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Les plateformes au prisme des régimes d’inégalités: étude des services juridiques

Authors

Résumé

Les autrices examinent la manière dont les inégalités présentes sur le marché du travail traditionnel influent sur la situation des travailleurs de plateformes. Elles utilisent le cadre des régimes d’inégalités élaboré par Acker, en s’intéressant plus particulièrement au genre, et l’appliquent à une étude de cas qualitative portant sur une plateforme de travail indépendant qui fournit des services juridiques. L’analyse, qui comporte une dimension longitudinale, montre que les obstacles structurels à l’oeuvre dans la profession juridique classique se retrouvent sous une forme amplifiée dans l’univers des plateformes, ce qui invalide l’idée que le travail de plateformes peut être un levier.

Mots clés: plateformes, inégalités, genre, travail juridique, travailleurs indépendants

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Publié le
2025-10-07

Examen par les pairs

Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs, de même que les désignations territoriales qui y sont utilisées, et leur publication ne signifie pas que l’OIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.

Titre original: «Platforms as Inequality Regimes: Researching Legal Services» (International Labour Review, vol. 164 no 3). Traduit par Isabelle Croix. Également disponible en espagnol (Revista Internacional del Trabajo, vol. 144, no 3).

1. Introduction

Les optimistes ont vu dans l’essor du travail de plateformes la promesse de nouveaux débouchés professionnels pour les personnes les plus éloignées de l’emploi, cette modalité de travail offrant une souplesse spatiotemporelle et une autonomie qui la distinguent de l’organisation hiérarchique traditionnelle. En apparence, les plateformes garantissent un environnement concurrentiel équitable – il y a peu de barrières à l’entrée, la rémunération peut être déterminée par le travailleur, et les avis et évaluations des clients proviennent de multiples sources plutôt que du seul responsable hiérarchique. Pourtant, malgré cette équité de façade, les asymétries de pouvoir entre exploitants des plateformes et travailleurs sont lourdes de conséquences. Alors que ces effets ont été amplement décrits par la recherche (Kellogg, Valentine et Christin, 2020; Rahman et Thelen, 2019; Rosenblat, 2018; Tassinari et Maccarrone, 2020), on sait moins de choses sur les inégalités entre les personnes qui travaillent par l’intermédiaire de ces plateformes.

Malgré un foisonnement de travaux consacrés à la diversité du travail de plateformes ces dix dernières années (Drahokoupil et Vandaele, 2021; Schor, 2020), la question des inégalités a été très peu étudiée (Morell, 2022), et la situation des femmes qui travaillent via des plateformes «occupe une place marginale dans les travaux empiriques et analytiques» (James, 2022, p. 4). Quelques études, peu nombreuses, permettent de mieux comprendre l’influence que la division inégalitaire du travail reproductif et des obligations familiales exerce sur le travail de plateformes (Adams-Prassl et al., 2025; Churchill et Craig, 2019; Gerber, 2022; James, 2022; Milkman et al., 2021). Nous entendons enrichir ces travaux sur le lien entre genre et travail de plateformes en étudiant si les inégalités existant sur le marché du travail ordinaire se retrouvent dans l’univers des plateformes. Comme ces disparités sont enracinées dans les organisations du travail à des degrés divers et ont des manifestations protéiformes (Acker, 1990; Healy et al., 2019; Rubery, 2015), nous partons du principe que les plateformes fonctionnent dans l’ombre du marché du travail classique (Purcell et Brook, 2022; Schor, 2020), ce qui influe sur ce que vivent les personnes qui travaillent par leur intermédiaire. Beaucoup d’auteurs choisissent de se pencher sur les «nouveaux» aspects du travail en se cantonnant aux plateformes, sans prendre en compte le système économique traditionnel dont le travail de plateformes est une émanation.

Nous appuyant sur la recherche séminale de Joan Acker (2006), nous reprenons le concept de «régimes d’inégalités» pour établir des liens entre les inégalités structurelles caractéristiques du marché du travail classique et les pratiques et situations qui ont cours dans le monde des plateformes. Schématiquement, les «régimes d’inégalités» désignent des «pratiques, processus, actions et significations plus ou moins reliés entre eux» responsables des inégalités au sein des organisations (ibid., p. 443). L’application de ce concept théorique conduit à déplacer la focale du niveau individuel au contexte plus large des processus et dynamiques structurels et de disposer ainsi d’un cadre pour explorer les inégalités systémiques. Les régimes d’inégalités sont certes à l’œuvre dans les lieux de travail ordinaires, mais ils sont liés aux disparités existant dans l’économie et la société en général (Acker, 2009), ce qui en fait un concept puissant pour l’étude des interactions entre les inégalités existant sur le marché du travail classique et celles présentes dans le monde des plateformes.

Dans cet article, nous apportons une contribution à l’abondante littérature consacrée aux plateformes en nous intéressant au travail indépendant intellectuel et scientifique, que nous appellerons «spécialisé». Cette activité se prête particulièrement bien à l’analyse d’un phénomène aussi complexe que les inégalités, parce qu’elle est compliquée, suppose une plus grande autonomie des travailleurs (Schor, 2020) et s’inscrit dans une durée relativement longue. Jusqu’à présent, les auteurs qui ont étudié ce type de travail se sont en général penchés sur la catégorie générique des «services spécialisés» (comptabilité, développement logiciel ou activités de conseil, par exemple), malgré l’hétérogénéité des professions concernées et des inégalités correspondantes (Ashley et Empson, 2017). Pour établir un lien entre la singularité des situations professionnelles vécues sur le marché du travail et le travail de plateformes, nous restreignons notre analyse aux services juridiques. Ce terrain d’étude nous permet d’exploiter les multiples travaux de recherche témoignant de la persistance d’inégalités dans la profession juridique, fondée sur une structure pyramidale (Pringle et al., 2017; Sommerlad et al., 2013; Tomlinson et al., 2019). Malgré la diversité croissante des recrutements, ce secteur demeure marqué par une forte stratification sur la base du genre et de l’origine ethnique (Tomlinson et al., 2013). Notre choix nous permet d’examiner plus facilement comment les inégalités présentes au sein de cette profession influent sur la situation des personnes qui l’exercent par l’intermédiaire de plateformes et de décrire les liens entre l’environnement macrosocial des métiers du droit et la situation des travailleurs de plateformes au niveau microsocial.

Le reste de l’article est organisé comme suit. Dans la deuxième partie, nous proposons une revue de la littérature sur les plateformes et les inégalités avant de présenter, dans la troisième partie, notre approche méthodologique et notre terrain de recherche. Dans la quatrième partie, nous exposons nos résultats en suivant le cadre des régimes d’inégalités défini par Acker, de façon à mettre en évidence les liens et les divergences. Dans la cinquième partie, nous décrivons la contribution de notre travail à la recherche et livrons quelques conclusions.

2. Travail de plateformes et inégalités

Du point de vue de l’organisation du travail, les plateformes constituent un espace de production dématérialisé au sein duquel les relations de production sont transformées (Gandini, 2019). L’activité professionnelle est pour l’essentiel transactionnelle, les emplois et fonctions étant remplacés par des tâches et activités de courte durée (De Stefano, 2016). Les plateformes fonctionnent selon des logiques diverses: l’attribution des tâches peut être automatique ou résulter d’un processus de mise en concurrence; le travail peut être exécuté immédiatement ou non; une présence physique peut être requise ou non; et la rémunération est variable. La coordination de la demande est orchestrée par la plateforme, qui met en relation demandeurs et prestataires de services en exploitant l’infrastructure numérique pour encadrer les éléments essentiels de la transaction (la communication, le paiement et l’évaluation, par exemple) et en prélevant une commission.

Il y a peu de barrières à l’entrée. Une personne peut travailler par l’intermédiaire d’une plateforme quels que soient ses contraintes familiales et ses autres engagements professionnels, d’où une plus grande variété de situations que sur le marché du travail classique (Schor, 2020). La grande liberté dont jouiraient les travailleurs de plateformes concernant l’organisation de leur temps, le choix de leur lieu de travail et le volume de travail qu’ils assument est souvent mise en avant (ibid.; Wood et al., 2019). Cette apparente «liberté» est parfois vue comme un levier d’émancipation et d’inclusion, les travailleurs pouvant choisir leurs horaires et décider de la quantité de travail qu’ils souhaitent accomplir. Cette souplesse est séduisante pour les femmes, plus susceptibles que les hommes de travailler à temps partiel à leur domicile en raison de leurs obligations familiales (Berg et Rani, 2021; Gerber, 2022; OIT, 2021). D’après une étude se rapportant aux États-Unis, elles peuvent ainsi privilégier la prise en charge de leur famille (Milkman et al., 2021) et, selon une enquête conduite en Australie, le fait que le travail «cadre bien avec leur emploi du temps» joue un rôle déterminant (Churchill et Craig, 2019, p. 741). Alors que ces études laissent penser que les femmes choisissent le travail de plateformes en pensant qu’il offre plus de flexibilité, d’autres auteurs affirment que ce choix est illusoire (Berg et Rani, 2021), parce que la nécessité de percevoir le revenu le plus élevé possible limite leur marge de manœuvre. Les travailleurs de plateformes expliquent qu’ils aimeraient travailler davantage, mais que la concurrence est rude parce que l’offre de main-d’œuvre est trop abondante (OIT, 2021; Woodcock et Graham, 2020). À cela s’ajoute l’obligation de consacrer environ un tiers du temps à des tâches non rémunérées (rechercher des missions ou créer un profil, par exemple) (OIT, 2021). Cette contrainte concerne autant les hommes que les femmes, mais comme celles-ci accomplissent en moyenne moins d’heures de travail rémunéré (Rani et Furrer, 2021), les activités non rétribuées représentent une plus forte proportion de leur temps.

D’après Schor (2020, p. 72), il existe en pratique une «hiérarchie des plateformes», c’est-à-dire une structure verticale le long de laquelle les métiers sont différenciés en fonction de la rémunération perçue, du degré d’autonomie des travailleurs et de leur satisfaction. Airbnb et Etsy se trouvent au sommet de cette hiérarchie, tandis que les applications de transport à la demande et de livraison – activités qui exigent une main-d’œuvre abondante – se trouvent à l’extrémité inférieure. Par ailleurs, la ségrégation professionnelle est évidente, les hommes exerçant principalement des activités rattachées à un territoire géographique, tandis que le travail en ligne est plus courant parmi les femmes, également très présentes dans les secteurs du nettoyage et de l’aide à la personne (Churchill et Craig, 2019). Cette différenciation par genre est aussi une réalité dans le travail en ligne à proprement parler: les femmes sont plus susceptibles de travailler dans le domaine de la vente, du marketing, des services spécialisés et des services aux entreprises, tandis que les hommes sont plus nombreux dans les domaines des technologies et de l’analyse de données (OIT, 2021).

Les plateformes s’apparentent à un marché du travail ouvert, dans lequel l’investissement des travailleurs varie en fonction de leurs besoins et de leur situation (Vallas, 2019), autrement dit, en général, de leur degré de dépendance économique. Il en résulte des implications plus larges: les personnes qui sont financièrement tributaires de la plateforme en retirent un revenu plus faible, sont moins satisfaites, disposent de moins d’autonomie et ont globalement des conditions de travail plus mauvaises (Schor et al., 2020). La recherche montre en outre que cette dépendance économique est plus forte parmi les femmes que parmi les hommes, pour qui ce travail constitue souvent une source de revenu complémentaire. Elle est aussi plus grande parmi les femmes qui sont contraintes de travailler chez elles pour pouvoir s’occuper de leurs enfants ou de proches dépendants (EIGE, 2020; OIT, 2021). D’après Churchill et Craig (2019), les femmes ne sont pas plus réticentes que les hommes à chercher à travailler par l’intermédiaire de plateformes, mais elles éprouvent plus de difficultés à en retirer un revenu convenable. L’argument selon lequel l’absence d’employeur ferait de cette modalité de travail une solution permettant de s’affranchir de l’autorité (voir Schor, 2020) a parfois été avancé. Or, le degré d’autonomie le plus élevé se rencontre dans une large mesure dans les professions qualifiées, généralement dominées par les hommes (EIGE, 2020).

La recherche met en lumière l’existence d’un écart de rémunération persistant entre hommes et femmes sur les différents types de plateformes (Adams-Prassl et al., 2025; Churchill et Craig, 2019; Rodríguez-Modroño, Pesole et López-Igual, 2022). Dans certains cas, la rémunération est fixée à l’avance par le client, et les prestataires sont en concurrence pour l’exécution de la tâche; dans d’autres, plus rares, ce sont les prestataires qui fixent le prix demandé en contrepartie du produit ou service. La fragmentation des tâches, conjuguée à l’absence de fixation des rémunérations par catégorie d’emploi, est une source de disparités inéquitables. Même si l’on fait abstraction du fait que les hommes ont une probabilité plus forte que les femmes d’exécuter des travaux relativement qualifiés et une intensité de travail supérieure (Rodríguez-Modroño, Pesole et López-Igual, 2022; Wood et al., 2019), les différentiels de rémunération entre les genres persistent, indépendamment des évaluations des clients, de l’expérience, de la catégorie professionnelle, du temps de travail et du niveau d’études (Barzilay et Ben-David, 2017). En moyenne, les femmes qui travaillent en ligne perçoivent une rémunération inférieure de 20 pour cent à celle des hommes, car le caractère plus morcelé de leur travail, en particulier pour celles qui ont de jeunes enfants, se répercute sur leur rapidité d’exécution. Il existe également des disparités géographiques, parce que les personnes qui travaillent depuis des régions où les salaires sont plus faibles perçoivent une rémunération conforme aux salaires locaux (Demirel, Nemkova et Taylor, 2021; Woodcock et Graham, 2020); dans les pays en développement, la rémunération des indépendants est inférieure de 60 pour cent à ce qu’elle est dans le monde développé (OIT, 2021).

Le travail de plateformes est dépourvu des éléments de l’emploi classique qui assurent une protection sociale et qui jouent un rôle central dans la poursuite de l’objectif d’égalité (EIGE, 2020; Rubery, 2015). L’emploi atypique par l’intermédiaire de plateformes accroît le risque de précarité économique (Gerber, 2022), ce qui pénalise plus les femmes que les hommes en raison de leur plus grande dépendance économique. Le travail de plateformes exploite le discours valorisant l’idée «d’être son propre patron» (Purcell et Brook, 2022): l’appartenance à la catégorie des travailleurs indépendants sous-entend un attachement à la qualité du travail, de sorte que l’indétermination du travail disparaît, les travailleurs supportant l’intégralité du risque économique (Berg, 2016). Un modèle dans lequel l’initiative et la coopération volontaires jouent un rôle central est en général favorable au capital (Burawoy, 1979), parce qu’un résultat de mauvaise qualité compromet l’accès à d’autres missions.

Le choix d’un prestataire est souvent le fruit d’une sélection parmi différents profils, lesquels sont assortis d’évaluations et de notes, qui correspondent à la mesure de performances passées. Or, la recherche a mis en lumière l’existence de biais liés à la race et au genre (Rosenblat et al., 2017; Van Doorn, 2017) et montre que, en particulier sur les plateformes de travail en ligne, les profils personnels et les photos peuvent priver une personne de missions ou la condamner à être mal payée (OIT, 2021). Ces outils de mesure, qui influent sur le jugement porté sur les compétences du travailleur et son aptitude à effectuer le travail, sont évoqués dans une littérature de plus en plus abondante sur la gestion algorithmique (Kellogg, Valentine et Christin, 2020; Wood et al., 2019), laquelle a des répercussions considérables sur le sentiment d’autonomie des travailleurs, parce qu’elle permet que le pouvoir reste centralisé (Rahman, 2021).

Le travail de plateformes a pour corollaire un isolement et un sentiment accru de rupture sociale. Dans le cas du travail en ligne, les tâches sont effectuées à distance, si bien que les relations sociales sont superficielles et «lourdement transactionnalisées» (Gandini, 2019, p. 1052). Certaines études soutiennent que la fragmentation des tâches entraîne une séparation structurelle des travailleurs (Drahokoupil et Vandaele, 2021; Gandini, 2019; Irani, 2015). La quasi-impossibilité d’entretenir des relations avec un groupe stable de collègues ou de clients se traduit par une séclusion et empêche la construction d’identités partagées (Schor, 2020). À l’inverse, la recherche sur les travailleurs créatifs défend l’idée que le travail de plateformes fait partie intégrante d’infrastructures relationnelles, parce que ces travailleurs s’efforcent de tisser des liens solides avec leurs clients (Alacovska, Bucher et Fieseler, 2024) et entretiennent des relations avec la communauté professionnelle à laquelle ils appartiennent. À mesure que les plateformes s’installent dans le paysage, de nouvelles études montrent que les travailleurs cherchent des manières inédites à se coordonner, échanger des informations et remettre en cause le pouvoir des plateformes. Même si, dans la pratique, les expériences sont diverses, parce que les plateformes n’exercent pas toutes le même type de contrôle, les signes de résistance sont de plus en plus nombreux (Drahokoupil et Vandaele, 2021; Kellogg, Valentine et Christin, 2020). La solidarité collective est particulièrement forte parmi les travailleurs dont l’activité se déroule sur un territoire géographique donné, comme les livreurs et les chauffeurs (Tassinari et Maccarrone, 2020), tandis qu’elle est moins évidente parmi les personnes qui travaillent en ligne.

En somme, de plus en plus de travaux sur les plateformes et les inégalités démentent l’idée que ce mode d’activité garantit des règles du jeu équitables. L’univers des plateformes est hautement concurrentiel, ce qui impose souvent de travailler gratuitement pour rechercher des missions. Qui plus est, les travailleurs sont confrontés à des systèmes de contrôle algorithmique, sont dépourvus de protection sociale et ont peu d’occasions de nouer des relations professionnelles. Les expériences sont diverses, variant souvent selon le niveau d’études. Il est établi que les hommes sont plus susceptibles que les femmes de faire un travail relativement qualifié, généralement plus gratifiant. Ce constat doit toutefois être interrogé empiriquement, comme nous allons le faire dans cette analyse axée sur des personnes appartenant à une même catégorie professionnelle et travaillant par l’intermédiaire de la même plateforme.

3. Protocole et terrain de recherche

L’étude comparative des inégalités professionnelles s’effectue souvent au niveau du marché du travail dans son ensemble au moyen de méthodes quantitatives. Or, comme le souligne Acker (2006), c’est à l’échelon de l’organisation que les phénomènes inégalitaires émergent et se reproduisent. Nous avons donc choisi de faire appel à une étude de cas qualitative, en retenant comme cadre théorique la théorie féministe critique de Joan Acker. Nous abordons le genre comme la dimension centrale d’une conception intersectionnelle des inégalités, reposant sur l’idée que les expériences vécues sont influencées par différentes catégories sociales, telles que la race, l’âge ou encore la classe sociale. Notre objectif était d’observer la façon dont le travail en ligne et le travail classique étaient vécus en conduisant les participants à réfléchir à leur rapport mouvant avec le travail de plateformes, à sa place dans leur vie professionnelle et à l’évolution de leur attachement à cette modalité de travail au fil du temps.

Après avoir envisagé plusieurs possibilités, nous avons sélectionné la plateforme PeoplePerHour (PPH). Plusieurs raisons ont motivé notre choix: créée en 2007, elle est la plus ancienne des plateformes britanniques proposant des missions indépendantes dans le monde entier, y compris des services juridiques, qui font partie du large éventail de services spécialisés offert aux petites et moyennes entreprises; elle est présente sur un marché actif et met à disposition un vaste vivier de prestataires indépendants. Les personnes qui s’inscrivent sont soit des prestataires en quête d’une mission, soit des clients qui recherchent un prestataire. La plateforme met ces deux types d’acteurs en relation et intervient ensuite peu dans l’organisation du travail. Les prestataires créent leur profil, dans lequel figurent une photo et leur tarif horaire, ainsi que des indicateurs – notes et avis, nombre de projets menés à bien et délai de réponse aux offres de missions. PPH prélève, sur chaque transaction, une «commission» correspondant habituellement à 20 pour cent de la rémunération.

3.1. Phases de la recherche

Le travail de plateformes se caractérise par un taux de rotation élevé (OIT, 2021). Il est donc difficile de suivre les travailleurs dans la durée, raison pour laquelle la plupart des études rendent compte de leur situation à un moment précis. Ici, nous intégrons à notre analyse une composante longitudinale pour pouvoir apprécier l’évolution des situations et perceptions dans le temps (Read, 2018), afin de mieux comprendre comment le rapport au travail de plateformes et les performances changent sur une période relativement longue. La collecte de nos données s’est faite en deux phases séparées par un intervalle de six à douze mois. Dans un premier temps, nous avons effectué une recherche sur PPH en utilisant les critères «services juridiques» et, pour tenir compte des contraintes liées à la compétence juridictionnelle, «Royaume-Uni». À l’issue de ce processus d’interrogation de la plateforme, qui s’est étalé sur six mois, nous avons obtenu 55 participants potentiels (34 femmes et 21 hommes), représentant la totalité des prestataires de services juridiques installés au Royaume-Uni inscrits sur la plateforme. Nous avons ensuite pris contact avec chacun d’eux; 22 ont accepté de nous accorder un entretien, 7 ont refusé, prétextant souvent un manque de temps, et 26 n’ont pas répondu. Les femmes constituent environ 40 pour cent des personnes qui travaillent par l’intermédiaire de plateformes, mais elles sont plus susceptibles que les hommes d’offrir des services professionnels (OIT, 2021), ce que reflète notre échantillon, constitué de 13 femmes et 9 hommes. Malgré la féminisation croissante du travail indépendant en ligne, les hommes ont en général une ancienneté plus longue (Shevchuk et Strebkov, 2023). Pour obtenir un échantillon représentatif de l’ensemble des situations, nous avons recontacté les femmes qui n’avaient pas répondu et qui avaient à leur actif un grand nombre de missions et pratiquaient un tarif horaire élevé, ainsi que les hommes qui n’avaient mené à bien qu’un petit nombre de projets et proposaient un tarif horaire faible. Pour effectuer notre deuxième entretien, nous avons repris contact avec chacun des 22 participants que nous avions déjà rencontrés et avons reçu une réponse positive de 7 femmes et 5 hommes (nous avons donc réalisé 34 entretiens au total).

Avant le premier entretien, nous avons conduit une enquête en ligne pour recueillir les données démographiques (tableau 1) que nous avons ensuite exploitées pour concevoir notre guide d’entretien semi-structuré. Nous voulions recueillir des informations sur le parcours professionnel «classique» des personnes dans le secteur juridique (il s’agissait de savoir comment elles avaient accédé à ce métier et quelle était leur expérience), puis aborder trois aspects: la manière dont le travail en ligne s’inscrivait dans leur projet professionnel et personnel; ce qui les avait attirées vers les plateformes; et leur expérience en la matière. Le deuxième entretien devait nous renseigner sur l’évolution de leurs perceptions et sur les changements qu’avait connus leur vie professionnelle et privée depuis la première rencontre. Cette analyse des évolutions dans le temps nous a permis d’approfondir nos données (Read, 2018) et a offert à nos interlocuteurs et interlocutrices l’occasion de réfléchir de façon plus poussée à l’interaction entre les modalités classiques d’exercice de la profession juridique et le travail de plateformes.

Tableau 1

Caractéristiques des personnes interrogées

ID Âge Origine ethnique et nationalité Statut professionnel lors du premier entretien Durée d’utilisation de PPH Dépendance financière à l’égard de PPH Tarif horaire (GBP) Deuxième entretien
F01PPH 20-29 Femme blanche (autre) Travailleuse indépendante 6 à 12 mois Partielle 20-30 Oui
F02PPH 30-39 Femme blanche britannique Travailleuse indépendante (services juridiques et non juridiques) 1 à 2 ans Complément de revenu 120-130 Oui
F03PPH 40-49 Femme blanche britannique Emploi à plein temps Moins de 6 mois Complément de revenu 60-70 Non
F04PPH 30-39 Femme blanche (autre) Travailleuse indépendante Moins de 6 mois Partielle 30-40 Non
F05PPH 30-39 Femme blanche britannique Emploi à plein temps Moins de 6 mois Complément de revenu 30-40 Non
F06PPH 20-29 Asiatique/Britannique d’origine asiatique Demandeuse d’emploi/étudiante Moins de 6 mois Complément de revenu 10-20 Non
F07PPH 40-49 Femme blanche britannique Travailleuse indépendante Plus de 5 ans Partielle 10-20 Oui
F08PPH 20-29 Femme blanche (autre) Emploi à temps partiel (autre secteur que le secteur juridique) Moins de 6 mois Partielle 20-30 Oui
F09PPH 20-29 Femme blanche britannique Emploi à plein temps Moins de 6 mois Complément de revenu 0-10 Oui
F10PPH 30-39 Femme blanche (autre) Prestataire de services à plein temps 1 à 2 ans Partielle 100-110 Oui
F11PPH 40-49 Femme noire africaine/britannique/caribéenne Travailleuse indépendante 2 à 5 ans Partielle 40-50 Oui
F12PPH 40-49 Femme blanche britannique Emploi à plein temps 2 à 5 ans Partielle 100-110 Non
F13PPH 40-49 Femme blanche (autre) Travailleuse indépendante 2 à 5 ans Partielle 80-90 Non
H01PPH 50-59 Homme blanc britannique Travailleur indépendant Plus de 5 ans Partielle 250-260 Non
H02PPH 30-39 Asiatique/Britannique d’origine asiatique Travailleur indépendant 2 à 5 ans Partielle 70-80 Oui
H03PPH 30-39 Asiatique/Britannique d’origine asiatique Emploi à plein temps Moins de 6 mois Complément de revenu 40-50 Oui
H04PPH 50-59 Homme blanc britannique Travailleur indépendant Plus de 5 ans Totale 120-130 Oui
H05PPH 60 ans et plus Homme blanc britannique Travailleur indépendant Plus de 5 ans Totale 150-160 Oui
H06PPH 40-49 Asiatique/Britannique d’origine asiatique Travailleur indépendant 6 à 12 mois Partielle 20-30 Non
H07PPH 30-39 Homme noir africain/ britannique/caribéen Emploi à plein temps (autre secteur que le secteur juridique) 1 à 2 ans Partielle 60-70 Non
H08PPH 60 ans et plus Homme blanc britannique Travailleur indépendant (services juridiques et non juridiques) Plus de 5 ans Partielle 40-50 Oui
H09PPH 20-29 Homme blanc britannique Travailleur indépendant (services juridiques et non juridiques) Moins de 6 mois Partielle 120-130 Non
Note: F = femme; H = homme.
Source: Réalisation des autrices à partir d’une enquête en ligne.

Nous avons conduit nos entretiens par visioconférence ou par téléphone (en fonction des préférences). Tous ont été enregistrés et transcrits avec le consentement éclairé des personnes interrogées. Les données ont été anonymisées. Nous avons procédé au codage de nos transcriptions au moyen d’un logiciel d’analyse qualitative, avec comparaison des résultats entre les chercheuses. Au lieu de procéder par phases successives, nous avons opté pour une approche abductive (Blaikie, 2000), faisant des allers-retours entre observations empiriques et théorie. Une lecture attentive du matériau transcrit nous a permis de repérer des thèmes liés aux processus et pratiques propres au travail par l’intermédiaire de PPH, en les resituant dans le contexte plus large des expériences professionnelles vécues dans le secteur juridique. Pour réaliser notre codage thématique, nous nous sommes appuyées sur les cinq catégories définies par Acker, tout en restant ouvertes à la possibilité de découvrir d’autres éléments. À mesure que nous progressions dans l’analyse, nous avons ajouté des sous-catégories selon une logique inductive. Pour ne pas occulter le vécu général des participants, nous avons évité toute catégorisation excessive (Holloway et Jefferson, 2000). Nous avons ensuite analysé le résultat de notre codage thématique à la recherche de points communs et de différences entre l’expérience des femmes et celle des hommes (le genre des personnes rencontrées est indiqué par H ou F dans le tableau 1), ce qui nous a ensuite permis de procéder à l’analyse secondaire, consistant à explorer sous l’angle du genre les inégalités et les interactions entre travail en ligne et travail classique.

3.2. Présentation des personnes qui ont participé à la recherche

Plus d’un tiers des personnes rencontrées travaillaient par l’intermédiaire de PPH depuis plus de deux ans, et 4 d’entre elles avaient plus de cinq ans d’ancienneté. Un nombre équivalent s’était inscrit au cours des trois mois précédents. Toutes étaient titulaires d’un diplôme en droit de niveau licence et 18 avaient un diplôme de deuxième cycle de l’enseignement supérieur ou une qualification professionnelle en droit. Certaines étaient des avocats ou avocates titulaires d’une assurance professionnelle complète (fully insured solicitors), au sens de la Solicitors Regulation Authority, l’autorité de surveillance des avocats. Les hommes étaient en moyenne plus âgés que les femmes (47 ans contre 34); certains étaient en demi-retraite et l’un vivait à l’étranger; ils étaient plus susceptibles que les femmes d’être non-salariés (7 sur 9) et la plupart d’entre eux avaient quitté la profession juridique après une carrière réussie. Les femmes étaient proportionnellement plus nombreuses à exercer une profession juridique à plein temps en tant que juriste interne dans le secteur public ou privé. Seulement 2 hommes tiraient la totalité de leur revenu de la plateforme, tandis que 5 femmes et 1 homme l’utilisaient uniquement pour se procurer un complément de ressources. Les 8 femmes et 6 hommes restants étaient partiellement tributaires de PPH (travaillant aussi par l’intermédiaire d’autres plateformes, ayant un autre emploi ou une autre activité ou percevant une retraite).

4. Analyse du travail de plateformes et des inégalités

Dans cette partie, nous choisissons le cadre d’analyse des «régimes d’inégalités» théorisé par Acker (2006) pour explorer le lien entre les inégalités structurelles dans le monde du travail ordinaire et les pratiques et situations rencontrées dans l’univers des plateformes. Acker décrit des processus et pratiques à l’œuvre à un niveau relativement élevé et distingue cinq types permettant de comprendre comment les inégalités se reproduisent dans les organisations traditionnelles. Dans cette partie, nous reprenons cette typologie pour structurer l’analyse de nos données afin de mettre en évidence les liens entre l’exercice d’une profession juridique sur le marché du travail ordinaire et la prestation de services juridiques par l’intermédiaire de PPH.

4.1. Exigences générales en matière de travail

Le premier type de processus décrit par Acker (2006), les exigences générales en matière de travail, rend compte de la façon dont le travail est organisé au quotidien et des inégalités que cette organisation produit tout au long de la journée de travail. Dans la plupart des organisations, les structures, les politiques et les pratiques sont la résultante d’attentes fondées sur des stéréotypes de genre. Très exigeants sur le plan de la formation et de l’accréditation, les métiers du droit se distinguent en outre par un temps de travail excessif, une culture du présentéisme et un rythme effréné (Pringle et al., 2017; Tomlinson et al., 2013). L’application à la réalité quotidienne du travail de plateformes de la typologie définie par Acker révèle des différences entre hommes et femmes. Les hommes de notre échantillon portaient globalement un regard négatif sur leur parcours dans le secteur juridique malgré une carrière professionnellement et financièrement réussie. Ainsi, l’un d’eux a estimé que les cabinets juridiques avaient une «organisation très proche de celle d’une “famille mafieuse”» (H01PPH)1. Ils étaient à la recherche d’autres manières d’exploiter leur expérience professionnelle et présentaient leur activité par l’intermédiaire de PPH comme un «choix positif» (James, 2022) qui leur donnait accès à des débouchés intéressants: «Je regrette de ne pas avoir su plus tôt que ce marché [PPH] existait, parce que, si j’avais su, je pense que je n’aurais pas travaillé pour un cabinet. […] C’est un peu comme si je faisais un pied de nez à la profession juridique ordinaire» (H02PPH).

À l’inverse, les femmes étaient plus nombreuses à cumuler leur activité par l’intermédiaire de PPH avec l’exercice d’une profession juridique à plein temps. Dans les cabinets traditionnels, faire carrière implique de privilégier le travail par rapport à la famille, et le travail à temps partiel peut être perçu comme le signe d’un manque d’engagement professionnel (Pringle et al., 2017; Tomlinson et al., 2013). Toutefois, deux femmes seulement avaient quitté un poste prestigieux à cause d’un temps de travail excessif. L’une d’elles avait renoncé, à la naissance de son enfant, à l’emploi qu’elle occupait dans un cabinet, parce que «travailler en fonction de l’emploi du temps de quelqu’un d’autre n’était plus vraiment possible pour [elle]» (F02PPH). Lorsque nous l’avons rencontrée pour la deuxième fois, elle avait dû recommencer à travailler à temps partiel comme juriste, parce que PPH ne lui procurait pas un revenu suffisant.

Dans le cas de l’activité accomplie par l’intermédiaire de PPH, les exigences générales englobaient principalement le travail non rémunéré nécessaire pour répondre aux offres de missions, réponse qui doit se faire rapidement. Lorsque l’on commence à travailler, il est primordial d’accumuler des projets pour obtenir des avis de clients; ces avis sont très recherchés, parce qu’un prestataire qui n’acquiert pas de réputation sur la plateforme risque de gagner moins d’argent (Wood et al., 2019). Le deuxième entretien a montré que les femmes étaient moins enclines que les hommes à travailler durablement via PPH, si bien qu’elles étaient aussi plus nombreuses qu’eux à ne pas avoir encore assez d’avis. En conséquence, pour avoir du travail, elles se montraient peu exigeantes: «Du fait que mon profil est relativement nouveau et que je n’ai pas encore d’avis, il y a peu de chances que les gens me choisissent, sauf si je propose le prix qui a des chances d’être le plus bas; j’ai donc commencé à proposer le tarif le plus bas que je pouvais accepter» (F09PPH).

Comme elles travaillaient en parallèle dans le secteur juridique, les femmes que nous avons rencontrées étaient plus susceptibles d’utiliser la plateforme de manière intermittente, profitant de leur pause-déjeuner ou attendant le soir pour consulter leur téléphone et regarder si de nouvelles offres étaient disponibles, raison pour laquelle les missions peu lucratives représentaient une plus forte proportion de leur activité. Il existe donc une différence entre hommes et femmes en ce qui concerne la force du lien avec la plateforme: les femmes qui travaillent à plein temps étaient en position défavorable, parce qu’elles ne pouvaient pas postuler rapidement à une offre: «Si je vois que 15 ou 18 autres personnes ont déjà répondu, je ne réponds pas, même si la mission paraît géniale» (F02PPH). À cela s’ajoute une capacité limitée à accepter de gros projets ou des délais courts qui les conduisait à proposer des services formatés à un tarif forfaitaire (par exemple rédaction d’un accord de protection de la propriété intellectuelle pour 60 livres sterling). Ces contraintes temporelles les condamnaient à «enchaîner des missions mal payées» (Demirel, Nemkova et Taylor, 2021, p. 23), qui pouvaient être récurrentes, mais étaient rarement suivies d’un projet complémentaire pour le même client. L’absence de régularité de l’activité conduisait les femmes à exécuter les tâches les moins gratifiantes et les moins lucratives, ce qui augmentait leur probabilité de quitter la plateforme.

Les hommes que nous avons interrogés ont intégré la réponse aux offres dans leur emploi du temps quotidien: «Je réponds à des offres à n’importe quel moment de la journée […]. Une fois qu’on a fait son profil, quand on vérifie régulièrement et qu’on postule très vite, en général on décroche la mission» (H02PPH). L’expérience acquise dans un cabinet juridique et sur la plateforme leur permettait d’avoir les compétences nécessaires pour repérer les projets intéressants et répondre en faisant un «copier-coller d’une présentation toute prête» (H08PPH) et de rentabiliser ainsi leur effort. Pour ne pas consacrer trop de temps à la recherche de missions, ils adoptaient une approche stratégique: «je ne postule pour une mission que si: a) je pense que j’ai une chance de la remporter; et b) elle peut a priori être rémunérée à un tarif qui me convient» (H05PPH).

La volonté de se constituer une clientèle pour pouvoir ensuite lui proposer des services directement de manière à économiser la commission prélevée par la plateforme est un thème qui est revenu de façon récurrente parmi les personnes les plus dépendantes de PPH financièrement. Les femmes de notre échantillon étaient moins nombreuses que les hommes à avoir cet objectif, mais nous avons néanmoins pu constater des écarts en fonction du genre: elles appliquaient des tarifs plus bas, si bien que, une fois leur clientèle établie, elles quittaient la plateforme pour ne plus avoir à payer la commission de 20 pour cent, estimant que cette démarche «était bénéfique aux deux parties: les clients ne paient pas de commission et moi non plus» (F07PPH). À l’inverse, les hommes qui facturaient des prix plus élevés continuaient d’exploiter les avantages de la plateforme des années après leur première inscription, se qualifiant eux-mêmes de «vétérans de PPH». Le commentaire suivant en dit long sur l’intérêt qu’ils retirent de l’expérience acquise: «Je considère que c’est un plus; tout ce qui vient de PeoplePerHour est un plus. Vous savez, avec le recul, je pense que la commission est probablement méritée, étant donné le volume de travail que la plateforme m’a apporté sans que j’aie à faire trop d’efforts» (H08PPH).

4.2. Classification des emplois

Acker (2006) met en évidence un deuxième type de processus, en l’occurrence une classification hiérarchique des emplois assortie d’un barème de rémunération. Les hiérarchies les plus verticales se rencontrent dans les administrations traditionnelles (Acker, 2009), tandis que les plateformes sont des organisations plus plates, qui comptent donc moins de catégories hiérarchiques. Dans le secteur juridique, cette hiérarchie repose sur une segmentation horizontale au sein de laquelle chaque segment correspond à une rémunération, à des perspectives de carrière et à des conditions de travail spécifiques, étant entendu que les femmes et les minorités sont plus souvent que les autres reléguées aux segments peu lucratifs (Tomlinson et al., 2019). Sur PPH, le degré de dépendance financière à la plateforme constitue le principal critère de différenciation hiérarchique. Contrairement aux travaux de recherche existants (voir EIGE, 2020; OIT, 2021), nous avons constaté que les hommes, qui étaient en majorité des travailleurs indépendants sans salariés, dépendaient plus de la plateforme sur le plan financier que la plupart des femmes. Les participantes qui exerçaient une profession juridique à plein temps utilisaient PPH pour se procurer un complément de revenu. Ce constat est en réalité révélateur des inégalités à l’œuvre sur le marché du travail classique, où les femmes sont moins bien rémunérées que les hommes et ont un statut inférieur (Bolton et Muzio, 2008), si bien qu’elles sont confrontées à davantage de difficultés financières. L’une de celles que nous avons rencontrées a expliqué avoir été obligée de chercher des missions sur PPH, parce qu’elle avait peu de revenu pendant qu’elle se préparait à passer sa qualification en droit: «Quand j’y pense: on étudiait l’égalité et les discriminations et tous les droits humains et, une fois sur le terrain, c’est la jungle et il faut se battre pour survivre» (F01PPH).

Les autres femmes utilisaient PPH comme un tremplin pour se lancer dans une carrière à leur compte. Bon nombre d’entre elles s’étaient heurtées à des difficultés pour accéder à un emploi classique dans un cabinet d’avocats mais, après avoir obtenu les diplômes nécessaires, elles étaient déterminées à réussir. Certaines cumulaient des missions par l’intermédiaire de PPH et un emploi alimentaire. D’autres encore voyaient PPH comme un moyen d’accéder à un marché du travail par ailleurs fermé et de s’implanter dans une profession profondément inégalitaire. Une participante originaire d’Europe orientale a fait observer que ses candidatures n’aboutissaient pas, parce qu’elle avait les bons diplômes mais le «mauvais nom» (F08PPH). Une autre femme a fait une observation similaire au sujet des difficultés qu’elle avait rencontrées en tant qu’immigrée:

J’ai d’abord travaillé au cabinet pendant six mois pour acquérir de l’expérience; je n’étais pas payée et c’est très difficile de vivre à Londres quand on n’est pas payé. Ensuite, ils m’ont proposé un emploi et j’ai travaillé pour eux pendant quatre mois comme salariée mais, à cause de mon visa, il a fallu que je change. J’ai été obligée de convertir mon visa en autorisation de travailler à mon compte. C’est la raison pour laquelle je travaille comme indépendante et aussi pour PPH (F04PPH).

En Angleterre et au Pays de Galles, les femmes et les personnes issues des minorités qui exercent la profession d’avocat travaillent souvent dans de petits cabinets locaux spécialisés en droit de la famille, de l’immigration et du logement par exemple (Bolton et Muzio, 2008; Tomlinson et al., 2019). Sur PPH, bien que les prestataires soient spécialisés dans des domaines particuliers, la hiérarchie entre des branches diversement lucratives observée sur le marché du travail traditionnel est nettement moins flagrante. Il existe cependant des hiérarchies fondées sur l’expérience et les compétences, qui se traduisent par des différences de tarif horaire. Ces tarifs, conjugués au nombre de projets que les personnes ont à leur actif, sont un indicateur symbolique des compétences et de l’expertise: «On me préfère à d’autres pour certaines raisons, à commencer par mon expérience du secteur, mais aussi la position de mon profil par exemple» (H09PPH). Pratiquer des tarifs relativement élevés attire un type bien particulier de clients, avec lesquels il est ensuite possible de soigner ses relations pour obtenir d’autres travaux et enrichir son portefeuille de projets. Nous avons constaté un lien entre la plus grande dépendance financière des hommes à l’égard de la plateforme et leur capacité à obtenir une rémunération plus élevée. Ils ont ainsi pu bâtir un avenir autour de PPH, d’où leur ancienneté plus longue. Les hommes étaient en mesure de s’appuyer sur leur expérience positive de telle manière que la plateforme leur procurait un revenu suffisant, tandis que, pour les femmes, les sommes perçues par l’intermédiaire de PPH n’étaient généralement qu’un complément de revenu ou une solution d’attente.

4.3. Recrutement et affectation

Le troisième type de processus défini par Acker – le système de recrutement et d’affectation – renvoie au processus consistant à recruter un travailleur et à l’affecter à un poste particulier, en recherchant dans l’idéal un «travailleur sans contraintes», autrement dit une personne entièrement disponible, qui n’a aucune obligation familiale tout en étant dotée du niveau de compétences requis (Acker, 2006). En Angleterre et au Pays de Galles, le recrutement dans la profession juridique se caractérise par la domination numérique des femmes, majoritaires au niveau de l’entrée dans la profession (SRA, 2021). Elles se heurtent cependant ensuite à des barrières structurelles qui entravent leur évolution de carrière (Bolton et Muzio, 2008); de surcroît, le taux de déperdition des effectifs féminins demeure problématique et il est établi qu’il y a un exode des femmes (Kay, Alarie et Adjei, 2016). Plusieurs des personnes que nous avons interrogées jugeaient qu’il valait mieux «être sa propre patronne» qu’affronter un lieu de travail hostile ou désagréable. Ce sentiment était particulièrement fort chez celles qui avaient quitté un cabinet classique pour devenir travailleuses indépendantes et qui se sentaient donc moins concernées par les controverses autour du statut professionnel des travailleurs de plateformes. Pour celles qui occupaient un poste salarié et n’utilisaient la plateforme que pour compléter leur revenu, les inconvénients du non-salariat étaient dans une large mesure purement théoriques, puisque leur poste salarié leur procurait une protection sociale. Ce constat montre bien que le travail de plateformes est une forme de parasitisme, en ce sens qu’il dépend du soutien garanti par l’emploi classique.

Les notes et avis envoient un message sur la réputation des prestataires, renseignant sur leur fiabilité et leur compétence. Dans l’ensemble, les participants à l’étude avaient obtenu des avis positifs, avec des notes comprises entre 4,5 et 5, sans différence évidente en fonction du genre – à noter que le risque de biais de sélection ne peut être écarté, les prestataires mal notés étant plus susceptibles que les autres de quitter la plateforme. Ils considéraient en revanche comme un obstacle plus grand la nécessité d’avoir des performances à faire valoir, c’est-à-dire d’avoir à leur actif un certain nombre de projets, à la fois pour accroître leur visibilité en ligne, mais aussi pour prouver leur compétence professionnelle, pour fournir «une garantie supplémentaire […] en démontrant que les avis des clients sont cohérents» (H05PPH). Cette contrainte contribue à la différence, fondée sur le genre, entre les personnes qui ont un lien distendu avec la plateforme et celles qui ont un lien étroit, les femmes ayant en moyenne 16 projets à leur actif contre 143 pour les hommes. Contrairement aux notes, ces chiffres mettent en lumière une inégalité importante, qui influe sur la capacité à obtenir des missions. Le nombre de projets (et le tarif horaire) reproduit les hiérarchies, parce qu’il véhicule un message sur l’expertise que les prestataires ont acquise au fil du temps en cumulant une carrière réussie dans le secteur juridique traditionnel et une expérience fructueuse sur PPH.

Nous avons en outre constaté que le recrutement et l’affectation ne sont pas des mécanismes unidirectionnels sur PPH. Plusieurs des personnes que nous avons rencontrées effectuaient une sélection parmi les missions proposées, éliminant «un grand nombre d’offres sans intérêt» (F02PPH) parmi celles qui leur étaient envoyées directement. Bon nombre d’entre elles se montraient critiques vis-à-vis des clients, estimant qu’ils n’avaient pas conscience des coûts liés à la prestation de services juridiques et que certains étaient exigeants quant au résultat, mais n’étaient prêts à payer qu’un prix bas. Les personnes les plus expérimentées éliminaient très vite ces offres: «Si leur proposition est mal formulée et s’ils n’expriment pas clairement ce qu’ils veulent […]. C’est un peu comme si je ne comprends même pas ce qu’on me demande, je ne comprends pas la question» (F05PPH). La capacité à éviter les clients qui proposent des missions non rentables en les repérant rapidement est déterminante pour espérer retirer un revenu satisfaisant du travail: «De manière générale, les clients n’ont aucune idée de ce qu’est la qualité quand il est question de services juridiques. Avec ceux qui en ont une, je décroche quasiment toujours la mission» (H05PPH).

Le travail ne provient pas toujours directement des clients. Avoir un réseau est indispensable à la progression de carrière et à la prospérité des prestataires de services spécialisés, et cet impératif contribue à perpétuer les inégalités entre hommes et femmes (Mickey, 2022). Les travailleurs indépendants doivent pouvoir s’appuyer sur un réseau pour trouver des clients et gagner leur vie (Demirel, Nemkova et Taylor, 2021). Sur PPH, les missions circulaient entre un petit nombre d’hommes qui avaient été membres d’une communauté professionnelle durant leur carrière. Plusieurs des personnes que nous avons interrogées nous ont expliqué que le fait de connaître d’autres prestataires répondant régulièrement aux offres avait progressivement fait émerger un petit réseau informel dont les membres recommandaient les services de confrères en qui ils avaient confiance:

L’une des choses qu’a réussi à faire PPH au cours des années a été d’aboutir à la création d’un réseau de personnes qui sont dans le même état d’esprit. Nous utilisons ce réseau comme un système de recommandations entre confrères, parce que nous savons à qui nous pouvons faire confiance dans tel ou tel domaine. Et il y a probablement trois ou quatre personnes que je pourrais aimer avoir dans mon propre réseau, je veux dire du point de vue de leur discipline juridique, parce que nous avons tous des spécialités […] donc nous nous échangeons des jobs. Et je suis heureux de recommander des gens, pas à l’intérieur mais à l’extérieur de PPH, parce que je les connais (H08PPH).

Les réseaux sont en général composés de personnes présentant les mêmes caractéristiques et excluent les autres (Acker, 2009). En l’espèce, ce réseau homosocial permettait à des hommes exerçant comme travailleurs indépendants d’échanger mutuellement des missions. Un participant l’a décrit en ces termes: «C’est un bon petit réseau pour moi, et pour eux aussi» (H05PPH). Lorsque la mission proposée par un client exigeait des compétences que ne possédait pas le prestataire, elle était diffusée au sein d’un réseau d’échanges réciproques, ce qui pénalisait les femmes, extérieures à ce cercle. Forts de l’expérience acquise dans les cabinets juridiques, les hommes étaient à même de constituer des réseaux informels et d’établir des relations qui leur permettaient d’être recommandés à des clients et orientés vers des missions.

4.4. Fixation des salaires et pratiques de surveillance

Le quatrième type de processus a trait à la fixation des salaires, c’est-à-dire à la répartition du surplus entre le travail et le capital, et aux pratiques de surveillance, autrement dit aux mécanismes de contrôle (Acker, 2006). Ces aspects sont très variables et reflètent très souvent des hiérarchies (Acker, 2009). La profession juridique présente une forte stratification verticale, qui entraîne des inégalités de rémunération au détriment des femmes et des personnes de couleur (Tomlinson et al., 2019). À première vue, PPH laisse plus de place à la méritocratie, étant donné que les prestataires indépendants définissent eux-mêmes leurs tarifs. Ils le font cependant dans un contexte marqué par des normes professionnelles et par des préjugés concernant la valeur du travail des femmes et des hommes. Comme le montre le tableau 1, les tarifs horaires pratiqués par les femmes étaient compris entre 6 et 120 livres et s’établissaient en moyenne à 48 livres, tandis que ceux demandés par les hommes variaient de 25 à 250 livres, pour une moyenne de 99 livres. Le tarif horaire médian pratiqué par les femmes (30 livres) était à peine plus élevé que le tarif le plus bas demandé par les hommes (25 livres), ce qui signifie que près de 50 pour cent des femmes gagnaient moins que l’homme le moins bien rétribué. Le montant total du revenu perçu par l’intermédiaire de PPH était compris entre 0 et 10 000 livres (correspondant à 81 projets) pour les femmes, avec une moyenne de 1 860 livres; et entre 0 et 130 000 livres (635 projets) pour les hommes, avec une moyenne de 33 000 livres. Ces écarts s’expliquent par le nombre de projets menés à bien, mais reflètent aussi la stratification de la profession juridique classique, qui permet aux personnes présentant certaines caractéristiques de renforcer leurs compétences pendant plus longtemps et de pratiquer en conséquence des honoraires plus élevés. L’expérience antérieure acquise sur le marché du travail ordinaire fournit des capacités précieuses, ce qui se traduit, sur les plateformes, par une hiérarchie structurée en fonction des honoraires facturés.

Les écarts de rémunération entre hommes et femmes sont importants et ont plusieurs causes. Étant donné la nature du travail de plateformes, les femmes ne sont plus pénalisées par l’employeur ou par des évaluations discriminatoires de travaux de valeur comparable. Toutefois, il est établi qu’elles tirent en général moins bien leur épingle du jeu que les hommes lorsque la rémunération résulte de négociations individuelles, en ce sens qu’elles fixent des tarifs plus bas et acceptent des tâches moins bien payées (Piasna et Drahokoupil, 2017). On pourrait sans doute y voir le signe d’une tendance à sous-estimer la valeur de leur propre travail. Beaucoup des femmes que nous avons rencontrées en étaient conscientes, comme l’attestent les propos de l’une d’elles: «Comparativement à ce que demanderait un cabinet d’avocats, je propose un bon rapport qualité-prix» (F13PPH). Toutefois, aborder cette question sous l’angle du comportement individuel conduit à occulter le biais structurel. Or, cette tendance des femmes à se sous-estimer reproduit les normes et les préjugés qui ont cours dans le monde du travail traditionnel. Comme les hommes de notre échantillon étaient plus rompus aux pratiques des cabinets juridiques, il leur était plus naturel d’exiger le tarif du marché. Un participant expérimenté nous a permis de comprendre pourquoi sa longue expérience le conduisait à préférer appliquer un tarif horaire plutôt qu’un forfait: «Naturellement, j’essaie toujours de limiter ce qu’ils incluent dans le prix. Parce que sinon c’est un peu comme signer un chèque en blanc et dire que, pour cette somme, ils peuvent me faire travailler autant de temps qu’ils veulent. Ça ne peut pas marcher, parce que mon temps a un certain prix» (H09PPH).

La deuxième série d’entretiens a montré une persistance de l’écart de rémunération entre hommes et femmes et a mis en lumière les répercussions de cet écart sur l’attachement des prestataires à la plateforme. Cinq des 6 femmes qui avaient cessé leur activité via PPH ont expliqué s’être radiées, parce que leur revenu était trop faible et trop aléatoire. Une autre (F11PPH) n’avait pas vraiment vu sa situation évoluer: les clients pour lesquels elle travaillait par l’intermédiaire de PPH continuaient de représenter 10 pour cent de sa clientèle. À l’inverse, 4 des 5 hommes ont fait état d’une plus grande demande, d’une amélioration de la qualité des projets, d’une hausse des tarifs horaires et d’une augmentation de leur nombre d’heures de travail.

Pour ce qui est des pratiques de surveillance, les relations professionnelles ne peuvent pas se résumer à une opposition binaire entre autonomie et contrôle, en raison d’une part du statut de travailleur indépendant et d’autre part de la nature spécialisée des services juridiques. Le fonctionnement des plateformes obéit à des logiques diverses, et il est d’autant plus difficile d’assurer une surveillance et un contrôle des performances des prestataires que leur travail exige des connaissances complexes. Néanmoins, PPH applique diverses pénalités censées améliorer la qualité des services, par exemple une rétrogradation de la note en cas de non-respect du délai ou de réponses tardives. Ces mécanismes «incitatifs» reposant sur un critère de temps pénalisent plus les personnes qui ont un lien distendu avec la plateforme et en particulier celles, majoritairement des femmes, qui doivent jongler entre les missions effectuées par PPH et un emploi à plein temps. Ces pratiques participent donc à la perpétuation des inégalités entre hommes et femmes dans le monde du travail.

4.5. Interactions informelles au travail

Le dernier type de processus, les interactions informelles au travail, recouvre les relations quotidiennes qui ont lieu au travail, faites de pratiques subtiles qui reproduisent les inégalités (Acker, 2006) et qui sont souvent en contradiction avec les politiques officielles (Healy et al., 2019). Ces interactions courantes sont empreintes de préjugés et engendrent des alliances et des exclusions. Les stéréotypes de genre et les pratiques discriminatoires sont omniprésents dans la profession juridique (Sommerlad et al., 2013). Alors que la plupart des cabinets affichent avec ostentation leur détermination à promouvoir l’égalité et la diversité, les mécanismes prévus à cette fin sont souvent opaques et fondés sur une reproduction homosociale (Tomlinson et al., 2013). Sur PPH, il est difficile de repérer des interactions à l’origine d’iniquités structurelles, peut-être en raison du caractère fragmenté et ponctuel du travail. Les femmes qui ont participé à notre étude ont fait état d’une absence d’interactions sociales, voire, pour plusieurs d’entre elles, d’un isolement: «Il n’y a pas vraiment matière à discuter. Vous savez que d’autres ont répondu à une offre, mais vous ne savez ni qui ils sont, ni ce qu’ils ont dit ni quoi que ce soit d’autre» (F09PPH).

Même si nos répondantes n’ont pas expressément fait mention d’une discrimination ouverte sur PPH, nos données démontrent l’existence de discriminations occultes, parce que les réseaux au sein desquels sont diffusées les offres de missions conduisent à priver les femmes de possibilités de travail. La manière dont les réseaux sont constitués reproduit les inégalités de genre (Mickey, 2022) et rappelle ce qui est observé dans les cabinets juridiques traditionnels, où la promotion repose principalement sur les réseaux tissés par les hommes (Kay, Alarie et Adjei, 2016). Alors que les femmes se sentent isolées par rapport aux autres prestataires travaillant par l’intermédiaire de la plateforme, les hommes qui se qualifient de «vétérans de PPH» sont unis par des liens forts, parce qu’ils utilisent la plateforme régulièrement et ont conscience de la présence de pairs. Durant le deuxième entretien, deux membres de ce réseau nous ont dit que leur collaboration en ligne s’était récemment intensifiée et qu’ils s’étaient lancés ensemble dans un projet de création d’une plateforme de travail numérique offrant des services spécialisés:

J’ai eu les mêmes conversations avec plusieurs personnes valables auxquelles j’ai affaire sur PPH; on a décidé de réfléchir ensemble et en réalité on est en train de créer un site. […] Notre idée, c’est de créer la première plateforme détenue par des Britanniques, située en Grande-Bretagne et dotée d’un service client britannique. Il y a donc une question de confiance. […] Au fond, ce qu’on veut, c’est reproduire PeoplePerHour, mais sans ses défauts, puisqu’on les connaît (H04PPH).

Cette conséquence de l’existence de réseaux renforce le déséquilibre entre position de force et position de faiblesse, perpétuant la domination masculine dans le monde du travail (Mickey, 2022).

Les relations avec des clients potentiels portent également la marque des inégalités de genre, reflétant elles aussi le degré d’attachement à PPH et les répercussions (financières) qui en résultent. Plusieurs des femmes rencontrées, évoquant la création d’une clientèle, ont expliqué qu’elles commençaient par avoir un contact avec «chacun de leurs clients par téléphone ou par Skype» (F08PPH) pour clarifier le projet et les attentes du client. Elles étaient conscientes des conséquences de ce travail non rémunéré: «À la fin, ça représente beaucoup de travail pour rien en réalité» (F13PPH). À l’inverse, les hommes avaient généralement mis au point des stratégies pour éviter le plus possible de travailler gratuitement: «Je propose au client une communication téléphonique gratuite de cinq minutes s’il y a besoin de s’entendre sur certaines choses; au-delà de cinq minutes, je facture» (H02PPH). Quelle que soit l’approche retenue, la plupart des participants reconnaissaient qu’il était utile d’établir des relations durables et d’avoir des missions complémentaires d’un même client mais, du fait de contraintes structurelles, rares sont les femmes qui avaient travaillé suffisamment longtemps par l’intermédiaire de PPH pour en profiter.

5. Discussion et conclusions

Dans cet article, nous avons examiné les mécanismes par lesquels les inégalités professionnelles à l’œuvre sur le marché du travail classique influent sur la situation des travailleurs de plateformes. Établir un lien entre la profession juridique et la prestation de services juridiques via une plateforme nous a permis d’expliquer les inégalités entre hommes et femmes observées dans l’univers des plateformes à la lumière des inégalités structurelles de genre qui existent sur le marché du travail traditionnel. Ces inégalités sont reproduites sur les plateformes et jouent un rôle déterminant dans l’expérience vécue par les travailleurs et dans leur situation.

Notre article vient d’abord enrichir les travaux sur les plateformes, relativement peu nombreux à explorer les inégalités. Nous nous intéressons à un secteur particulier de l’économie traditionnelle dans lequel ces inégalités ont été démontrées et cherchons à savoir ce qui les provoque et si elles sont reproduites, éliminées ou accentuées dans l’économie des plateformes. Les études consacrées à la profession juridique dépeignent un milieu où «l’hypermasculinité» est la règle (Pierce, 1995), dans lequel les modes de travail typiquement masculins sont privilégiés, si bien que les hommes connaissent une meilleure évolution de carrière que les femmes (Pringle et al., 2017; Sommerlad et al., 2013; Tomlinson et al., 2019). Nous avons montré que les personnes qui ont tiré parti des inégalités présentes dans le secteur juridique ordinaire importent dans l’univers des plateformes les avantages que procurent les connaissances, compétences et ressources qu’elles ont accumulées. En comparant l’économie traditionnelle et l’économie des plateformes, nous améliorons la compréhension des inégalités dans le monde des plateformes, parce que nous ne nous cantonnons pas à constater les écarts de revenu, la ségrégation professionnelle et les pratiques ouvertement discriminatoires.

Schor (2020) aborde l’hétérogénéité du travail de plateformes en affirmant qu’il existe une «hiérarchie des plateformes», caractérisée par des différences sur le plan de la satisfaction, du degré de dépendance financière et des conditions de travail. Caza et ses coauteurs (2022) confirment que les réalités vécues diffèrent en fonction des plateformes; il y a donc différentes catégories d’exploitation, et certaines formes de travail de plateformes représentent une variante extrême du capitalisme néolibéral. Ces deux études (Caza et al., 2022; Schor, 2020) montrent que, globalement, le sort des travailleurs est meilleur sur les plateformes qui proposent du travail qualifié et bien rémunéré et où l’autonomie est plus grande. Nous enrichissons ces constatations en nous concentrant sur une seule profession et une seule plateforme et en montrant que les disparités existant dans le monde des plateformes proviennent d’inégalités systémiques présentes sur le marché du travail dans la profession concernée. Dans la lignée de Schor, nous constatons que les travailleurs qui perçoivent le revenu le plus élevé jouissent souvent d’une autonomie et d’une latitude plus grandes et sont plus satisfaits de leur vie professionnelle. En revanche, nous parvenons à des conclusions différentes concernant la dépendance financière. Contrairement à Schor, nous constatons que les prestataires qui dépendent le plus de PPH sur le plan financier sont moins nombreux à considérer que leur situation est précaire. Ils jouissent d’une grande autonomie, perçoivent un revenu élevé et se montrent sélectifs concernant les missions qu’ils effectuent, voyant PPH comme une place de marché en ligne utile qui leur procure du travail. Pour les personnes qui en sont beaucoup moins tributaires financièrement, PPH est un système qui permet de faire des «heures supplémentaires» et de percevoir un complément de revenu afin de compenser l’inégalité de traitement dont elles sont victimes dans le secteur. Ces personnes sont en butte à un ensemble d’inégalités inhérentes à la profession, qui les empêchent d’accéder à des missions et projets bien payés sur la plateforme.

La flexibilité, vantée comme un atout du travail de plateformes, attire les personnes qui doivent assumer des obligations familiales (Berg, 2016; Churchill et Craig, 2019; EIGE, 2020; OIT, 2021; Milkman et al., 2021). Dans cet article, nous avons cherché à savoir si la division du travail reproductif conduisait les femmes à quitter le secteur du droit traditionnel, souvent hostile, pour se tourner vers les plateformes afin d’échapper à la rigidité des horaires et de pouvoir mieux concilier travail et vie de famille. Nous avons constaté que la flexibilité perçue était essentielle pour les femmes, parce qu’elle leur permet non pas de jongler entre obligations familiales et obligations professionnelles, mais d’intercaler des missions sur PPH entre d’autres engagements professionnels. Nous ne remettons pas en cause les études qui montrent l’incidence du travail reproductif sur les inégalités présentes dans l’univers des plateformes (Adams-Prassl et al., 2025; Churchill et Craig, 2019; Gerber, 2022; James, 2022; Milkman et al., 2021), mais nous complétons et enrichissons ces travaux en révélant que ces inégalités sont le reflet de celles qui sévissent sur le marché du travail traditionnel, dont le travail de plateformes fait partie intégrante.

Notre recherche montre que le cadre théorique des «régimes d’inégalités» élaboré par Acker (2006) peut être appliqué à d’autres objets que les organisations traditionnelles, et en particulier aux plateformes. L’un des écueils rencontrés pour analyser le travail de plateformes tient à la difficulté d’appréhender la subtilité de processus d’organisation apparemment neutres lorsque l’essentiel du travail est ponctuel. Les processus et pratiques décrits par Acker (2006) pour les organisations traditionnelles ne sont pas transposés à l’identique dans le monde des plateformes: ils ont été reformulés et amplifiés, reproduisant les inégalités selon des modalités nouvelles. Ils diffèrent de ceux rencontrés dans les professions exercées sur le marché du travail traditionnel dont viennent les travailleurs, mais ils les renforcent. Le cadre construit par Acker nous permet de repérer et d’analyser des disparités qui sont en apparence mineures mais qui, ensemble, contribuent à créer des situations inégalitaires, comme nous l’avons montré grâce à la composante longitudinale de notre étude. Il est important de ne pas s’arrêter au caractère innovant des plateformes et de tenir compte des contraintes séculaires inhérentes au marché du travail. Les plateformes reproduisent l’organisation du travail genrée (Acker, 1990), qui est à l’œuvre à plusieurs niveaux (Healy et al., 2019) et perpétue les handicaps importants qui pénalisent les femmes.

La recherche sur les inégalités de genre montre que les femmes ont une probabilité plus forte que les hommes de tirer leur revenu principal des plateformes (Churchill et Craig, 2019; EIGE, 2020) et que la dépendance économique a un impact négatif sur ce qu’elles vivent et sur leur situation (Schor, 2020). Dans cet article, nous confirmons qu’il existe des différences entre hommes et femmes concernant la dépendance financière à l’égard des plateformes, sans pour autant parvenir aux mêmes conclusions. Pour comprendre cette divergence, il faut examiner la manière dont les inégalités en matière d’accès, de parrainage et de promotion (Pierce, 1995) dans la profession juridique conduisent les femmes à rechercher un complément de revenu et perpétuent ainsi leur position de faiblesse. Les femmes qui occupent un emploi ordinaire s’inscrivent sur la plateforme pour compléter leur revenu, mais ce cumul de contraintes professionnelles avec un travail intermittent via la plateforme les empêche de s’investir pleinement dans un environnement en ligne concurrentiel, dans lequel les délais jouent un rôle important (James, 2022). Par comparaison, les hommes dépendent plus de PPH, parce qu’elle leur procure un revenu important. En conséquence, ils sont très présents sur la plateforme et répondent rapidement aux offres. Ils tirent profit d’une carrière solide qui leur a permis d’accéder à la sécurité financière et ne subissent donc pas les répercussions de la précarité souvent associée au travail de plateformes. Ces différences de situation entre travailleurs de plateformes reflètent des disparités structurelles provenant des inégalités professionnelles à l’œuvre sur le marché du travail.

Notre article enrichit également la recherche sur les écarts de rémunération entre hommes et femmes travaillant par l’intermédiaire de plateformes (Adams-Prassl et al., 2025; Barzilay et Ben-David, 2017; EIGE, 2020), parce qu’il met en lumière des différences de perception de la valeur de l’expérience acquise sur le marché du travail traditionnel. Les normes et pratiques institutionnelles des cabinets juridiques ont contribué à ce que les hommes et les femmes n’aient pas la même perception de leur propre valeur (Pierce, 1995), puisque les femmes, qui sont moins favorisées financièrement, finissent par travailler pour un tarif plus bas. Il en résulte de gros différentiels en termes de tarifs horaires et de revenus acquis sur PPH. Les femmes qui ont une activité professionnelle n’ont souvent pas la possibilité d’accepter de gros projets, de nouer des relations durables avec les clients ou d’effectuer une mission complémentaire, plus rentable, pour le même client. Après avoir constitué leur clientèle, les travailleuses indépendantes qui ne pouvaient plus travailler dans un cabinet traditionnel avaient tendance à quitter la plateforme. Celles qui manquaient d’expérience et de références dans la profession juridique étaient mal rémunérées sur la plateforme, surtout après déduction de la commission. Les plateformes telles que PPH peuvent donc être vues comme une porte d’entrée sur le marché du travail pour les femmes qui tentent d’accéder à une profession où les inégalités sont systémiques. La composante longitudinale de notre étude nous a permis d’obtenir des informations supplémentaires sur les écarts de rémunération. À la différence des femmes, la plupart des hommes travailleurs indépendants continuaient à travailler par l’intermédiaire de la plateforme, parce que cette activité était rentable par rapport à l’effort investi. Ils tiraient parti de leur ancienneté, car les avis et projets accumulés étaient positifs pour leur réputation, ce qui reproduisait les inégalités préexistantes.

La gestion algorithmique porte l’empreinte de logiques de contrôle plus vastes, et il est possible que les formes directes de contrôle ne servent pas les intérêts de PPH, étant donné la composition de son vivier de prestataires. Pour autant, les sanctions «incitatives» imposées aux prestataires qui répondent plus lentement aux offres pénalisent les personnes qui peinent à réagir rapidement et à donner la priorité au travail de plateformes. Ce constat valide le concept du «travailleur sans contraintes» théorisé par Acker (2006). Nous avons montré que les inégalités sont produites de manière moins flagrante que ce que laisse penser le débat sur les plateformes, dominé par la question des tensions entre contrôle et autonomie. Contrairement à Demirel, Nemkova et Taylor (2021), pour qui les structures des plateformes atténuent le rôle des relations sociales dans l’attribution du travail, nous montrons que des relations marquées par un clivage entre les genres sont apparues sur PPH sous la forme d’un réseau informel d’entraide et d’échange de missions. Bien que les membres de ce réseau ne se comportent pas comme des collègues au sens traditionnel du terme et puissent être en concurrence pour un même projet, ils ont intérêt à collaborer. Certains ont expliqué renvoyer des clients vers des membres du réseau compétents dans une autre spécialité que la leur, en sachant que la pareille leur sera probablement rendue. Ce subtil jeu d’alliance s’est instauré au fil du temps et a abouti à ce que les projets les plus lucratifs circulent au sein d’un petit cercle exclusif composé de prestataires triés sur le volet. C’est ainsi qu’a été reproduit un réseau d’«anciens» – qui rappelle les pratiques existant dans le secteur juridique traditionnel – numériquement dominé par les hommes et servant leurs intérêts (Pierce, 1995).

Les inégalités de genre présentes dans la profession juridique influent sur les stratégies des membres de PPH. Elles sont amplifiées par des processus propres à la plateforme, tels que la régularité de la participation, les techniques employées pour répondre aux offres de missions et projets, la définition du tarif par le prestataire, la constitution d’un portefeuille de projets plus prestigieux, la recherche de projets complémentaires pour le même client et les représentations en ligne de la compétence. Ces inégalités touchent des travailleurs de plateformes qui proposent les mêmes services et sont issus de la même profession. Bien que les pratiques et processus observés sur les plateformes diffèrent de ce qui est décrit par Acker (2006), nos résultats confirment sa thèse selon laquelle toute organisation comporte des régimes d’inégalités, que l’on peut relier aux inégalités économiques et sociales en général (idem, 2009). Dans l’univers des plateformes, la question du statut professionnel est particulièrement problématique, parce qu’elle est utilisée pour légitimer des pratiques inéquitables censées résulter du «libre-choix» et du fait qu’il revient au prestataire d’estimer sa propre valeur, pratiques à l’évidence fondées sur des inégalités de genre. La réussite continue d’être définie à l’aune des comportements professionnels masculins, parce que fournir des services dans une profession où les inégalités systémiques sont la règle avantage les personnes qui s’investissent réellement dans le travail de plateformes.

Accessoirement, notre article est une contribution aux travaux sur les inégalités dans la profession juridique, jusqu’à présent essentiellement consacrés à l’exercice au sein des entreprises (Tomlinson et al., 2019). Il montre que les inégalités de genre présentes dans le secteur renforcent la hiérarchie entre les genres dans la profession et perpétuent le handicap des femmes sur le marché du travail. Une étude sur le marché des services juridiques en ligne en Chine montre que, s’il est peu probable que ces services perturbent le marché des services juridiques classiques (Yao, 2020), ils peuvent offrir des débouchés aux personnes exclues, à celles qui sont confrontées à des obstacles entravant leur évolution de carrière ou qui cherchent une autre voie que la voie classique. Pour certains, le travail de plateformes est une solution d’attente, tandis que d’autres le voient comme une option durable et plus lucrative. Cette diversité d’expériences illustre le fait que l’on retrouve dans l’environnement en ligne les inégalités évidentes dans la vie.

Notre recherche comporte des limites. Premièrement, les régimes d’inégalités varient d’une organisation à l’autre (Acker, 2006); de futurs travaux pourraient être consacrés au travail de plateformes spécialisé dans les services locaux fournis sur un territoire géographique comme les services de transport. Ces activités sont principalement masculines; en réalité, beaucoup de femmes qui souhaiteraient effectuer ce type de travail de plateformes se sentent dans l’impossibilité de le faire en raison de phénomènes de discrimination, de harcèlement et de violence liés au genre (Fairwork, 2023). Deuxièmement, nous n’avons analysé que les inégalités entre hommes et femmes, en raison des caractéristiques de notre échantillon. Nous savons cependant que le genre s’entrecroise avec diverses autres catégories sociales. L’étude de plateformes moins spécialisées permettrait peut-être d’élargir l’angle d’analyse. Le cadre des régimes d’inégalités se prête tout particulièrement à une approche intersectionnelle des inégalités au travail (Healy et al., 2019); il pourrait être intéressant de se pencher sur la manière dont des identités intersectionnelles multiples peuvent produire des situations et expériences différentes pour les travailleurs de plateformes.

Notes

  1. Voir la note figurant sous le tableau 1.

Conflits d’intérêts

Les auteurs n’ont pas d’intérêts concurrents à déclarer.

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