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Book review

Livres: Escravidão e trabalho forçado: das abolições do século XIX às abolições contemporâneas, Norberto O. Ferreras, Rio de Janeiro: Mauad X/FAPERJ. 2022, 319 pages. ISBN: 978-655-377-016-4.

Auteur: Fabián HERRERA LEÓN (Universidad Michoacana de San Nicolás de Hidalgo)

  • Livres: Escravidão e trabalho forçado: das abolições do século XIX às abolições contemporâneas, Norberto O. Ferreras, Rio de Janeiro: Mauad X/FAPERJ. 2022, 319 pages. ISBN: 978-655-377-016-4.

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    Livres: Escravidão e trabalho forçado: das abolições do século XIX às abolições contemporâneas, Norberto O. Ferreras, Rio de Janeiro: Mauad X/FAPERJ. 2022, 319 pages. ISBN: 978-655-377-016-4.

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Publié le
2025-06-25

Cette note de lecture est également disponible en anglais (International Labour Review, vol. 164, no 2) et en espagnol (Revista Internacional del Trabajo, vol. 144, no 2). Traduit par Isabelle Lauze.

Ouvrage de l’historien du travail Norberto O. Ferreras (membre de l’Université fédérale Fluminense et du Réseau latino-américain d’études sur l’Organisation internationale du Travail), Escravidão e trabalho forçado: das abolições do século XIX às abolições contemporâneas retrace l’histoire de l’inclusion du travail forcé et de ses exemples latino-américains les plus marquants dans les luttes abolitionnistes et décoloniales au niveau mondial. Cette question, souligne l’auteur, n’a été que peu étudiée, malgré l’importance du phénomène, Ferreras l’étayant aisément jusqu’à un passé relativement proche sous de multiples formes dans les sous-continents au passé colonial, dont le sous-continent latino-américain. En effet, l’angle caractéristique de l’histoire mondiale adopté par Ferreras permet de comprendre clairement l’expansion du travail forcé, sans omettre les intérêts et les avantages (comme obtenir de façon accélérée de grands volumes de production et d’extraction à bas coûts) qui ont contribué à sa prolifération par l’action de champions d’un capitalisme sombre, par essence semi-esclavagiste, toléré par la loi et facilité dans les faits par des États-nations s’enrichissant des impôts, taxes et droits de douane prélevés sur ces entreprises extractivistes1. Par conséquent, la lutte internationale pour la criminalisation du travail forcé ainsi que les résistances et les retentissements qu’elle a suscités dans la mosaïque latino-américaine font de ce travail de recherche une contribution historiographique unique, polémique et remarquable esquissant un courant de recherche propre au Brésil2. Ce problème de longue date – et tristement toujours d’actualité à coups d’ingénieuses réinventions pullulant en milieu urbain – met en lumière l’atrophie du capitalisme et la participation complaisante et opportune de l’État, progressivement exposées et reconnues, en dépit de leur gravité cachée, par les instances multilatérales (syndicalisme international, Société des Nations, Organisation internationale du Travail et Organisation des Nations Unies).

Le travail forcé fait immédiatement penser aux situations rencontrées dans les plantations, les exploitations agricoles et les mines et à son asymétrie caractéristique entre, d’une part, rémunération infime, dépendance et endettement et, d’autre part, richesse phénoménale tirée de ce type de relations. Viennent également à l’esprit les livres pour enfants de Mark Twain et l’épopée de Roger Casement dans les entrailles du système colonial et néocolonial au Congo et en Amazonie, deux figures qui apparaissent dans les premières références illustratives de Ferreras. La question que ce dernier développe dans Escravidão e trabalho forçado est celle de la multiplication généralisée et indéfinie de cas similaires, d’«enfers sur terre», à la périphérie capitaliste latino-américaine, et de sa profonde dimension de colonialisme interne3.

Cette pratique ne suscite pas seulement notre intérêt parce que nous vivons dans une certaine région ou que nous buvons du maté, dont les conditions de production sont encore aujourd’hui dénoncées, car toujours proches de l’esclavage. Non, elle suscite notre intérêt parce qu’elle nous invite à réfléchir sur la diffusion, l’universalisation et l’application de méthodes de production à grande échelle qui passaient (ou passent) par le travail forcé. […] Cette pratique était courante partout où le coût devait être le plus faible possible, où la main-d’œuvre était abondante, où il n’y avait pas de marché du travail préalablement constitué (p. 8)4.

En effet, il s’agit là d’une pratique de nature coloniale qui se déploie dans un monde moderne, «civilisé» et déterminé et s’apparente à une économie d’enclave en ce qu’elle a une étendue limitée dans l’espace et dans le temps: «Ce qui se produisait au Congo se produisait aussi en d’autres points du monde» (p. 9).

Le travail forcé constitue une forme perverse (indirecte) d’esclavage et d’exception par rapport au travail libre qui s’est développé en parallèle durant la première moitié du XXe siècle. La structure normative du marché du travail et ses conditions particulières promues à l’échelle internationale par l’Organisation internationale du Travail se sont inscrites dans les limites du paradigme défini par les premières associations de travailleurs et les ont dépassées. Pourtant, le travail forcé a poursuivi son expansion sans entrave dans de nombreux points obscurs du monde, qu’Alain Rouquié assimilait à d’intimes pendants aux réalités occidentales: «ce sont nos problèmes grossis, hypertrophiés, dramatisés que nous y retrouvons. C’est pourquoi, comme il y a cinq siècles, ce nouveau monde a beaucoup à nous apprendre»5.

Les vieilles pratiques de dépendance et de domination de personnes et de peuples entiers, comme le montre Ferreras, ont par le passé bénéficié d’une complaisance bien disposée à l’égard de l’avidité, de l’opportunité, du racisme et d’autres critères d’exclusion conçus par calcul comme des sources de profits. De ce point de vue, l’explication ne peut être plus simple, étant donné que la transversalité complète du capitalisme – entendu comme le phénomène mondialisant le plus achevé – se réalise de façon étonnante, passant au-dessus de la nation, du contexte historique et de l’ordre interne des pays (lois et institutions). Ferreras met clairement en évidence la nuance ténue entre le travail forcé et ce que l’on pourrait considérer comme du travail formel aujourd’hui, comme s’ils formaient une palette de tonalités dans laquelle le capitalisme pourrait puiser selon les circonstances. Le travail illégal, plus facilité que freiné par les nations qui poussent leurs citoyens-travailleurs vers la sortie – avant de profiter, dans un second temps (en quelques semaines), de l’argent que ces derniers envoient à leurs proches –, est l’une des tonalités de cette palette d’exploitation de la main-d’œuvre en ce qu’il se configure – apparemment de manière volontaire – comme une autre forme de travail singulière sur les plans économique et juridique.

Ainsi, Escravidão e trabalho forçado suscite une profonde réflexion sur l’assujettissement et la précarisation dans nos sociétés, malgré la croyance optimiste selon laquelle nous serions parvenus à dépasser certaines institutions du passé, comme l’esclavage. Pourtant, Ferreras perçoit une contradiction originelle dans la dénonciation et la lutte symétriques des formes classiques d’exploitation par les classes moyennes cultivées, une thèse qui, pour moi, sonne comme un jugement sévère des rares figures historiques qui ont essayé de faire disparaître de tels abus par le passé; figures dont je crois la sensibilité et le sens moral honnêtes et légitimes, alors même qu’elles ne pouvaient s’appuyer sur leur propre expérience pour comprendre ces formes d’exploitation. Cependant, Ferreras présente une attribution des responsabilités très pertinente:

Comme n’importe quelle activité délictueuse, celle-ci doit être combattue et sanctionnée. Il faut changer d’approche pour dissuader la commission du délit: il faut commencer par agir sur les conditions de vie et de travail dans les lieux d’origine et les centres productifs qui opèrent dans le respect de la loi; les travailleurs doivent voir leurs moyens d’agir renforcés et recevoir assistance et aide de l’État et de la société.

[…]

Il est indispensable de reconsidérer la situation. Il incombe à l’État, à travers ses agents de préserver ce monopole et cette primauté. De la même façon, il faut que les travailleurs reçoivent les outils nécessaires pour que cette lutte soit plus efficace (p. 11).

Et, même si «ce n’est pas la même chose de travailler dans une mine de charbon que dans un bureau» (p. 302), les conditions sur les plans du droit et du travail ne sont pas très différentes aux quatre coins du monde.

Il est certain que les problèmes soulevés ici en matière d’histoire globale et d’histoire du temps présent apportent un précieux éclairage sur la réalité, difficile à observer, du travail aujourd’hui en Amérique latine. C’est là une grande qualité d’Escravidão e trabalho forçado qui offre une perspective historique édifiante pour apprécier les inerties et les continuités de dynamiques anciennes.

Escravidão e trabalho forçado donne à voir un travail de recherche organisé de façon logique et équilibrée sur l’histoire de l’abolition et son traitement international au XIXe siècle (chapitre 1); l’antiesclavagisme contemporain à partir de l’après-première guerre mondiale et l’élaboration de définitions de l’esclavage, de la traite et du travail forcé selon une approche occidentale, distante et extérieure, du problème global (chapitre 2); les formes et pratiques inhérentes au travail forcé en Amérique latine, ainsi que sa problématisation et son analyse selon une perspective historique (chapitre 3), l’abolitionnisme dans les contextes mondiaux de décolonisation et de guerre froide (chapitre 4), ainsi qu’une réflexion sur le travail forcé et la place de la liberté face au capitalisme en conclusion.

L’ouvrage de Ferreras invite à s’interroger sur le fossé entre les lectures et les interprétations politiques et universitaires du travail forcé et le besoin urgent de concepts et d’expressions utiles au réexamen de la relation de travail, bien loin des habituels propos tout empreints de paternalisme et de rédemption peu opérants pour lutter contre les formes multiples et changeantes de l’exploitation. Il offre également un aperçu général du travail forcé aujourd’hui dans le monde et des ambiguïtés et omissions qui le favorisent, ainsi que des modalités de différentes formes d’exploitation, qu’elle soit de nature sexuelle, qu’elle touche les enfants ou qu’elle repose sur la dépendance.

Fabián Herrera León

Institut de recherches historiques

Université Michoacana de San Nicolás de Hidalgo

Notes

  1. L’expression «entreprise extractiviste» désigne ici toute exploitation ou surproduction massive qui aboutit à l’épuisement de la ressource en question (presque toujours une matière première) ou à sa substitution sur le marché international par un nouveau produit, fruit d’une invention, moins cher ou disponible plus près du lieu d’utilisation.
  2. Pas seulement parce que cette question constitue un thème historique essentiel, mais parce que plus d’un million de personnes vivent en situation d’esclavage moderne ou de travail forcé. L’Organisation internationale du Travail joue un rôle de conseiller et d’allié dans ce combat depuis près d’un siècle.
  3. En référence au débat universitaire entre Pablo González Casanova et Rodolfo Stavenhagen.
  4. Les fragments cités ont été traduits à partir de la version espagnole de cette recension.
  5. Alain Rouquié, Amérique latine: introduction à l’Extrême-Occident, 1987, Paris: Éditions du Seuil, p. 14.