) | 2,53 | 0,08 | 2,38 | 2,68 | 4 462 | |
Âge | 41,60 | 9,03 | 18,00 | 55,00 | 4 462 | ||
Nombre d’enfants | 0,68 | 0,93 | 0,00 | 5,00 | 4 462 | ||
Temps de travail | 31,28 | 9,14 | 2,00 | 80,00 | 4 462 | ||
Quintile 4 | Femmes sans enfants | Salaire horaire (log) | 2,83 | 0,09 | 2,68 | 3,01 | 2 523 |
Âge | 43,68 | 9,48 | 19,00 | 55,00 | 2 523 | ||
Nombre d’enfants | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 2 523 | ||
Temps de travail | 34,99 | 7,39 | 4,00 | 70,00 | 2 523 | ||
Femmes avec enfants | Salaire horaire (log) | 2,84 | 0,09 | 2,68 | 3,01 | 1 939 | |
Âge | 40,57 | 6,23 | 24,00 | 55,00 | 1 939 | ||
Nombre d’enfants | 1,59 | 0,65 | 1,00 | 5,00 | 1 939 | ||
Temps de travail | 28,78 | 9,34 | 2,00 | 60,00 | 1 939 | ||
Échantillon total | Salaire horaire (log) | 2,84 | 0,09 | 2,68 | 3,01 | 4 462 | |
Âge | 42,33 | 8,37 | 19,00 | 55,00 | 4 462 | ||
Nombre d’enfants | 0,69 | 0,90 | 0,00 | 5,00 | 4 462 | ||
Temps de travail | 32,29 | 8,85 | 2,00 | 70,00 | 4 462 | ||
Quintile 5 | Femmes sans enfants | Salaire horaire (log) | 3,32 | 0,34 | 3,01 | 7,98 | 2 336 |
Âge | 45,73 | 7,91 | 19,00 | 55,00 | 2 336 | ||
Nombre d’enfants | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 2 336 | ||
Temps de travail | 34,26 | 8,48 | 0,10 | 70,00 | 2 336 | ||
Femmes avec enfants | Salaire horaire (log) | 3,33 | 0,40 | 3,01 | 9,02 | 2 126 | |
Âge | 41,91 | 5,68 | 25,00 | 55,00 | 2 126 | ||
Nombre d’enfants | 1,68 | 0,66 | 1,00 | 4,00 | 2 126 | ||
Temps de travail | 29,09 | 10,02 | 0,10 | 60,00 | 2 126 | ||
Échantillon total | Salaire horaire (log) | 3,32 | 0,37 | 3,01 | 9,02 | 4 462 | |
Âge | 43,91 | 7,20 | 19,00 | 55,00 | 4 462 | ||
Nombre d’enfants | 0,80 | 0,96 | 0,00 | 4,00 | 4 462 | ||
Temps de travail | 31,80 | 9,60 | 0,10 | 70,00 | 4 462 |
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de l’enquête UKHLS.
5. Résultats empiriques
5.1. MCO, effets fixes et effets aléatoires
Dans cette partie, nous présentons des estimations de la pénalité à la maternité issues de méthodes sur données de panel classiques – régression par les MCO groupés, modèle à effets aléatoires et modèle à effets fixes (tableau 4). Pour déterminer s’il existe une pénalité et en apprécier l’ampleur, nous retenons comme spécification de référence le modèle , dans lequel le logarithme du salaire horaire est la variable dépendante; et Enfants, la principale variable d’intérêt. Dans toutes nos estimations, nous avons utilisé des erreurs types robustes à l’hétéroscédasticité, indiquées entre parenthèses. Tous les modèles confirment qu’en moyenne les mères continuent de subir un écart salarial, même si l’ampleur de cet écart est variable. Dans la régression par les MCO, le coefficient de la variable Enfants, qui rend compte de l’impact de chaque enfant supplémentaire sur le salaire horaire de la mère, est négatif et très significatif, ce qui indique l’existence d’une pénalité à la maternité. La variable dépendante étant le logarithme du salaire horaire, il est possible d’exprimer le coefficient en pourcentage. Ainsi, les mères perçoivent un salaire horaire inférieur de 2,7 pour cent à celui des femmes sans enfants pour chacun de leurs enfants. La majorité des travaux qui utilisent les MCO pour évaluer la pénalité à la maternité au Royaume-Uni ont été publiés dans les années 1990 et reposent sur des données plus anciennes encore, si bien qu’ils sont souvent obsolètes. Par comparaison avec ces études, nos résultats laissent penser que la pénalité subie par les mères est en baisse. Ils vont dans le même sens que ceux de Harkness et Waldfogel (2003), qui constatent que l’arrivée d’un enfant se traduit par un écart salarial de 7 pour cent, qui se creuse jusqu’à atteindre 30 pour cent à partir de trois enfants. Le modèle utilisé par Harkness et Waldfogel ne prend cependant pas en compte la totalité des variables de contrôle susceptibles d’influer sur l’ampleur de la pénalité. Dans nos estimations par les MCO, des déterminants tels que la situation matrimoniale, le niveau d’études et l’activité économique ont en effet un impact significatif sur le salaire horaire (voir le tableau 4).
Pénalités à la maternité – estimations par les moindres carrés ordinaires
ln(salaire horaire) | (1) MCO |
(2) Effets aléatoires |
(3) Effets fixes |
Nombre d’enfants | –0,027*** (0,007) |
–0,061*** (0,008) |
–0,069*** (0,009) |
Âge | 0,053*** (0,003) |
0,057*** (0,005) |
0,047*** (0,012) |
Âge2 | –0,001*** (0,000) |
–0,001*** (0,000) |
–0,001*** (0,000) |
Temps de travail | –0,005*** (0,001) |
–0,010*** (0,002) |
–0,011*** (0,002) |
Emploi salarié | 0,202*** (0,071) |
0,209*** (0,070) |
0,209*** (0,072) |
Mariée/en couple | –0,179*** (0,067) |
0,041 (0,087) |
0,100 (0,099) |
Divorcée/veuve | –0,238*** (0,086) |
–0,103 (0,108) |
–0,083 (0,118) |
Autre | 0,509** (0,252) |
0,428* (0,258) |
0,389 (0,264) |
Diplôme de niveau intermédiaire | 0,061** (0,030) |
0,035 (0,051) |
–0,086 (0,074) |
Diplôme | 0,287*** (0,031) |
0,255*** (0,055) |
–0,038 (0,082) |
Emploi intermédiaire | –0,366*** (0,025) |
–0,133*** (0,026) |
–0,038 (0,025) |
Emploi comportant peu de responsabilités | –0,693*** (0,029) |
–0,346*** (0,036) |
–0,173*** (0,036) |
Constante | 1,507*** (0,110) |
1,374*** (0,141) |
2,099*** (0,424) |
Observations | 22 311 | 22 311 | 22 311 |
R2 | 0,372 | 0,187 | |
Effets temporels | Oui | Oui | Oui |
Nombre de PIDP | 3 246 | 3 246 |
-
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Notes: Les erreurs types robustes figurent entre parenthèses. PIDP = identifiant personnel.
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de l’enquête UKHLS.
Les résultats obtenus au moyen des MCO peuvent être fortement biaisés en présence d’endogénéité. Avec les modèles à effets aléatoires, l’utilisation de conditions d’exogénéité plus restrictives concernant la corrélation croisée entre les termes d’erreur et la matrice de coefficients permet de tenir compte de l’hétérogénéité individuelle. Dans ce modèle, le coefficient de la variable Enfants est négatif et significatif, et indique un écart salarial beaucoup plus grand (6,1 pour cent) que celui mis en évidence par la méthode des MCO. Nous présentons les estimations issues du modèle à effets fixes et testons l’hypothèse d’efficience de l’estimateur du modèle à effets aléatoires au moyen du test de Hausman. Le test rejette l’hypothèse nulle selon laquelle un modèle à effets aléatoires tient correctement compte des effets individuels. Nous utilisons donc des modèles à effets fixes, qui nous permettent de prendre en compte les déterminants non observés susceptibles d’influer sur les salaires (Budig et Hodges, 2010) et concluons à l’existence d’une pénalité à la maternité de 6,9 pour cent par enfant supplémentaire. Comme l’attestent des erreurs types légèrement plus élevées, les résultats obtenus au moyen des estimateurs à effets fixes sont plus robustes, raison pour laquelle nous les retiendrons pour effectuer notre comparaison avec ceux issus de la régression quantile inconditionnelle.
5.2. Régression quantile inconditionnelle
Pour les estimations obtenues par la méthode de la régression quantile inconditionnelle, nous utilisons les mêmes covariables que dans notre modèle de référence pour chaque décile de la distribution du logarithme du salaire horaire, qui est notre variable dépendante (tableau 5). Nous constatons des variations considérables de la pénalité selon le niveau de la distribution des salaires (voir également la figure 1). Au niveau du 10e quantile (τ = 10e), le coefficient de la variable Enfants, négatif et statistiquement significatif, révèle une pénalité salariale de 3,3 pour cent. Cet écart persiste et demeure statistiquement significatif tout au long de la moitié inférieure de la distribution, s’établissant à 2,9 pour cent au niveau du 25e quantile (τ = 25e) et 3,5 pour cent au niveau de la médiane (τ = 50e). Au-delà, l’écart diminue de manière monotone et disparaît totalement au niveau du 75e quantile (τ = 75e). Au niveau du 90e quantile, le coefficient, qui s’établit à 2,6 pour cent, devient positif et significatif, révélant l’existence d’une prime à la maternité. Comme dans le cas des États-Unis (voir Glauber, 2018; Kwak, 2022), la diminution de la pénalité moyenne s’explique donc par l’amélioration de la situation des femmes situées dans le quartile supérieur de la distribution des salaires.
Pénalités à la maternité – estimations par la méthode de la régression quantile inconditionnelle
ln(salaire horaire) | (1) Effets fixes |
(2) τ = 10e |
(3) τ = 25e |
(4) τ = 50e |
(5) τ = 75e |
(6) τ = 90e |
Égalité |
Nombre d’enfants | –0,069*** (0,009) |
–0,033*** (0,010) |
–0,029*** (0,008) |
–0,035*** (0,009) |
–0,002 (0,009) |
0,026** (0,011) |
20,2*** |
Âge | 0,047*** (0,012) |
0,045*** (0,005) |
0,056*** (0,004) |
0,068*** (0,004) |
0,057*** (0,004) |
0,026*** (0,005) |
5,67** |
Âge2 | –0,001*** (0,000) |
–0,001*** (0,000) |
–0,001*** (0,000) |
–0,001*** (0,000) |
–0,001*** (0,000) |
–0,000*** (0,000) |
8,56*** |
Temps de travail | –0,011*** (0,002) |
0,003* (0,002) |
–0,000 (0,001) |
–0,005*** (0,001) |
–0,007*** (0,001) |
–0,007*** (0,002) |
18,77*** |
Emploi salarié | 0,209*** (0,072) |
0,304*** (0,065) |
0,243*** (0,053) |
0,202*** (0,050) |
0,048 (0,058) |
–0,082 (0,076) |
15,52*** |
Mariée/en couple | 0,100 (0,099) |
–0,070 (0,093) |
–0,117 (0,075) |
–0,251*** (0,075) |
–0,140* (0,075) |
–0,253** (0,105) |
1,63 |
Divorcée/veuve | –0,083 (0,118) |
–0,074 (0,122) |
–0,071 (0,094) |
–0,155 (0,102) |
–0,239** (0,111) |
–0,391** (0,154) |
3,22* |
Autre | 0,389 (0,264) |
–0,052 (0,369) |
0,027 (0,299) |
0,368 (0,358) |
0,536* (0,319) |
1,162** (0,488) |
3,07* |
Diplôme de niveau intermédiaire | –0,086 (0,074) |
0,081 (0,071) |
0,146*** (0,055) |
0,095** (0,046) |
0,119*** (0,031) |
0,061* (0,037) |
0,08 |
Diplôme | –0,038 (0,082) |
0,206*** (0,069) |
0,366*** (0,054) |
0,435*** (0,046) |
0,364*** (0,036) |
0,190*** (0,038) |
0,04 |
Emploi intermédiaire | –0,038 (0,025) |
0,006 (0,016) |
–0,108*** (0,016) |
–0,392*** (0,029) |
–0,529*** (0,041) |
–0,718*** (0,074) |
81,83*** |
Emploi comportant peu de responsabilités | –0,173*** (0,036) |
–0,375*** (0,031) |
–0,550*** (0,028) |
–0,825*** (0,035) |
–0,748*** (0,041) |
–0,782*** (0,075) |
23,15*** |
Constante | 2,099*** (0,424) |
0,527*** (0,154) |
0,702*** (0,120) |
1,171*** (0,128) |
1,961*** (0,117) |
3,208*** (0,157) |
|
Observations | 22 311 | 22 311 | 22 311 | 22 311 | 22 311 | 22 311 | |
R2 | 0,187 | 0,156 | 0,288 | 0,355 | 0,257 | 0,158 | |
Effets temporels | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui |
-
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Notes: Les erreurs types figurent entre parenthèses.
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de l’enquête UKHLS.
Dans l’ensemble, nos constatations, à savoir l’existence d’une pénalité à la maternité dans toute la moitié inférieure de la distribution, qui est maximale avant la médiane puis diminue avant de se transformer en prime pour les femmes les plus aisées (figure 1), confirment les tendances mises en évidence dans d’autres études mobilisant la régression quantile inconditionnelle (voir Glauber, 2018; Kwak, 2022). Dans le détail, nous observons cependant quelques divergences, liées en particulier à des facteurs spécifiques au Royaume-Uni.
Nos coefficients révèlent une pénalité relativement constante dans la moitié inférieure de la distribution, alors que les études antérieures concluent à un écart plus grand dans le deuxième quartile que dans le quartile inférieur. Aux États-Unis, Budig et Hodges (2014) évaluent la pénalité à 8 pour cent au niveau du 25e quantile (τ = 25e) et de la médiane (τ = 50e), ce qui représente près du double de l’écart constaté au niveau du dixième quantile (τ = 10e). De même, Kwak (2022) constate que la pénalité relativement faible existant dans les diverses cohortes au niveau du dixième quantile (τ = 10e) (comprise entre 1 et 3 pour cent) double voire triple au niveau du 25e quantile (τ = 25e), mais reste relativement stable jusqu’à la médiane (τ = 50e). Cette trajectoire est encore plus claire dans le cas du Royaume-Uni, où Cooke (2014) constate une prime salariale de 5 pour cent pour les mères du décile inférieur et une pénalité de 5 pour cent pour celles du deuxième quartile. Étonnamment, dans une étude publiée ultérieurement, Cooke, Hägglund et Icardi (2022) observent que cette prime disparaît et concluent à l’existence d’une pénalité comprise entre 8 et 10 pour cent dans la moitié inférieure de la distribution des salaires. Même si d’autres travaux sont nécessaires, il est permis d’avancer que la divergence entre les États-Unis et le Royaume-Uni et l’évolution des résultats se rapportant au Royaume-Uni s’expliquent par une transformation de la structure de l’emploi et par l’interaction de cette structure avec le système de protection sociale.
Ces quinze dernières années, les femmes qui ont des enfants ont affiché des taux d’emploi similaires aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais la nature de leur travail diffère radicalement d’un pays à l’autre1. Alors que la proportion de mères occupant un emploi à temps partiel est trois fois plus élevée au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, la proportion de mères occupant un emploi à plein temps est 1,5 fois plus élevée aux États-Unis qu’au Royaume-Uni. Cette situation s’explique dans une certaine mesure par le fait qu’aux États-Unis la protection sociale d’entreprise conditionne l’accès à diverses prestations à l’exercice d’une activité à plein temps, ce qui incite les femmes à travailler à plein temps quelle que soit leur situation familiale. De même, aux États-Unis, beaucoup de femmes qui vivent en couple dépendent de l’assurance-maladie à laquelle leur conjoint a droit grâce à son emploi. Qui plus est, beaucoup de femmes qui travaillent, en particulier parmi celles qui ont un niveau d’études bas, occupent des postes qui ne permettent pas de bénéficier d’une protection sociale, notamment d’une assurance-maladie. Cependant, la plus forte proportion de femmes travaillant à plein temps n’est pas seulement le fruit d’un calcul rationnel en lien avec l’assurance-maladie, il s’explique aussi par les caractéristiques institutionnelles et structurelles de l’économie des États-Unis, notamment la moindre générosité du système public de protection sociale et des politiques en matière de salaire et de temps de travail2.
Au Royaume-Uni, certains aspects du système public de protection sociale conduisent les femmes qui ont des enfants à travailler à temps partiel dans des secteurs où la rémunération est relativement faible. La pénalité plus limitée au bas de la distribution dans ce pays pourrait s’expliquer par un phénomène de sélection des femmes dans l’emploi à temps partiel (Gangl et Ziefle, 2009). Autrement dit, au Royaume-Uni, la pénalité salariale subie par les femmes qui se trouvent au bas de l’échelle des salaires correspond à un écart entre hommes et femmes plutôt qu’à une différence supplémentaire touchant spécifiquement les mères. Les réformes qu’a connues le système de protection sociale pourraient en outre expliquer la réapparition de la pénalité au bas de la distribution. À partir de 2013, les pouvoirs publics ont remplacé six prestations et crédits d’impôt par une prestation unique soumise à condition de ressources (le Universal Credit – UC). Cette réforme, régressive, a eu un impact particulièrement fort sur les revenus du décile inférieur (Brewer et al., 2020), ce que les pouvoirs publics voyaient comme un moyen de stimuler le taux d’activité. Comme l’offre publique de services d’accueil des jeunes enfants est limitée et le coût des solutions proposées par le secteur privé prohibitif, il est possible que les mères percevant un salaire faible aient renoncé à travailler après avoir constaté que les frais de garde supplémentaires seraient supérieurs à leur revenu d’activité.
La diminution progressive de la pénalité à la maternité constatée à partir de la médiane au Royaume-Uni confirme les résultats de travaux portant sur d’autres pays. Sa disparition (Killewald et Bearak, 2014) ou sa transformation en prime pour les mères les plus aisées avait déjà été observée pour les États-Unis, mais constitue une nouveauté pour le Royaume-Uni. La figure 1 montre que le coefficient de la variable Enfants devient positif, même s’il n’est pas statistiquement significatif, au niveau du 75e quantile (τ = 75e), puis continue d’augmenter pour devenir une prime statistiquement significative de 2,6 pour cent pour les mères du décile supérieur. Les travaux existants montraient que les mères du 75e quantile subissaient une pénalité de 2 pour cent, qui régressait jusqu’à disparaître au niveau du 90e quantile (Cooke, 2014). Il est donc possible que la pénalité à la maternité suive une trajectoire parallèle à celle observée aux États-Unis, où la prime à la maternité initialement apparue dans le décile supérieur à la fin des années 1990 concerne maintenant le quartile supérieur (Glauber, 2018; Kwak, 2022).
Comme aux États-Unis, la prime perçue par les mères situées au sommet de la distribution s’explique probablement par le niveau de leur rémunération, qui leur permet de déléguer la garde de leurs enfants à des tiers et de continuer de travailler à plein temps sans perte de productivité. Le coût exorbitant des services d’accueil des jeunes enfants préoccupe moins les femmes relativement aisées, le rendement salarial de l’emploi étant supérieur aux frais de garde supplémentaires. Le niveau élevé du salaire pourrait aussi être le signe que les professions concernées exigent des compétences spécialisées et que les salariées qui les exercent sont donc difficiles à remplacer. Dès lors, les employeurs sont obligés d’offrir des conditions généreuses après la naissance d’un enfant pour fidéliser ce personnel qualifié, par exemple des prestations financières intéressantes, mais aussi une certaine souplesse permettant de concilier vie professionnelle et vie privée (Goldin et Katz, 2011). L’étude de Buchmann et McDaniel (2016), dont il ressort qu’aux États-Unis les femmes avec enfants perçoivent une prime à la maternité dans les métiers à dominante masculine, comme la médecine et l’ingénierie, et subissent une pénalité dans les professions à dominante féminine, comme l’enseignement et les soins de santé, ouvre une piste intéressante pour de futurs travaux de recherche. Cette piste serait particulièrement pertinente dans le cas du Royaume-Uni, où la forte ségrégation du marché du travail se traduit par une répartition inégale des femmes entre secteurs d’activité, d’où des disparités en ce qui concerne les perspectives professionnelles et salariales (Leoncini, Macaluso et Polselli, 2024).
La prime que nous constatons pourrait aussi être la résultante d’évolutions survenues au Royaume-Uni depuis la publication des travaux antérieurs. Ainsi, ces quinze dernières années, la proportion de mères travaillant à temps partiel est restée stable, aux alentours de 33 à 34 pour cent, mais le pourcentage de celles qui occupent un poste à plein temps est passé de 29 à 40 pour cent3. Comme avancé par Cooke (2014), l’amenuisement de la pénalité à la maternité dans la partie supérieure de la distribution est probablement dû au fait que les mères relativement aisées sont plus susceptibles que les autres de travailler à plein temps. Dès lors, le pourcentage croissant de femmes avec enfants qui travaillent à plein temps contribue à expliquer que la trajectoire s’accentue. À cela s’ajoute qu’apparemment les familles situées dans les déciles de revenu supérieurs pourraient avoir tiré davantage profit que les autres de la forte hausse des budgets publics affectés à l’accueil des jeunes enfants, qui ont quadruplé depuis 2000 (Drayton et Farquharson, 2023). Ces familles sont majoritairement biparentales, raison pour laquelle nous explorons ci-après le lien entre situation familiale et pénalité à la maternité.
5.3. Interactions
En théorie, la présence d’un conjoint avec lequel partager les obligations familiales devrait atténuer la perte de productivité censée entraîner la pénalité à la maternité. Toutefois, en pratique, elle pourrait en réalité avoir l’effet contraire, parce que vivre en couple pourrait renforcer la division inégale du travail entre hommes et femmes. De fait, les principaux facteurs qui contribuent à la pénalité à la maternité ont une conséquence inverse sur les hommes, créant une prime à la paternité. Comme les mères assument la majeure partie des obligations familiales, elles sont moins disponibles pour exercer un travail rémunéré et sont perçues comme moins compétentes. A contrario, les pères, considérés comme plus dévoués que les hommes sans enfants, ne voient pas leur temps de travail diminuer (Killewald et Gough, 2013). En revanche, les femmes seules ont un besoin encore plus grand de travailler en raison de l’absence de conjoint susceptible de constituer une source de revenu, mais certaines rencontrent des difficultés à le faire à cause de leurs obligations familiales, situation qui a un impact contrasté sur la pénalité à la maternité (voir Harkness, 2016).
Pour explorer ces dynamiques, nous faisons interagir la variable représentant la maternité et celle correspondant à la situation matrimoniale. Le tableau 6 contient les résultats et la figure 2 les représente visuellement. Comme les travaux antérieurs, notre analyse révèle l’existence d’une forte hétérogénéité de la pénalité en fonction de la situation familiale de la mère. Le modèle à effets fixes révèle que, comparativement aux femmes sans enfants, la pénalité entraînée par l’arrivée d’un enfant est de 7,3 pour cent pour les femmes seules, de 5,5 pour cent pour les femmes mariées et de 5,1 pour cent pour les mères divorcées ou veuves (voir tableau 6). Toutefois, en termes statistiques, elle n’est pas significativement différente de 0. En revanche, l’analyse par la méthode de la régression quantile inconditionnelle révèle des nuances intéressantes. Il en ressort que la pénalité augmente avec les salaires, les mères du 90e quantile (τ = 90e) percevant un salaire qui peut être inférieur de 30 pour cent à celui de leurs homologues sans enfants. Quel que soit le quantile, les mères qui vivent en couple subissent une pénalité plus faible que les mères isolées, lesquelles sont lourdement pénalisées en haut de la distribution (figure 2 et tableau 6).
Interaction entre situation matrimoniale et maternité – régression quantile inconditionnelle
ln(salaire horaire) | Effets fixes | τ = 10e | τ = 25e | τ = 50e | τ = 75e | τ = 90e |
Célibataire sans enfants | 0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
Mère isolée | –0,073 (0,058) |
–0,127** (0,050) |
–0,154*** (0,042) |
–0,240** (0,044) |
–0,235** (0,041) |
–0,291** (0,052) |
Mariée/en couple sans enfants | 0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
Mariée/en couple avec enfants | –0,055 (0,052) |
–0,101** (0,045) |
–0,073* (0,038) |
–0,099** (0,037) |
–0,087** (0,035) |
–0,115** (0,049) |
Divorcée/veuve sans enfants | 0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
Divorcée/veuve avec enfants | –0,051 (0,052) |
–0,070 (0,050) |
–0,100** (0,044) |
–0,230** (0,043) |
–0,229** (0,040) |
–0,202** (0,056) |
Autre sans enfants | 0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
Autre avec enfant | –0,112 (0,117) |
–0,052 (0,117) |
–0,016 (0,082) |
–0,152 (0,113) |
–0,501** (0,157) |
–0,485** (0,177) |
Observations | 22 311 | 22 311 | 22 311 | 22 311 | 22 311 | 22 311 |
R2 | 0,187 | 0,156 | 0,288 | 0,355 | 0,257 | 0,158 |
Effets temporels | Oui |
-
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Notes: Les erreurs types figurent entre parenthèses.
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de l’enquête UKHLS.
Ces résultats peuvent surprendre étant donné l’existence d’une prime à la maternité au sommet de la distribution mise en lumière par la figure 1. Toutefois, les deux coefficients diffèrent par construction et ne doivent donc pas être interprétés de la même manière. La prime mise en évidence au niveau du 90e quantile dans le tableau 5 indique que les femmes qui perçoivent un salaire élevé parviennent à surmonter l’impact négatif de la maternité, peut-être parce qu’elles bénéficient de systèmes d’aide plus efficaces ou d’une plus grande flexibilité dans leur travail. Le tableau 6 ne contredit pas expressément ce résultat, en ce sens que les interactions révèlent l’existence de pénalités sans pour autant exclure celle d’une prime en fonction du nombre d’enfants en haut de la distribution. Le terme d’interaction fournit cependant des résultats intéressants, parce qu’il montre que l’arrivée d’un enfant pénalise plus les femmes seules que celles qui vivent en couple.
Les études qui mobilisent la régression quantile inconditionnelle montrent toutes que la pénalité à la maternité est plus forte pour les mères isolées. Les écarts que nous mettons en évidence sont cependant nettement plus grands que ceux dont fait état Kwak (2022) dans le cas des États-Unis. De surcroît, contrairement à ce que nous constatons, certains travaux portant sur d’autres contextes concluent à une diminution de la pénalité en haut de la distribution. Ce phénomène pourrait lui aussi refléter des effets pervers de certaines politiques sociales adoptées au Royaume-Uni. Comme l’illustre l’exemple d’Universel Credit, le système de protection sociale actuel est censé favoriser l’insertion professionnelle, en particulier des plus modestes, en faisant en sorte que le travail soit payant. Les mères qui perçoivent un faible salaire ont tout intérêt à accéder à un emploi rémunéré, et à réduire ainsi la pénalité à la maternité. Paradoxalement, au Royaume-Uni, les carences du système de protection sociale – par exemple le nombre de places insuffisant dans les services de garde subventionnés par l’État – pourraient être particulièrement préjudiciables aux femmes relativement aisées. En l’absence de conjoint avec qui partager les obligations familiales, ces femmes sont contraintes de sacrifier leur carrière et de renoncer à un salaire plus élevé au profit d’emplois plus faciles à concilier avec la vie de famille ou de postes à temps partiel, et ce d’autant que le coût des services privés d’accueil des jeunes enfants est rédhibitoire.
Dans ce contexte, on peut supposer que les femmes avec enfants optent pour des postes où les heures de travail sont moins nombreuses, ce qui contribue à l’écart de rémunération par rapport aux femmes sans enfants. Pour déterminer s’il existe un lien entre le nombre d’heures travaillées et la pénalité à la maternité le long de la distribution salariale, nous modélisons l’interaction entre les variables Temps de travail et Enfants (tableau 7). Le coefficient du modèle à effets fixes montre que, en moyenne, les femmes avec enfants dont la durée de travail est plus longue perçoivent des salaires plus élevés que celles qui n’ont pas d’enfants. Pour tester la robustesse de ce résultat, nous examinons la variation de cette prime d’un quantile à l’autre. Nous constatons qu’elle est significative, mais qu’elle ne varie pas beaucoup selon le niveau de la distribution, ce qui laisse penser que, malgré sa significativité statistique, elle contribue peu au salaire horaire plus élevé perçu par les mères. La figure 3 fournit une confirmation graphique du lien positif plus fort entre maternité et temps de travail, ce qui remet en cause l’idée communément admise selon laquelle l’arrivée d’un enfant pénalise les femmes, parce qu’elles arbitrent entre leur nombre d’heures de travail et la parentalité.
Interaction entre temps de travail et maternité – régression quantile inconditionnelle
ln(salaire horaire) | Effets fixes | τ = 10e | τ = 25e | τ = 50e | τ = 75e | τ = 90e |
Temps de travail - femmes sans enfants | 0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
Temps de travail - femmes avec enfants | –0,001 (0,001) |
0,002** (0,001) |
0,002* (0,001) |
0,004** (0,001) |
0,004** (0,001) |
0,003** (0,001) |
Observations | 22 311 | 22 311 | 22 311 | 22 311 | 22 311 | 22 311 |
R2 | 0,187 | 0,156 | 0,288 | 0,355 | 0,257 | 0,158 |
Effets temporels | Oui |
-
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Notes: Les erreurs types figurent entre parenthèses.
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de l’enquête UKHLS.
6. Conclusions
Dans cet article, nous avons exploré la pénalité à la maternité au Royaume-Uni, montrant, à partir d’un modèle à effets fixes, qu’en moyenne les femmes qui ont des enfants subissent un écart salarial de 6,9 pour cent par rapport à celles qui n’en ont pas. Bien que la maternité soit toujours lourde de conséquences financières, la pénalité est nettement plus faible que ce qui était rapporté dans les années 1990 et 2000. Néanmoins, notre analyse de régression quantile inconditionnelle révèle que cette moyenne dissimule d’importantes variations le long de la distribution salariale. Jusqu’au 75e quantile, toutes les mères sont pénalisées, mais l’écart salarial est plus grand dans la moitié inférieure de la distribution. Parallèlement, les mères situées dans le quartile supérieur bénéficient d’une prime qui atteint 2,6 pour cent dans le décile supérieur. Comme aux États-Unis (Glauber, 2018; Kwak, 2022), ce sont les femmes les plus aisées qui expliquent la baisse moyenne de la pénalité à la maternité.
Nos résultats mettent aussi en lumière des différences qui, pour être subtiles, n’en sont pas moins importantes avec les études antérieures mobilisant la régression quantile inconditionnelle. Alors que les travaux se rapportant aux États-Unis concluaient régulièrement à l’existence d’une prime à la maternité, notre étude est la première qui en constate l’existence dans les quartiles supérieurs au Royaume-Uni. Nous pensons que, comme dans le cas des États-Unis, les salariées aisées peuvent atténuer les risques que la maternité fait peser sur leur productivité en rémunérant des tiers auxquels elles délèguent leurs obligations familiales et domestiques. À l’autre extrémité de l’échelle, la prime à la maternité que Cooke (2014) constatait dans le décile inférieur dans le cas du Royaume-Uni a disparu. La pénalité observée jusqu’à la médiane confirme les constatations de la plupart des autres travaux. Toutefois, cette pénalité est plus uniforme qu’on ne le pensait jusqu’à présent, puisqu’elle est comprise entre 2,9 et 3,5 pour cent. Nous pensons que cette évolution et les différences observées par rapport aux États-Unis découlent des particularités des politiques familiales et des institutions au Royaume-Uni et à leurs répercussions sur la participation des mères au marché du travail. Le système de protection sociale libéral, qui entend promouvoir l’autosuffisance en conduisant les femmes qui ont des enfants à travailler, a conduit à une situation paradoxale, les prestations ayant surtout profité aux femmes aisées. Il encourage le travail à plein temps, souvent associé à des salaires plus élevés. En revanche, les mères situées au bas de la distribution sont plus susceptibles de travailler à temps partiel. Du fait de l’insuffisance des services d’accueil des jeunes enfants, les réformes de la protection sociale ont peut-être contraint ces femmes à quitter purement et simplement le marché du travail au lieu de leur permettre d’accéder à un plein temps. De fait, le clivage de plus en plus grand révélé par notre analyse entre les mères situées au bas de la distribution et celles qui se trouvent au sommet en ce qui concerne l’écart salarial par rapport aux femmes sans enfants devrait faire naître des interrogations sur le ciblage de ces politiques. Il est possible que, au lieu de favoriser la justice sociale, l’adoption de mesures indiscriminées ait eu pour effet de subventionner des femmes qui bénéficient d’une prime à la maternité et disposent déjà des ressources nécessaires pour concilier maternité et travail.
Notes
- OCDE, base de données de l’OCDE sur la famille – LMF1.2 Emploi des mères, https://www.oecd.org/fr/data/datasets/oecd-family-database.html (consulté le 19 mai 2025). ⮭
- Nous remercions nos évaluateurs de nous avoir aidés à clarifier ce point. ⮭
- Voir la note 1. ⮭
Conflits d’intérêts
Les auteurs n’ont pas d’intérêts concurrents à déclarer.
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