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Progrès technologique et dynamiques du travail indépendant en Europe: données au niveau des travailleurs

Auteurs: Ronald BACHMANN orcid logo (RWI – Leibniz-Institut for Economic Research, Essen; Heinrich-Heine-Universität Düsseldorf; IZA) , Myrielle GONSCHOR (RWI – Leibniz Institute for Economic Research, Essen) , Santo MILASI (Joint Research Centre, European Commission, Brussels) , Alessio MITRA (European Commission, Brussels)

  • Progrès technologique et dynamiques du travail indépendant en Europe: données au niveau des travailleurs

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    Progrès technologique et dynamiques du travail indépendant en Europe: données au niveau des travailleurs

    Auteurs: , , ,

Résumé

Les auteurs analysent le lien entre progrès technologique et travail indépendant à partir de données recueillies auprès des travailleurs dans 30 pays européens. Ils constatent que les technologies qui améliorent les capacités humaines sont associées à une probabilité plus forte de passer du salariat au travail indépendant en solo et que celles qui réduisent les besoins en main-d’oeuvre vont de pair avec une moindre probabilité de travailler à son compte. Ils observent des différences importantes en fonction des caractéristiques sociodémographiques. Les technologies améliorant les capacités favorisent la mobilité et diminuent le risque de chômage parmi les plus qualifiés, mais ont l’effet inverse parmi les moins qualifiés. Les technologies réduisant les besoins en main-d’oeuvre entraînent une dégradation de la situation professionnelle, surtout pour les travailleurs peu qualifiés exécutant des tâches routinières.

Mots clés: automatisation, intelligence artificielle, travail indépendant, professions, tâches, changement technologique, technologie, Europe

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Publié le
2025-06-24

Examen par les pairs

Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs, de même que les désignations territoriales qui y sont utilisées, et leur publication ne signifie pas que l’OIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.

Titre original: «Technological Progress and the Dynamics of Self-Employment: Worker-Level Evidence for Europe» (International Labour Review, vol. 164, nº 2). Traduit par Isabelle Croix. Également disponible en espagnol (Revista Internacional del Trabajo, vol. 144, nº 2).

1. Introduction

Les progrès de l’intelligence artificielle (IA), des plateformes numériques et de la robotique, par exemple, entraînent une transformation du marché du travail qui a d’importantes répercussions sur tous les types d’emploi. Le travail indépendant, notamment, devrait être particulièrement touché (Fossen, McLemore et Sorgner, 2024). D’un côté, les technologies qui augmentent les capacités humaines (labour-augmenting technologies), comme l’IA et les plateformes numériques, sont de nature à le faciliter, surtout pour les travailleurs très qualifiés, parce qu’elles créent de nouveaux débouchés, donnent accès à une clientèle plus large et offrent des outils efficaces pour l’exécution de tâches essentielles, par exemple en lien avec la communication et le marketing (Berger et al., 2021; Nambisan, Wright et Feldman, 2019). En outre, grâce aux plateformes numériques, il est désormais plus simple de rechercher des missions et de proposer des activités de service (Kässi et Lehdonvirta, 2018) tout en occupant en parallèle un emploi classique (Pouliakas et Ranieri, 2022). Les technologies numériques peuvent cependant aussi rendre le travail indépendant moins attrayant si elles accroissent la productivité et la rémunération de l’emploi salarié.

D’un autre côté, les technologies sont également susceptibles d’assombrir les perspectives professionnelles des salariés. Celles qui réduisent les besoins en main-d’œuvre humaine (labour-saving technologies) en automatisant les tâches, comme la robotique avancée, peuvent être synonymes de destruction d’emplois, en particulier peu qualifiés, et contraindre les travailleurs à s’orienter vers le travail indépendant. Il est donc essentiel de faire la différence entre le travail indépendant avec salariés, qui résulte en principe d’une volonté d’entreprendre et concerne davantage les individus dont le niveau d’études est relativement élevé, et le travail indépendant en solo, qui est souvent un pis-aller, en particulier pour les personnes peu instruites.

Dans cette étude, nous tentons de répondre aux questions de recherche suivantes dans le cas de l’Europe:

  1. Quel est le lien entre le progrès technologique, plus précisément les technologies qui augmentent les capacités humaines et celles qui réduisent les besoins en main-d’œuvre, et les transitions vers et depuis le travail indépendant?

  2. Cet impact du progrès technologique diffère-t-il entre les travailleurs indépendants qui travaillent en solo et ceux qui emploient des salariés?

  3. Cet impact du progrès technologique diffère-t-il en fonction du niveau d’études, de l’âge ou du revenu?

Nous faisons appel à des microdonnées issues des statistiques de l’Union européenne sur le revenu et les conditions de vie (EU-SILC) et se rapportant à la période 2014-2019. Ces données nous permettent de repérer les transitions annuelles entre différentes situations professionnelles. Nous évaluons, au niveau de la profession, dans quelle mesure les travailleurs sont concernés par le progrès technologique et le numérique, en distinguant deux catégories de technologies – celles qui augmentent les capacités humaines et celles qui réduisent les besoins en main-d’œuvre. La première catégorie est représentée par un indicateur d’utilisation de l’IA; et la deuxième, par un indicateur d’intensité d’un métier en tâches routinières. Ces outils de mesure permettent de déterminer si les répercussions des technologies sur les coûts et perspectives associés à une transition vers ou depuis le travail indépendant varient en fonction du type de technologie et de la nature de la transition professionnelle.

Les statistiques confirment qu’il est pertinent de se concentrer plus particulièrement sur les travailleurs indépendants exerçant leur activité en solo (n’employant pas de personnel): en 2019, ils étaient près de 23 millions dans l’Union européenne (UE), soit une hausse de 15 pour cent par rapport à 2002, et représentaient environ 10 pour cent de l’emploi total et 72 pour cent de l’ensemble des travailleurs indépendants1. Par ailleurs, on observe une évolution de la composition par profession de la main-d’œuvre indépendante, avec une progression de la proportion de professionnels très qualifiés exerçant des métiers intermédiaires, intellectuels et scientifiques et de direction – cette proportion est passée de 36 pour cent en 2012 à 42 pour cent en 2019 au sein de l’UE2.

Notre article contribue de trois manières à la littérature consacrée à ce sujet. Premièrement, nos conclusions sur l’ampleur des transitions vers et depuis le travail indépendant se rapportent à un large éventail de pays européens entre 2014 et 2019, alors que les seules informations actuellement disponibles sur ces mouvements concernent les États-Unis. Deuxièmement, nous nous intéressons au lien entre le progrès technologique et ces transitions au niveau des travailleurs. Nous complétons ainsi les études consacrées aux entrées dans le travail indépendant aux États-Unis (Fossen et Sorgner, 2021) et enrichissons la littérature d’une analyse de la relation entre progrès technologique et sorties du travail indépendant en solo. Enfin, nous explorons les variations de l’impact des technologies en fonction de caractéristiques telles que l’âge, le niveau d’études et le revenu et selon que le travailleur indépendant travaille seul ou emploie des salariés.

Concernant les technologies qui améliorent les capacités humaines, nous constatons en premier lieu que la mobilité entre emploi salarié et travail indépendant en solo est plus forte parmi les travailleurs qui utilisent plus ces solutions. La probabilité de quitter le salariat au profit de cette forme de travail indépendant est toutefois plus élevée parmi les personnes exerçant une profession qui exige un niveau d’études relativement bas et percevant un salaire faible. Les travailleurs qualifiés et relativement bien rémunérés ont, à l’inverse, une probabilité plus forte de rester salariés et plus faible de basculer dans le chômage. Deuxièmement, parmi les travailleurs très concernés par ces technologies, la probabilité de renoncer à une activité indépendante en solo au profit du salariat est plus élevée parmi les diplômés de l’enseignement supérieur et les travailleurs d’âge très actif (30-54 ans). Troisièmement, les seniors (55-65 ans) s’orientent vers le travail indépendant avec salariés ou l’inactivité. Dans l’ensemble, nos résultats laissent penser que les technologies qui améliorent les capacités humaines, par exemple l’IA, peuvent aussi avoir des effets de déplacement, lesquels peuvent avoir pour corollaire une entrée contrainte dans le travail indépendant en solo.

S’agissant des technologies qui réduisent les besoins en main-d’œuvre, nos résultats sont moins clairs et un peu plus inattendus. Nous constatons que les salariés concernés par ces technologies sont moins susceptibles de se mettre à leur compte (avec ou sans salariés). Nous n’observons cependant pas d’effets particulièrement négatifs sur les perspectives professionnelles – autrement dit, les travailleurs touchés par ces technologies ne sont pas exposés à un risque de chômage ou d’inactivité significativement plus élevé.

Nos conclusions apportent un éclairage précieux sur la manière dont les politiques publiques pourraient soutenir l’emploi dans un contexte de mutations technologiques rapides. Elles mettent en lumière la nécessité de concevoir des dispositifs de formation ciblés pour aider les travailleurs, à commencer par les moins qualifiés, à s’adapter aux innovations qui augmentent leurs capacités. Elles plaident aussi pour l’adoption de ces technologies dans les entreprises, puisqu’elles révèlent leur impact positif sur la dynamique de l’emploi, en particulier pour les travailleurs très qualifiés. Par ailleurs, elles montrent qu’il est indispensable de protéger les travailleurs peu qualifiés qui exécutent des tâches routinières et qui sont en première ligne face aux technologies réduisant les besoins en main-d’œuvre. Ces mesures de protection devraient être accompagnées de stratégies favorisant l’intégration des technologies dans l’intérêt des travailleurs qualifiés comme non qualifiés et d’actions visant à lutter contre les disparités sociodémographiques et à garantir un accès équitable aux bienfaits du progrès technologique.

La suite de notre article est structurée de la façon suivante. Dans la deuxième partie, nous décrivons notre cadre théorique et passons en revue les travaux empiriques relatifs à nos questions de recherche. Dans la troisième partie, nous présentons nos données et notre méthodologie et, dans la quatrième, nous brossons un tableau des dynamiques du marché du travail en Europe au cours de la période étudiée. Nous exposons les résultats de nos principales analyses dans la cinquième partie et ceux de nos tests de robustesse dans la sixième, avant de formuler des conclusions dans la septième partie.

2. Cadre théorique et travaux empiriques existants

L’approche sous l’angle des tâches (Autor, Levy et Murnane, 2003) a joué un rôle central dans la compréhension de l’impact du progrès technologique sur le marché du travail. Elle repose sur l’idée que les emplois comportent des tâches routinières et non routinières, qui peuvent être manuelles et cognitives. Les tâches routinières manuelles (par exemple mouvements répétitifs dans des environnements structurés) et cognitives (par exemple calculs arithmétiques) sont assez aisément codifiables et sont donc plus susceptibles que les autres d’êtres automatisées au moyen de technologies telles que les ordinateurs et les robots, tandis que les tâches non routinières cognitives (par exemple tâches abstraites et impliquant des relations interpersonnelles) et manuelles (par exemple exigeant une dextérité) sont généralement exécutées dans des environnements non structurés et sont donc plus difficiles à automatiser. Dès lors, les travailleurs qui les exécutent risquent moins d’être remplacés par les machines, lesquelles ont plutôt pour fonction de les seconder (Autor, Levy et Murnane, 2003; Acemoglu et Autor, 2011; Autor, 2015).

La nouvelle vague technologique, dont l’IA et l’apprentissage automatique sont emblématiques, est venue complexifier l’hypothèse classique concernant les répercussions des nouvelles technologies sur l’emploi. Certains auteurs, conscients du pouvoir transformateur de cette dernière génération d’innovations numériques, avancent qu’elles font évoluer les emplois plus qu’elles ne les détruisent et qu’elles ont une incidence positive sur le marché du travail (Felten, Raj et Seamans, 2018; Gmyrek, Berg et Bescond, 2023). D’autres font valoir que ces innovations sont de plus en plus capables d’exécuter des tâches non routinières, manuelles comme cognitives. Dès lors, certaines professions deviennent plus répétitives et dépendantes de normes de qualité, et sont donc davantage menacées par la numérisation (Brynjolfsson, Mitchell et Rock, 2018; Fernández-Macías et al., 2023).

Pour répondre à nos questions de recherche, nous réalisons une étude empirique en nous appuyant sur le cadre théorique proposé par Fossen et Sorgner (2021), que nous complétons en formulant des hypothèses sur les mécanismes à l’œuvre derrière la mobilité entre travail indépendant en solo et salariat. Un modèle théorique conçu pour évaluer à quel point la numérisation influe sur l’entrée dans l’entrepreneuriat (et la sortie) par son impact sur les coûts d’opportunité associés à l’absence de changement de statut professionnel semble en effet particulièrement adapté à la formulation d’hypothèses susceptibles d’expliquer le lien entre la place du numérique dans l’emploi qu’occupe un individu et la probabilité de celui-ci de se mettre à son compte (ou, à l’inverse, de cesser son activité indépendante).

Les travaux empiriques montrent de façon constante que les coûts d’opportunité jouent un rôle significatif dans la décision de quitter le salariat au profit du travail indépendant. Il est par exemple établi que les salariés qui ont une rémunération plus élevée (Berkhout, Hartog et van Praag, 2016), une plus grande sécurité de l’emploi (Sorgner et Fritsch, 2018) et des perspectives de carrière plus prometteuses (Sorgner, 2017) sont moins enclins à faire le choix de créer leur entreprise.

Fossen et Sorgner (2021) distinguent les technologies qui augmentent les capacités humaines, à l’origine d’améliorations pour les travailleurs, de celles qui réduisent les besoins en main-d’œuvre, associées à une dégradation des perspectives professionnelles sur le plan de la rémunération et de l’emploi. Les mêmes auteurs s’appuient sur cette importante distinction pour étudier la situation aux États-Unis (Fossen et Sorgner, 2022). Ils constatent que les travailleurs dont la profession est menacée par la numérisation – qui sont donc plus exposés que les autres au risque de chômage – ont une probabilité plus forte de créer une entreprise non constituée en société. Ils observent en outre que ceux exerçant une profession concernée par la technologie dite «transformatrice», en particulier par les progrès de l’IA, ont une probabilité plus faible de devenir travailleurs indépendants en solo et plus forte de créer une entreprise employant du personnel.

Nous reprenons ici la distinction effectuée par Fossen et Sorgner et constatons que les deux types de technologies peuvent avoir à la fois un impact positif et une incidence négative sur la probabilité des salariés de devenir travailleurs indépendants. Les technologies qui augmentent les capacités humaines sont en principe associées à une progression de l’emploi, de la productivité et des salaires. Dès lors, les travailleurs concernés subissent des coûts d’opportunité s’ils abandonnent leur emploi au profit d’une activité indépendante et hésitent donc à le faire. Toutefois, ils sont aussi en meilleure position pour repérer des débouchés potentiels, se tenir informés des dernières innovations numériques utiles à la gestion d’une entreprise et avoir accès à des informations et à des ressources financières, autant d’avantages qui pourraient accroître leurs chances de se mettre à leur compte. Qui plus est, certaines professions (par exemple professionnels des technologies de l’information et de la communication) dans lesquelles ces technologies occupent une place importante se prêtent davantage que les autres au travail à distance (Rodrigues, Fernández-Macías et Sostero, 2021), ce qui pourrait encourager les travailleurs en quête de plus d’autonomie et de flexibilité à faire le choix du travail indépendant et pourrait également inciter les entreprises à recourir à l’externalisation. En conséquence, les salariés qui exercent ces métiers ont une probabilité plus forte de quitter le salariat pour un statut indépendant sans changer de profession, soit par choix, soit parce que leur employeur les oblige à devenir prestataires extérieurs.

Quant aux technologies qui réduisent les besoins en main-d’œuvre, elles sont synonymes de risque de chômage plus élevé et de moindre progression du salaire. D’un côté, les salariés concernés pourraient donc avoir une probabilité plus forte de devenir travailleurs indépendants (en solo) par nécessité, c’est-à-dire d’être obligés de créer leur entreprise pour échapper au chômage et ne pas être privés de revenu. Cette hypothèse va dans le même sens que la conclusion de Sorgner et Fritsch (2018), qui constatent que les personnes dont la profession est particulièrement menacée par le chômage ont une probabilité plus forte de créer leur entreprise. D’un autre côté, les travailleurs concernés par ces technologies ont en général un niveau d’études plus faible, ont plus difficilement accès à des financements et ont moins de possibilités d’acquérir des compétences managériales, de renforcer leur créativité ou de bâtir des réseaux sociaux solides – facteurs associés à une probabilité plus forte de devenir travailleur indépendant. Autrement dit, d’un point de vue théorique, ces technologies peuvent soit accroître, soit diminuer la probabilité de passer du salariat au statut indépendant.

Les deux types de technologies distinguées ici sont aussi susceptibles d’exercer une influence sur la probabilité de passer du travail indépendant en solo au salariat ou au travail indépendant avec salariés. La sortie de l’activité indépendante en solo est une transition particulièrement intéressante à étudier, parce qu’elle pourrait concerner des travailleurs devenus indépendants faute de postes salariés attrayants dans leur profession (Milasi et Mitra, 2022). En outre, dans les pays avancés, une proportion non négligeable d’indépendants travaillant seuls opte pour le salariat dès que l’occasion se présente (Boeri et al., 2020).

En toute logique, les travailleurs indépendants en solo qui exercent un métier dans lequel les technologies augmentant les capacités humaines sont très présentes, autrement dit une profession très productive, devraient être plus susceptibles que les autres de recruter des salariés. Toutefois, la forte demande de main-d’œuvre et la rémunération élevée caractéristiques de ces professions pourraient aussi les inciter à rechercher un poste salarié et à renoncer au statut indépendant, en particulier lorsqu’ils se sont au départ mis à leur compte par nécessité, parce qu’ils ne trouvaient pas de poste convenable dans leur domaine.

Nous nous attendons à constater une probabilité plus faible de passage au salariat parmi les travailleurs indépendants en solo exerçant une profession où les technologies qui réduisent les besoins en main-d’œuvre sont très présentes, parce que les offres d’emploi sont moins nombreuses dans ces métiers. Pour les mêmes raisons, ces travailleurs ont sans doute une probabilité moins forte de développer leur activité au point de recruter des salariés et sont plus exposés au risque de passer du travail indépendant en solo au chômage.

En somme, ces considérations théoriques permettent certes de formuler des prédictions quant aux effets des technologies sur les transitions entre le travail indépendant et d’autres statuts professionnels, mais ces effets sont souvent ambigus, d’où l’importance de l’analyse empirique. De plus, la validation ou non de ces hypothèses varie en fonction de l’interaction entre les caractéristiques socio-économiques et démographiques des travailleurs et différents types de technologies, et de l’effet qui en résulte sur l’intérêt que peut avoir un individu à faire le choix du travail indépendant ou à y renoncer. C’est pourquoi nous cherchons à savoir s’il existe un lien entre les transitions vers et depuis le travail indépendant et le sexe, le niveau d’études, l’âge ainsi que le revenu et à cerner la nature de ce lien.

3. Données et méthodologie

3.1. Mesurer les transitions professionnelles

Pour réaliser nos analyses, nous utilisons des microdonnées de l’EU-SILC se rapportant à la période 2014-2019, plus précisément la version longitudinale de ces données, puisque nous nous intéressons aux transitions professionnelles. Pour l’Allemagne, les données n’étant pas disponibles en panel, nous faisons appel aux informations équivalentes issues du panel socio-économique allemand (Socio-Economic Panel – SOEP)3. Notre étude couvre au total 30 pays européens4.

L’EU-SILC5 fournit, grâce à des enquêtes conduites auprès des ménages dans tous les États membres de l’UE et dans quelques autres pays, des informations transversales et longitudinales publiées annuellement sur les caractéristiques socio-économiques, l’emploi, le revenu, la pauvreté, la composition du ménage et d’autres éléments relatifs au niveau de vie. Ces données, produites par les instituts nationaux de la statistique, sont recueillies dans le cadre d’entretiens individuels ou extraites de sources administratives. Dans chaque pays, elles sont représentatives de la population nationale et elles sont comparables entre pays.

Dans la plupart des pays, la version longitudinale de l’EU-SILC repose sur un panel tournant d’une durée de quatre ans. Chaque ménage inclus dans l’échantillon en fait donc partie pendant quatre ans et, chaque année, un quart des ménages interrogés sont remplacés par d’autres. Cette version longitudinale ne tient compte que des personnes qui ont répondu à l’enquête au moins deux années consécutives. Pour construire une base de données représentative comprenant le plus grand nombre d’observations possible pour la période étudiée, nous avons regroupé les jeux de données longitudinales suivant Berger et Schaffner (2015). Nous avons donc construit les transitions professionnelles d’une année à l’autre à partir des informations sur la situation professionnelle des individus en t et en t + 1. Pour nos analyses, nous avons employé les poids longitudinaux fournis dans l’EU-SILC pour un panel d’une durée de deux ans, que nous avons ajustés en fonction de la taille de la population des pays de notre échantillon.

Pour l’Allemagne, nous mobilisons les données au format «long» du SOEP (v37), enquête annuelle représentative identique à l’EU-SILC qui fournit des informations détaillées sur la situation professionnelle des membres des ménages échantillonnés (Bartels, Nachtigall et Göth, 2021). Nous restreignons l’échantillon constitué à partir des données de l’EU-SILC et du SOEP aux personnes âgées de 16 à 65 ans pour lesquelles nous disposons de données valides relatives à nos principales variables. Nous excluons en outre les personnes qui travaillent pour les forces armées et celles qui exercent une profession agricole. Comme nous calculons les indicateurs relatifs aux technologies au niveau à deux chiffres de la Classification internationale type des professions de 2008 (CITP-08), nous éliminons aussi les personnes pour lesquelles les informations sur la profession ne sont pas connues ou ne le sont qu’au niveau à un chiffre. Le choix de cette nomenclature professionnelle nous permet d’analyser les variations entre 40 professions. Enfin, nous ne conservons dans l’échantillon que les personnes pour lesquelles les données sur la situation économique sont disponibles pendant deux années consécutives, puisque nous analysons les transitions d’une année à l’autre.

Nous distinguons cinq statuts professionnels: emploi salarié, travail indépendant avec salariés, travail indépendant en solo, chômage et inactivité. Pour établir le statut, nous nous fondons sur le «statut économique actuel autodéfini» (variable PLl031 de l’EU-SILC) et, pour pouvoir faire la différence entre les travailleurs indépendants (avec et sans salariés) et les salariés, nous complétons cette information par celles sur la situation professionnelle actuelle (variable «statut professionnel» – PL040). Dans son guide méthodologique sur l’EU-SILC, Eurostat (2020) définit les travailleurs indépendants en solo comme des personnes qui travaillent dans leur propre entreprise, cabinet ou exploitation agricole afin de dégager des bénéfices et qui n’emploient pas de personnel. Les travailleurs indépendants avec salariés sont définis dans les mêmes termes, à ceci près qu’ils emploient au moins un salarié. Les travailleurs familiaux sont exclus de notre analyse. Nous nous penchons sur le lien entre l’utilisation des technologies dans la profession exercée au moment de l’enquête et les transitions vers ou depuis le travail indépendant (en solo), ce qui signifie que nous étudions: 1) les transitions depuis l’emploi salarié vers le statut indépendant (en solo) et les autres statuts professionnels et 2) les transitions depuis le statut indépendant (en solo) vers l’un quelconque des autres statuts professionnels.

3.2. Mesurer l’utilisation des technologies et évaluer les tâches que contient un emploi

Pour apprécier s’il existe un lien entre l’utilisation d’un type de technologie particulier dans une profession et la probabilité de changer de statut professionnel, notamment de passer d’un emploi salarié à une activité indépendante ou vice versa, nous faisons appel à plusieurs indicateurs renseignant sur la place des technologies dans un métier. Nous considérons en effet que le lien qui nous intéresse pourrait dépendre du type de technologie en cause et des tâches que contient la profession concernée. Suivant les travaux de recherche cités dans la deuxième partie, nous distinguons deux catégories de technologies, selon qu’elles augmentent les capacités humaines ou réduisent les besoins en main-d’œuvre.

Pour évaluer la place des technologies qui réduisent les besoins en main-d’œuvre dans une profession, nous faisons appel aux indicateurs d’intensité en tâches routinières élaborés par Mihaylov et Tijdens (2019), qui reposent sur la description des tâches associées à une profession à un niveau détaillé de la nomenclature professionnelle employée (voir l’annexe en ligne A (en anglais) pour une description technique). Les tâches sont considérées comme routinières ou non routinières et comme cognitives ou manuelles en fonction de la possibilité de les remplacer par une solution informatique et selon que leur exécution requiert des compétences manuelles ou des compétences cognitives. Nous retenons trois des indicateurs de Mihaylov et Tijdens: i) l’indice de tâches routinières manuelles, qui mesure le recours à des solutions d’automatisation traditionnelles, comme les machines utilisées dans la production industrielle et les robots autonomes capables d’exécuter des tâches routinières manuelles et physiques (par exemple levage et assemblage); ii) l’indice de tâches routinières cognitives, qui mesure la place de la numérisation et de l’apprentissage automatique (non sophistiqué) dans une profession; et iii) l’indice global d’intensité en tâches routinières. Ces indicateurs présentent l’avantage de reposer sur des descriptions des tâches et activités spécifiques à chaque profession considérée, ce qui permet une évaluation plus précise des tâches routinières que comporte une profession que les indicateurs plus généraux (par exemple Acemoglu et Autor, 2011; Autor, Levy et Murnane, 2003; Spitz-Oener, 2006). Autre intérêt: ils se rapportent aux professions de la CITP-08 et peuvent donc être appariés avec nos microdonnées européennes.

Pour opérationnaliser le concept de technologies augmentant les capacités humaines, à l’instar de Fossen et Sorgner (2021), nous faisons appel à un outil de mesure calculé pour chaque métier par Felten, Raj et Seamans (2018). Cet indicateur (que nous appellerons par la suite «indice d’utilisation de l’IA») relie les progrès de l’IA aux compétences associées aux professions dans la base de données Occupation Information Network (O*Net), aux États-Unis. Contrairement aux autres outils utilisés pour apprécier la place de l’IA dans une profession (par exemple Brynjolfsson, Mitchell et Rock, 2018; Tolan et al., 2021), celui proposé par Felten, Raj et Seamans (2018) mesure les avancées actuelles de l’IA (plutôt que futures et potentielles) (voir l’annexe en ligne (en anglais) pour de plus amples informations). Qui plus est, il nous permet de comparer plus directement nos résultats avec ceux obtenus par Fossen et Sorgner (2021).

Enfin, nous complétons les indicateurs relatifs à nos deux types de technologies par des mesures de l’intensité en tâches physiques, intellectuelles et sociales extraites de la base de données sur les tâches du Centre commun de recherche (CCR) et d’Eurofound (Bisello et al., 2021). Cette base de données, construite à partir d’un cadre théorique issu d’une recherche exhaustive (Fernández-Macías et Bisello, 2020), fournit des indices qui renseignent directement sur les tâches contenues dans les professions relevant du niveau à deux chiffres de la CITP-08. Ces indices sont eux-mêmes calculés à partir d’informations détaillées sur le contenu du travail provenant de l’Enquête européenne sur les conditions de travail (Eurofound, 2017), de la base de données Indagine Campionaria sulle Professioni (équivalent italien d’O*NET) et de l’enquête administrée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour les besoins du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC).

Ces indices nous permettent d’apporter un éclairage supplémentaire sur les différences entre les indicateurs présentés plus haut. Contrairement aux outils de mesure proposés par Mihaylov et Tijdens (2019) et Felten, Raj et Seamans (2018), construits à partir de descriptions standardisées des tâches associées à une profession, ils reposent sur une description, par les individus, des tâches qu’ils exécutent dans le cadre de leur travail. Ils rendent donc également compte de variations entre des travailleurs exerçant le même métier.

3.3. Méthode empirique

Pour modéliser les différents parcours de mobilité vers et depuis le travail indépendant, nous examinons les transitions à partir des statuts de travailleur indépendant et de salarié vers cinq statuts cibles (salariat, travail indépendant avec salariés, travail indépendant en solo, chômage et inactivité). Nous étudions donc un choix individuel entre cinq possibilités discrètes et non ordonnées. Les variables dépendantes prennent la valeur m si la me possibilité est choisie, m = 1, …, j. Nous prenons en compte divers facteurs invariants au choix susceptibles d’influer sur la décision de changer de statut professionnel (Wooldridge, 2010; Cameron et Trivedi, 2005). Nous utilisons à cette fin un modèle logit multinomial permettant aux coefficients βm des variables explicatives de varier selon les possibilités m. La forme générale de la probabilité prédite issue du modèle logit multinomial s’écrit:

Pr(y=m|X)=exp(Xβm|b) j=1J exp(Xβj|b), où m=1,, j        (1)

Pr(y = m│X) est la probabilité que la possibilité m soit choisie, conditionnellement aux variables de contrôle contenues dans X; b, en indice, représente le statut professionnel initial (travail indépendant ou salariat). X est le vecteur des variables explicatives et contient des caractéristiques individuelles telles que le sexe, l’âge, la situation matrimoniale, le nombre d’enfants et le niveau d’études. Pour les transitions à partir du salariat, nous prenons aussi en compte des caractéristiques professionnelles comme le revenu, l’ancienneté et le type de contrat (temps partiel ou plein temps). Pour refléter les emplois bien rémunérés, nous créons une variable qui indique si l’emploi occupé au moment de l’enquête se situe dans le quintile supérieur de la distribution des salaires. Nous prenons donc en compte les caractéristiques individuelles et professionnelles. Le coefficient βm|b varie en fonction des statuts m possibles et dépend du statut (m) initial. Nous incluons également des effets fixes pays pour neutraliser l’impact de différences entre pays liées à des singularités nationales de nature à influer sur les transitions professionnelles, par exemple des spécificités en matière d’institutions, de culture ou de politiques. Comme nous regroupons les données de plusieurs années, nous incluons des effets fixes année représentant les évolutions temporelles et les chocs ponctuels qui touchent l’ensemble des individus au cours d’une année donnée – y compris les conséquences du cycle économique qui sont globalement similaires dans tous les pays.

Comme la relation qui nous intéresse est celle qui relie les technologies aux transitions vers et depuis le travail indépendant, nos principales variables d’intérêt sont les indicateurs relatifs aux deux types de technologies (technologies augmentant les capacités humaines et technologies réduisant les besoins en main-d’œuvre) et les indices d’intensité en tâches. Ces indicateurs varient d’une profession à l’autre, mais sont supposés constants dans le temps et identiques dans les différents pays au cours de la période étudiée.

Dans notre modèle de référence, nous calculons des régressions séparément pour chaque indicateur relatif aux technologies. Nous estimons donc quatre modèles distincts, étant entendu que chacun contient l’un des indicateurs suivants calculé au niveau de la profession: i) l’indice d’utilisation de l’IA, qui mesure la place des technologies augmentant les capacités humaines dans une profession; ii) l’intensité en tâches routinières, qui représente les technologies réduisant les besoins en main-d’œuvre; iii) les indices d’intensité en tâches routinières et manuelles, en fonction du modèle précédent; et iv) l’intensité en tâches physiques, intellectuelles et sociales. Pour faciliter l’interprétation des résultats, nous normalisons nos indicateurs relatifs aux technologies et à l’intensité en tâches et calculons les effets marginaux.

Pour analyser la variation de la relation étudiée entre différents groupes de travailleurs, nous faisons interagir notre indicateur relatif aux technologies et les variables catégorielles représentant les caractéristiques individuelles. Dans ce modèle, l’effet marginal des technologies est une mesure composite qui rend compte de l’impact de l’indicateur relatif aux technologies et du terme d’interaction.

Ce modèle repose sur une hypothèse d’indépendance des possibilités non pertinentes. Autrement dit, nous postulons que la probabilité d’opter pour un statut n’est pas influencée par l’existence d’autres choix possibles. Cette hypothèse est certes restrictive, mais nous la jugeons raisonnable dans le cas des transitions professionnelles parce que les statuts sont bien distincts les uns des autres et ont des déterminants différents (Cameron et Trivedi, 2005). Comme nous examinons des données transversales, nous ne pouvons pas cerner les effets à long terme des technologies et de leur adoption. Toutefois, l’étude des transitions professionnelles nous permet d’avoir une idée des ajustements plus immédiats provoqués par l’arrivée de ces innovations. L’analyse de ces ajustements est particulièrement riche d’enseignements lorsque l’on s’intéresse à des technologies émergentes qui, à l’instar de l’IA, ont connu un essor rapide ces dernières années et ont touché de plein fouet certaines professions. Nous pourrions également craindre un effet de sélection, dans le cas où des personnes confrontées par le passé à des technologies d’apparition plus ancienne auraient déjà fait le choix d’un certain statut professionnel. Nous pensons cependant que ce biais est atténué, parce que nous introduisons un grand nombre de variables de contrôle et parce que nous examinons les transitions entre salariat et travail indépendant mais aussi le basculement vers le chômage et l’inactivité. Qui plus est, nous insistons sur le fait que nos résultats ne sont valables que pour la période et les indicateurs considérés et ne sont pas transposables à une période antérieure.

Un problème de causalité inverse pourrait aussi se poser parce que la mobilité vers le travail indépendant pourrait entraîner une hausse de la demande de nouveaux outils et solutions personnalisées et stimulerait ainsi l’innovation technologique. Nos indicateurs relatifs aux technologies semblent cependant à l’abri de ce risque, pour plusieurs raisons. Premièrement, ils reposent non pas sur l’adoption effective des technologies pour l’exécution de diverses tâches, mais sur des descriptions normalisées des tâches que comportent les métiers. Deuxièmement, ils sont construits en fonction d’exigences professionnelles définies avant la période sur laquelle portent nos données, ce qui signifie qu’ils sont relativement exogènes à une éventuelle évolution de ces exigences pendant la période étudiée. Troisièmement, les applications de l’IA étant particulièrement innovantes et se prêtant à de multiples usages dans un large éventail de tâches, il est peu probable que les travailleurs indépendants en solo (qui constituent la majorité des indépendants et le cœur de notre étude) puissent jouer un rôle significatif dans les avancées de l’IA, lesquelles sont plutôt le fait de grandes entreprises innovantes.

4. Dynamique des marchés du travail européen: éléments descriptifs

Dans cette partie, nous décrivons la nature et l’ampleur des transitions observées sur les marchés du travail européens au cours de la période 2014-2019. Le tableau 1 présente la probabilité moyenne de changer de statut professionnel entre deux années pour les cinq statuts étudiés. Il en ressort d’abord que la probabilité de passer du salariat au travail indépendant est relativement faible. Toutefois, comme les sorties de l’emploi salarié sont dans l’ensemble plutôt rares, les transitions vers le travail indépendant en représentent une part qui n’est pas négligeable économiquement. Les transitions se font beaucoup plus souvent du travail indépendant vers l’emploi salarié que dans le sens inverse. En moyenne, 8 pour cent des indépendants qui travaillent en solo sont salariés l’année suivante – soit près du double de ceux qui s’orientent vers le travail indépendant avec salariés. À l’inverse, alors que 7,3 pour cent des travailleurs indépendants qui emploient du personnel occupent un emploi salarié l’année suivante, une part encore plus grande (10,7 pour cent) passe du travail indépendant avec salariés au travail indépendant en solo. Enfin, la mobilité du chômage vers le travail indépendant ne concerne qu’un petit pourcentage de personnes, à savoir 2,2 pour le travail indépendant en solo et 0,3 pour le travail indépendant avec salariés.

Tableau 1

Probabilités de transition entre statuts professionnels, ensemble des pays (en pourcentage)

Année t Année t + 1
Emploi salarié Travail indépendant avec salariés Travail indépendant en solo Chômage Inactivité
Emploi salarié 92,35 0,27 0,79 2,81 3,79
Travail indépendant en solo 7,97 4,94 80,77 2,35 3,96
Travail indépendant avec salariés 7,25 78,66 10,70 1,06 2,33
Chômage 24,55 0,31 2,15 56,73 16,26
Inactivité 9,94 0,10 0,78 5,30 83,89
Notes: Probabilité de transition entre l’année t et l’année t + 1: moyennes pour 2014-2019.
Sources: EU-SILC 2014-2019 et SOEP v37.

En règle générale, les observations restent les mêmes dans les analyses par sexe, niveau d’études et âge (voir respectivement les tableaux SB1, SB2 et SB3 de l’annexe en ligne B (en anglais). Quelques différences méritent cependant d’être soulignées: comparativement aux hommes, les femmes ont une probabilité plus faible de passer du salariat au travail indépendant (en particulier avec salariés) et du travail indépendant en solo au travail indépendant avec salariés, et sont plus susceptibles de sortir de l’activité indépendante au profit du chômage et (surtout) de l’inactivité. Apparemment, l’activité indépendante est donc moins prometteuse pour les femmes que pour les hommes. Ce constat vaut également pour les travailleurs qui ont un niveau d’études bas et les seniors.

Le tableau 2 fournit un panorama complet de l’influence de différentes caractéristiques (par exemple caractéristiques des individus, des ménages et de l’emploi; indicateurs des technologies) sur les transitions depuis le salariat et le travail indépendant en solo vers les différents statuts professionnels considérés. S’agissant du sexe, de l’âge et du niveau d’études, les résultats sont similaires à ceux exposés dans le précédent paragraphe. On observe également que les salariés occupant un emploi à temps partiel ou temporaire ont une probabilité relativement forte de devenir travailleurs indépendants en solo (environ 21 pour cent), mais relativement faible de devenir travailleurs indépendants employant du personnel. En revanche, ceux qui se situent dans le quintile supérieur de la distribution des salaires ont une probabilité relativement forte de s’orienter vers une activité indépendante avec salariés (32 pour cent) et nettement plus faible d’exercer une activité indépendante en solo (19 pour cent). Lorsque les caractéristiques individuelles ne sont pas prises en compte, les indicateurs des technologies et de l’intensité en tâches sont relativement similaires pour les différentes transitions depuis le salariat, à deux exceptions notables près: les transitions vers le travail indépendant avec salariés sont associées à un indice d’utilisation de l’IA (légèrement) plus élevé et à un indice d’intensité en tâches routinières manuelles plus faible.

Tableau 2

Statistiques descriptives par type de transition, 2014-2019

Depuis l’emploi salarié Statut cible
Emploi salarié Travail indépendant avec salariés Travail indépendant en solo Chômage Inactivité
Caractéristiques individuelles
Hommes 50,3 67,1 60,2 51,1 38,6
16-29 ans 13,2 9,3 15,3 25,1 24,2
30-54 ans 68,8 74,6 68,8 58,7 31,2
55-65 ans 18,0 16,2 15,9 16,2 44,6
Enseignement primaire (préprimaire) et secondaire du premier cycle 14,2 15,1 16,4 27,0 21,7
Enseignement secondaire du second cycle chasser postsecondaire 48,6 46,2 42,8 50,6 49,7
Enseignement supérieur 37,2 38,6 40,8 22,4 28,6
Marié 59,6 65,3 56,2 45,4 56,9
Nombre d’enfant du ménage 0,6 0,7 0,6 0,5 0,4
Caractéristiques professionnelles
Temps partiel 14,5 8,0 21,5 21,1 31,6
Contrat de travail temporaire 11,7 9,8 21,0 43,4 19,9
Quintile supérieur de la distribution des salaires 21,4 31,7 19,0 9,8 18,2
Indicateur relatif à l’IA
Indice d’utilisation de l’IA 0,58 0,62 0,6 0,49 0,53
Indicateurs relatifs à l’intensité en tâches
Tâches routinières 0,27 0,23 0,22 0,29 0,28
Tâches routinières cognitives 0,21 0,19 0,17 0,2 0,21
Tâches routinières manuelles 0,07 0,04 0,05 0,09 0,07
Tâches physiques 0,33 0,32 0,34 0,39 0,34
Tâches intellectuelles 0,5 0,55 0,51 0,41 0,47
Tâches sociales 0,39 0,44 0,41 0,33 0,39
Observations 635 931 2 529 5 552 20 421 26 168
Depuis le travail indépendant en solo Travail indépendant en solo Emploi salarié Travail indépendant avec salariés Chômage Inactivité
Caractéristiques individuelles
Hommes 62,7 60,7 70,7 62,9 44,9
16-29 ans 6,6 12,9 5,4 14,3 10,1
30-54 ans 68,8 70,5 72,2 64,1 37,3
55-65 ans 24,6 16,7 22,4 21,6 52,6
Enseignement primaire (préprimaire) etsecondaire du premier cycle 18,7 16,4 15,3 29,6 23,6
Enseignement secondaire du second cycle et postsecondaire 45,5 44,1 48,5 46,0 45,8
Enseignement supérieur 35,8 39,4 36,2 24,4 30,6
Marié 64,4 56,9 70,4 52,1 65,5
Nombre d’enfant du ménage 0,6 0,6 0,6 0,5 0,4
Quintile supérieur de ladistribution des salaires 25,4 18,3 33,3 12,6 18,5
Indicateur relatif à l’IA
Indice d’utilisation de l’IA 0,61 0,6 0,63 0,55 0,56
Indicateurs relatifs à l’intensité en tâches
Tâches routinières 0,22 0,21 0,22 0,23 0,23
Tâches routinières cognitives 0,18 0,17 0,18 0,17 0,18
Tâches routinières manuelles 0,05 0,04 0,04 0,05 0,05
Tâches physiques 0,36 0,34 0,35 0,38 0,35
Tâches intellectuelles 0,49 0,51 0,52 0,45 0,48
Tâches sociales 0,4 0,41 0,42 0,36 0,4
Observations 48 413 5 485 3 410 1 749 2 452
Notes: L’EU-SILC ne contient pas d’informations sur le secteur.
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de l’EU- SILC et du SOEP v37.

Pour ce qui est des transitions depuis le travail indépendant en solo, les travailleurs qui appartiennent au quintile supérieur de la distribution de la rémunération ont une probabilité relativement faible de passer au salariat (18 pour cent), relativement forte de développer leur activité en recrutant du personnel (33 pour cent) et relativement faible de basculer dans le chômage (13 pour cent) ou l’inactivité (19 pour cent). Par ailleurs, l’indice d’utilisation de l’IA est plus élevé pour les personnes qui restent travailleurs indépendants en solo et pour celles qui s’orientent vers le salariat et l’activité indépendante avec salariés. Il en va de même s’agissant des indices d’intensité en tâches sociales et intellectuelles. En revanche, les indices d’intensité en tâches routinières et en tâches manuelles diffèrent peu selon la nature de la transition professionnelle. La raison en est que les entrées dans le travail indépendant elles-mêmes varient peu en fonction de ces indices d’intensité (lorsque les caractéristiques individuelles ne sont pas prises en compte), comme en témoignent les statistiques descriptives relatives à ces entrées.

Ces résultats descriptifs sont très proches des conclusions auxquelles sont parvenus Fossen et Sorgner (2021) dans le cas des États-Unis. D’après leur étude, les hommes représentent 58 pour cent des transitions du salariat vers le travail indépendant en solo et 68 pour cent des passages d’un poste salarié à une activité indépendante avec recrutement de personnel, soit des pourcentages cohérents avec ceux que nous calculons pour l’Europe (60 et 67 pour cent respectivement).

5. Analyse empirique

5.1. Transitions de l’emploi salarié vers le travail indépendant et vers d’autres statuts professionnels

D’après les résultats rapportés dans le tableau 3, les personnes qui exercent une profession caractérisée par un indice d’utilisation de l’IA élevé ont une probabilité certes faible, mais plus forte que les autres de passer du salariat au travail indépendant en solo. Lorsque l’indice augmente d’un écart type, cette probabilité progresse de 0,05 point de pourcentage, ce qui représente 12,5 pour cent de la probabilité moyenne de passer du salariat au travail indépendant en solo6.

Tableau 3

Probabilité de transition depuis l’emploi salarié: indicateurs relatifs aux technologies

Statut cible
Emploi salarié Travail indépendant avec salariés Travail indépendant en solo Chômage Inactivité
Technologies augmentant les capacités humaines
Indice d’utilisation de l’IA 0,234*
(0,123)
0,018
(0,018)
0,051**
(0,024)
–0,331***
(0,089)
0,028
(0,040)
Technologies réduisant les besoins en main-d’œuvre
Tâches routinières 0,084
(0,097)
–0,026
(0,017)
–0,079*
(0,045)
0,076
(0,066)
–0,054
(0,048)
Tâches routinières cognitives 0,083
(0,093)
–0,010
(0,013)
–0,059
(0,039)
0,044
(0,065)
–0,058
(0,052)
Tâches routinières manuelles 0,056
(0,122)
–0,050**
(0,020)
–0,071**
(0,032)
0,078
(0,072)
–0,013
(0,037)
Tâches
Tâches physiques –0,012
(0,204)
0,004
(0,022)
0,082
(0,074)
–0,083
(0,126)
0,009
(0,081)
Tâches intellectuelles 0,189
(0,223)
–0,003
(0,025)
0,099
(0,064)
–0,156
(0,137)
–0,129
(0,105)
Tâches sociales 0,071
(0,219)
0,079***
(0,028)
0,013
(0,053)
–0,298*
(0,163)
0,134*
(0,074)
Effets fixes année Oui Oui Oui Oui Oui
Effets fixes pays Oui Oui Oui Oui Oui
Probabilité moyenne de transition 0,944 0,002 0,004 0,024 0,027
Observations 514 445 514 445 514 445 514 445 514 445
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Notes: Effets marginaux de régressions logit multinomiales estimées séparément (par indicateur relatif aux technologies), calculés en utilisant des poids longitudinaux sur deux ans. Coefficients normalisés et exprimés en points de pourcentage. Les erreurs types robustes, groupées au niveau à deux chiffres de la nomenclature professionnelle, figurent entre parenthèses. Les résultats de la spécification complète de la régression incluant l’indice d’utilisation de l’IA sont présentés dans les tableaux SB1 et SB2 de l’annexe en ligne B (en anglais).
Sources: EU-SILC 2014-2019, SOEP v37, échantillon longitudinal sur deux ans; indicateurs relatifs à l’IA et aux tâches: Felten, Raj et Seamans (2018); Mihaylov et Tijdens (2019); Bisello et al. (2021).

Il est possible que certains salariés dont le métier est particulièrement touché par les progrès de l’IA soient plus susceptibles de posséder des compétences permettant d’avoir des idées d’activités innovantes et fassent le choix de devenir indépendants pour mettre ces idées en pratique, en particulier pendant les périodes de croissance, comme celle qui nous intéresse ici (2014-2019). De fait, d’après la thèse voulant que la prospérité soit favorable à la création d’entreprise (prosperity pull), les perspectives économiques prometteuses et la progression de l’emploi caractéristiques des périodes fastes incitent un plus grand nombre d’individus à choisir le travail indépendant (Parker, 2018). Nos résultats pourraient cependant aussi être le signe que les personnes exerçant une profession concernée par les avancées de l’IA ne voient pas les avantages de ces technologies en termes d’augmentation des capacités humaines se répercuter pleinement sur leur rémunération et leurs perspectives professionnelles dans l’emploi qu’elles occupent. Pour les travailleurs exerçant certains métiers peu et moyennement qualifiés, l’utilisation plus grande de l’IA pourrait même faire disparaître leur poste plutôt qu’augmenter leurs capacités (Gmyrek, Berg et Bescond, 2023), si bien que ces travailleurs ont un coût d’opportunité relativement faible à supporter s’ils optent pour une activité indépendante en solo dans l’espoir d’améliorer leur rémunération, d’avoir plus d’autonomie et des conditions de travail plus souples. Cette seconde hypothèse semble plus plausible que celle d’un entrepreneuriat motivé par la prospérité, dans la mesure où le travail indépendant en solo est étroitement lié à l’entrepreneuriat par nécessité. Si l’entrée dans ce statut professionnel avait pour principal moteur la volonté de profiter de débouchés, nous constaterions également un lien positif et significatif entre la place de l’IA et la probabilité d’évoluer vers le travail indépendant avec salariés, plus souvent associé à l’entrepreneuriat par opportunité (Fairlie et Fossen, 2020). Pour explorer plus avant cette interprétation voulant que le choix de devenir indépendant soit contraint et analyser l’influence des caractéristiques individuelles, nous faisons interagir l’indice d’utilisation de l’IA avec les principales caractéristiques individuelles (partie 5.3).

Concernant les indicateurs de l’intensité en tâches routinières, que nous utilisons pour mesurer la place des technologies réduisant les besoins en main-d’œuvre (partie 3.2), il ressort du tableau 3 que les salariés concernés par ce type de technologies sont en réalité moins susceptibles de se mettre à leur compte (avec ou sans salariés). Il en va particulièrement ainsi de ceux qui exercent un métier impliquant davantage de tâches routinières manuelles. Lorsque l’intensité en tâches routinières manuelles augmente d’un écart type, la probabilité de passage à une activité indépendante diminue, de 0,05 point de pourcentage dans le cas de l’activité indépendante avec salariés (soit 25 pour cent de la probabilité moyenne de transition vers ce statut) et de 0,07 point pour la transition vers le travail indépendant en solo (17,75 pour cent de la probabilité moyenne).

On peut peut-être en déduire que les salariés dont le métier comporte de nombreuses tâches routinières, en particulier manuelles, ont peu accès à des ressources financières et à des possibilités d’acquérir les compétences nécessaires à la gestion d’une entreprise, de renforcer leur créativité et de tisser des réseaux sociaux solides – aspects qui renforcent la probabilité de créer une activité indépendante. Qui plus est, comparativement aux travailleurs touchés par l’IA, ils ont moins de chances d’avoir accès à des débouchés en tant que travailleurs indépendants en solo.

Enfin, les salariés dont la profession comporte beaucoup de tâches sociales sont plus susceptibles de connaître une transition vers le travail indépendant avec salariés. Ce résultat va dans le sens de la thèse selon laquelle ils sont davantage en mesure d’acquérir des compétences requises pour élaborer un projet d’entreprise et de nouer les liens nécessaires, ce qui peut accroître leur probabilité de se mettre à leur compte.

5.2. Transitions du travail indépendant en solo vers les autres statuts

L’analyse économétrique des sorties du travail indépendant en solo révèle principalement l’existence d’un lien positif entre l’indice d’utilisation de l’IA et le changement de statut au profit du salariat (tableau 4)7. Une augmentation d’un écart type de l’indice d’utilisation de l’IA va de pair avec une hausse de la probabilité de passer au salariat de 0,29 point de pourcentage, soit 7,3 pour cent de la probabilité moyenne de transition entre ces deux statuts. En revanche, nous ne constatons pas de lien positif entre l’indice et la probabilité de rester travailleur indépendant en solo ou de développer cette activité en recrutant du personnel. Ce résultat confirme la thèse voulant que les travailleurs indépendants en solo qui exercent un métier touché par l’IA abandonnent leur activité pour rechercher une relation d’emploi plus sûre et plus stable dès qu’une occasion viable se présente.

Tableau 4

Probabilité de transition depuis le travail indépendant en solo: indicateurs relatifs aux technologies

Statut cible
Travail indépendant en solo Emploi salarié Travail indépendant avec salariés Chômage Inactivité
Technologies augmentant les capacités humaines
Indice d’utilisation de l’IA –0,371
(0,307)
0,292*
(0,154)
0,269
(0,295)
0,055
(0,119)
–0,245
(0,198)
Technologies réduisant les besoins en main-d’œuvre
Tâches routinières 0,092
(0,483)
–0,012
(0,306)
0,054
(0,307)
–0,076
(0,115)
–0,058
(0,226)
Tâches routinières cognitives 0,136
(0,504)
0,036
(0,331)
0,001
(0,340)
–0,068
(0,104)
–0,105
(0,248)
Tâches routinières manuelles –0,020
(0,301)
–0,093
(0,196)
0,104
(0,244)
–0,045
(0,113)
0,054
(0,123)
Tâches
Tâches physiques 0,676
(0,493)
–0,392*
(0,226)
0,062
(0,393)
0,247
(0,160)
–0,594***
(0,206)
Tâches intellectuelles –0,269
(0,425)
0,412
(0,281)
0,283
(0,394)
0,204
(0,125)
–0,629*
(0,327)
Tâches sociales –1,133**
(0,569)
0,345
(0,287)
0,924*
(0,479)
–0,181
(0,134)
0,045
(0,275)
Effets fixes année Oui Oui Oui Oui Oui
Effets fixes pays Oui Oui Oui Oui Oui
Probabilité moyenne de transition 0,865 0,04 0,059 0,014 0,022
Observations 43 626 43 626 43 626 43 626 43 626
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Note: Voir la note et les informations sur les sources figurant sous le tableau 3.

S’agissant des indicateurs d’intensité en tâches routinières, aucun des coefficients n’est statistiquement significatif, ce qui confirme nos prédictions théoriques. Les travailleurs indépendants qui exercent un métier comportant beaucoup de tâches routinières devraient avoir une faible probabilité d’évoluer vers le salariat dans la même profession, faute d’offres d’emploi. Pour les mêmes raisons, ils ne devraient pas être plus susceptibles de développer leur activité en recrutant du personnel. Toutefois, ils ne risquent pas davantage que les autres de basculer dans le chômage ou l’inactivité, peut-être parce qu’en Europe bon nombre d’entre eux n’ont pas accès aux prestations de chômage et autres formes de protection sociale. Dès lors, ils évitent le chômage et l’inactivité même si leur revenu est faible et leur activité réduite, préférant peut-être conserver leur situation professionnelle, qui a au moins le mérite de leur procurer un minimum de revenu.

Enfin, les résultats obtenus concernant les autres indicateurs d’intensité en tâches montrent que les travailleurs indépendants en solo dont la profession comporte beaucoup de tâches physiques sont moins susceptibles que les autres de devenir salariés. En revanche, ceux dont le métier est riche en tâches sociales ont une probabilité plus faible de conserver le même statut, mais plus forte de développer leur activité en recrutant du personnel. Il est possible que ces travailleurs aient davantage de chances que les autres de trouver un poste salarié offrant de bonnes conditions de travail (par exemple une plus grande stabilité) dans leur domaine d’activité. À l’inverse, tout comme les travailleurs dont le métier comporte de nombreuses tâches routinières en général, ceux qui ont beaucoup de tâches physiques à exécuter ont apparemment moins de chances de trouver un emploi salarié intéressant.

5.3. Disparités entre travailleurs concernant les transitions entre salariat et travail indépendant en solo

Les technologies n’ayant vraisemblablement pas les mêmes conséquences sur toutes les catégories de travailleurs, nous recherchons d’éventuelles disparités en fonction du niveau d’études, de l’âge et du revenu en nous concentrant sur l’un des principaux résultats exposés dans la partie précédente, à savoir l’effet des avancées de l’IA sur la probabilité de passer du salariat au travail indépendant en solo.

L’interaction entre les transitions depuis l’emploi salarié (tableau 5) et le niveau d’études montre que le lien positif entre l’indice d’utilisation de l’IA et la probabilité de conserver le même poste salarié augmente avec le niveau d’études. L’indice est en outre systématiquement associé à une probabilité plus faible de basculer dans le chômage quel que soit le niveau d’études. Conjugués, ces deux résultats confortent eux aussi la thèse selon laquelle les progrès de l’IA ont pour effet d’améliorer les capacités de la main-d’œuvre.

Tableau 5

Probabilité de transition depuis l’emploi salarié: indice d’utilisation de l’IA, différentes catégories de travailleurs

Statut cible
Emploi salarié Travail indépendant avec salariés Travail indépendant en solo Chômage Inactivité
Indice d’utilisation de l’IA × niveau d’études
[1] Enseignement primaire (préprimaire) et secondaire du premier cycle –0,152
(0,185)
0,043
(0,033)
0,122**
(0,050)
–0,200
(0,175)
0,187**
(0,078)
[2] Enseignement secondaire du second cycle et postsecondaire 0,285***
(0,106)
0,014
(0,018)
0,032
(0,026)
–0,387***
(0,082)
0,056
(0,056)
[3] Enseignement supérieur 0,394**
(0,188)
0,017
(0,027)
0,044
(0,058)
–0,361***
(0,103)
–0,094
(0,084)
Indice d’utilisation de l’IA × tranche d’âge
[1] 16-29 ans 1,281***
(0,233)
0,005
(0,022)
0,106
(0,071)
–0,749***
(0,119)
–0,644***
(0,192)
[2] 30-54 ans 0,257**
(0,113)
0,014
(0,020)
0,024
(0,025)
–0,254***
(0,085)
–0,041
(0,060)
[3] 55-65 ans –0,847***
(0,316)
0,054**
(0,023)
0,105
(0,065)
–0,093
(0,113)
0,781***
(0,250)
Indice d’utilisation de l’IA × tranche de revenu
[1] Quatre quintiles inférieurs de la distribution des salaires 0,149
(0,133)
0,026
(0,020)
0,061*
(0,034)
–0,325***
(0,092)
0,088*
(0,051)
[2] Quintile supérieur de la distribution des salaires 1,017***
(0,309)
–0,010
(0,022)
–0,017
(0,079)
–0,442***
(0,164)
–0,549**
(0,220)
Effets fixes année Oui Oui Oui Oui Oui
Effets fixes pays Oui Oui Oui Oui Oui
Probabilité moyenne de transition 0,944 0,002 0,004 0,024 0,027
Observations 514 445 514 445 514 445 514 445 514 445
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Note: Voir la note et les informations sur les sources figurant sous le tableau 3.

L’interaction entre l’indice d’utilisation de l’IA et les tranches d’âge révèle en particulier que le lien positif entre cet indice et la probabilité de connaître une transition vers l’activité indépendante avec salariés est plus fort parmi les personnes de 55 ans et plus. Ce constat, qui est conforme aux constatations de Fossen et Sorgner (2021), pourrait être le signe que les seniors exerçant un métier touché par les avancées de l’IA sont davantage en mesure de tirer parti des perspectives d’activité créées par les nouvelles technologies numériques, parce qu’ils bénéficient de plus d’expérience professionnelle, de réseaux plus vastes et de davantage de ressources financières. Il va également dans le même sens que les études montrant que les seniors qui utilisent beaucoup les technologies numériques dans le cadre de leur travail sont plus susceptibles que les autres d’être des entrepreneurs par opportunité (Zhang, Stough et Gerlowski, 2022).

Enfin, les liens positifs entre l’indice d’utilisation de l’IA et la probabilité de passer au travail indépendant en solo ne sont statistiquement significatifs que pour les travailleurs peu qualifiés et ceux qui se situent dans les quatre premiers quintiles de la distribution des revenus. Il est possible que les travailleurs touchés par les progrès de l’IA qui exercent un métier mal rémunéré et qui n’ont pas suivi d’études ne profitent en réalité pas de l’augmentation des capacités humaines permise par cette technologie. Dès lors, ils s’orientent vers le travail indépendant en solo par obligation, faute de perspectives convenables dans le salariat. Ce résultat témoigne du rôle de l’entrepreneuriat par nécessité, déjà mis en lumière dans la précédente partie. Il va également dans le même sens que les constatations de Hyytinen et Rouvinen (2008), qui concluent à l’existence d’une corrélation négative entre l’entrepreneuriat et les capacités inobservées et/ou la productivité des salariés.

Cette thèse est indirectement corroborée par les résultats relatifs aux transitions depuis le statut d’indépendant en solo présentés dans le tableau 6, dont il ressort que le lien positif entre indice d’utilisation de l’IA et probabilité de sortir du statut indépendant au profit du salariat est plus fort pour les diplômés de l’enseignement supérieur et les travailleurs d’âge très actif (30-54 ans). Peut-être les plus éduqués des travailleurs indépendants qui utilisent les technologies numériques sont-ils davantage tentés d’abandonner leur activité indépendante pour se diriger vers le salariat en présence d’offres d’emploi proposant des conditions de travail attrayantes, par exemple une meilleure sécurité de l’emploi et une rémunération plus élevée.

Tableau 6

Probabilité de transition depuis le travail indépendant en solo: indice d’utilisation de l’IA, différentes catégories de travailleurs

Statut cible
Travail indépendant en solo Emploi salarié Travail indépendant avec salariés Chômage Inactivité
Indice d’utilisation de l’IA × niveau d’études
[1] Enseignement primaire (préprimaire) et secondaire du premier cycle –1,297*
(0,729)
–0,052
(0,365)
0,465
(0,786)
1,069**
(0,522)
–0,185
(0,295)
[2] Enseignement secondaire du second cycle et postsecondaire 0,243
(0,495)
0,144
(0,317)
0,203
(0,369)
–0,060
(0,170)
–0,529*
(0,279)
[3] Enseignement supérieur –0,642*
(0,386)
0,534**
(0,262)
0,244
(0,327)
–0,123
(0,150)
–0,012
(0,215)
Indice d’utilisation de l’IA × tranche d’âge
[1] 16-29 ans 0,578
(1,278)
–1,095
(0,837)
–0,394
(0,452)
0,247
(0,464)
0,664
(0,584)
[2] 30-54 ans –0,703*
(0,371)
0,526***
(0,197)
0,395
(0,316)
0,046
(0,094)
–0,264
(0,191)
[3] 55-65 ans 0,233
(0,615)
0,103
(0,248)
0,104
(0,473)
–0,007
(0,232)
–0,432
(0,345)
Indice d’utilisation de l’IA × tranche de revenu
[1] Quatre premiers quintiles de la distribution des salaires –0,455
(0,399)
0,435
(0,295)
0,357
(0,311)
0,156
(0,162)
–0,493*
(0,295)
[2] Quintile supérieur de la distribution des salaires 0,026
(0,540)
0,137
(0,154)
–0,082
(0,440)
–0,201***
(0,075)
0,119
(0,102)
Effets fixes année Oui Oui Oui Oui Oui
Effets fixes pays Oui Oui Oui Oui Oui
Probabilité moyenne de transition 0,865 0,040 0,059 0,014 0,022
Observations 43 626 43 626 43 626 43 626 43 626
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Note: Voir la note et les informations sur les sources figurant sous le tableau 3.

6. Tests de robustesse

Comme nous regroupons des données provenant de multiples pays européens, il est possible que les coefficients estimés ne soient pas les mêmes dans tous les pays. Pour nous assurer que nos résultats ne sont pas influencés par certains pays en particulier, nous estimons des régressions supplémentaires en excluant des pays l’un après l’autre, en l’occurrence l’Allemagne, la France et l’Italie, qui représentent une part relativement importante de la population active européenne8.

Pour les transitions depuis le statut de salarié, nous constatons que les tendances de nos résultats sont robustes à l’exclusion de l’Allemagne, de la France ou de l’Italie, seul le niveau de significativité des coefficients relatifs à l’indice d’utilisation de l’IA variant légèrement. De même, nos principaux résultats concernant les transitions depuis le travail indépendant en solo sont robustes, la seule différence, légère, étant observée lors de l’exclusion de l’Allemagne: la significativité du coefficient relatif à l’utilisation de l’IA diminue légèrement, mais le coefficient reste qualitativement comparable. Pour prendre en compte l’effet de chocs spécifiques à un pays au fil du temps, nous réestimons le modèle en faisant interagir des effets fixes pays et année (voir les tableaux SD3 et SD4 dans l’annexe en ligne D (en anglais). Les résultats obtenus avec cette spécification ne s’écartent pas de nos premières constatations. Nous ne constatons pas non plus de différences significatives concernant l’amplitude de nos coefficients. L’introduction de termes d’interaction supplémentaires ne modifie donc pas nos conclusions.

Enfin, pour apprécier la qualité de chacun des modèles de régression utilisés pour les différents indicateurs relatifs aux technologies dans les régressions logit multinomiales (partie 5), nous calculons le critère d’information d’Akaike et constatons que les estimations obtenues diffèrent peu selon les modèles, ce qui confirme la robustesse de notre analyse9.

7. Conclusions

Dans cet article, nous avons examiné la dynamique du travail indépendant dans 30 pays d’Europe au cours de la période 2014-2019 afin de répondre à trois questions de recherche: i) Quel est le lien entre le progrès technologique, plus précisément les technologies qui augmentent les capacités humaines et celles qui réduisent les besoins en main-d’œuvre, et les transitions vers et depuis le travail indépendant? ii) Cet impact du progrès technologique sur les transitions professionnelles est-il différent pour les travailleurs indépendants qui ont des salariés et pour ceux qui travaillent seuls? iii) Cet impact du progrès technologique diffère-t-il entre différentes catégories travailleurs?

En résumé, nous constatons un lien positif entre les technologies qui augmentent les capacités humaines (indice d’utilisation de l’IA dans la profession exercée) et la probabilité de quitter le salariat au profit d’une activité indépendante en solo. Deux interprétations, qui ne sont pas incompatibles l’une avec l’autre, peuvent être envisagées: il est possible que les travailleurs cherchent à tirer un meilleur parti des effets positifs des progrès de l’IA sur leurs capacités pour s’orienter vers une activité de travailleur indépendant en solo; il se peut aussi qu’ils évoluent vers cette activité par nécessité, parce que l’emploi salarié leur offre désormais moins de perspectives qu’avant. En réalité, nos résultats plaident plutôt en faveur de cette deuxième interprétation.

Dès lors, l’IA semble constituer une menace plus qu’une chance pour certains travailleurs, en particulier pour les personnes peu qualifiées, qui risquent plus de quitter le salariat pour basculer dans le chômage ou s’orienter vers le travail indépendant (en solo). Dans ce cas, ces personnes se résignent à l’indépendance faute de solution salariée plus satisfaisante. Ce constat vaut aussi pour les travailleurs à bas salaire, qui ont une probabilité plus forte de se mettre à leur compte si leur métier est fortement touché par l’IA. Les seniors sont aussi plus susceptibles de rompre avec le salariat, mais pour s’orienter vers une activité indépendante avec salariés, ce qui peut être synonyme d’une situation professionnelle plus favorable. En revanche, les travailleurs hautement qualifiés et ceux qui perçoivent un salaire élevé se caractérisent par une plus grande stabilité dans leur emploi salarié lorsque l’IA occupe une place importante dans leur métier – autrement dit, ils tirent parti des technologies. Cette observation va dans le même sens que les taux de transition plus élevés du travail indépendant en solo vers le salariat que nous constatons au sein de ces deux groupes de travailleurs.

Les technologies qui réduisent les besoins en main-d’œuvre, représentées par l’intensité du métier en tâches routinières, sont corrélées négativement avec l’entrée dans le travail indépendant. Cette constatation est conforme aux prédictions théoriques: les travailleurs qui accomplissent beaucoup de tâches routinières risquent d’être pénalisés par le progrès technologique, si bien qu’ils ont tendance à conserver leur emploi salarié, stable et (relativement) protégé.

Nos résultats concernant l’Europe diffèrent donc dans une certaine mesure de ceux obtenus pour les États-Unis. Dans leur étude, Fossen et Sorgner (2021) montrent en effet qu’une exposition plus grande aux progrès de l’IA réduit la probabilité de quitter le salariat pour créer une entreprise individuelle, mais augmente celle de créer une entreprise constituée en société. Autrement dit, les travailleurs qui améliorent leur productivité grâce à l’IA ont davantage de possibilités de créer une entreprise offrant des perspectives de croissance. Toutefois, ils ont aussi à supporter un coût d’opportunité plus élevé s’ils s’orientent vers un projet de création moins ambitieux. La divergence entre les deux études peut avoir de multiples explications, dont les différences entre les échantillons, entre les périodes (2014-2019 dans un cas et 2011-2018 dans l’autre), entre les intervalles considérés (année ou trimestre) et entre les niveaux, plus ou moins détaillés, des nomenclatures professionnelles utilisées (niveau à deux chiffres de la CITP-08 ou niveau à cinq chiffres de la Standard Occupational Classification). Les écarts s’expliquent aussi sans doute par le fait que l’environnement institutionnel, réglementaire et économique, de même que certaines caractéristiques culturelles sont plus favorables à la création d’entreprises de plus grande taille aux États-Unis que dans la plupart des pays d’Europe (Dheer et Treviño, 2022). De fait, le travail indépendant en solo y est beaucoup moins répandu qu’en Europe10. À cela s’ajoute que le travail indépendant est beaucoup plus souvent un pis-aller pour les salariés (existence d’une corrélation négative entre la probabilité d’entrer dans l’entrepreneuriat – et d’en sortir – et les capacités non observées et/ou la productivité d’un travailleur occupant un emploi salarié) en Europe qu’aux États-Unis (Hyytinen et Rouvinen, 2008).

De manière plus globale, nos résultats concernant l’IA vont dans le même sens que les conclusions des études sur l’impact des robots, qui mettent généralement en évidence une incidence négative sur l’emploi aux États-Unis (Acemoglu et Restrepo, 2020), mais un effet neutre voire positif en Europe (Dauth et al., 2021; Bachmann et al., 2024). Ils confortent aussi les constatations d’Albanesi et ses coauteurs (2023) qui, dans une étude réalisée au niveau de la profession, observent un lien positif entre IA et emploi dans une majorité des pays européens de leur échantillon.

D’autres aspects de notre analyse confirment les tendances mises en lumière par Fossen et Sorgner (2021): nous constatons que les salariés qui exercent une profession touchée par l’IA sont plus susceptibles de rester salariés et sont moins menacés par le chômage, ce qui valide la thèse selon laquelle l’IA peut être vue comme un outil qui renforce les capacités humaines, si bien que le travailleur devient plus productif et risque par conséquent moins de quitter l’emploi salarié ou de perdre son poste.

Notre étude est riche d’enseignements pour l’action publique. Premièrement, si les technologies augmentent les débouchés pour les créateurs d’entreprise, l’adoption de politiques publiques ayant pour but de faciliter les transitions vers le travail indépendant peut être économiquement et socialement payante. Toutefois, à plus long terme, la mise en œuvre de telles politiques peut se révéler lourde de conséquences sur la situation budgétaire des pays et la viabilité de leurs systèmes de protection sociale. Ces conséquences pourraient de surcroît être accentuées par la plus grande propension des entreprises à sous-traiter des travaux à des prestataires extérieurs ou à requalifier le contrat de certains salariés pour en faire des consultants externes afin d’échapper à une législation du travail protectrice.

Deuxièmement, étant donné que certains salariés deviennent indépendants faute de perspectives intéressantes dans le salariat, les politiques qui ont pour objet de favoriser cette modalité d’exercice peuvent se révéler contreproductives si les personnes visées sont mal préparées et disposent de ressources insuffisantes. En réalité, le premier objectif devrait être de doter les travailleurs des compétences dont ils ont besoin pour pouvoir tirer parti des progrès technologiques, en commençant par cibler les compétences numériques, dont il est établi qu’elles sont mal réparties entre les différentes catégories de travailleurs (Bachmann et Hertweck, 2025). Nos résultats laissent en réalité penser que la formation et la montée en compétences pourraient aider les travailleurs, en particulier ceux qui ont un niveau d’études bas, à créer ou développer leur propre entreprise afin d’améliorer leurs perspectives professionnelles.

Notes

  1. En 2019, les travailleurs indépendants représentaient environ 14 pour cent de l’emploi total au sein de l’UE. Voir «Emploi par sexe, âge et statut professionnel (1 000)», Séries EFT – résultats annuels détaillés des enquêtes, 2021. https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/product/page/LFSA_EGAPS.
  2. Calculs des auteurs à partir de données d’Eurostat («employeurs indépendants par sexe, âge et profession» (code de la variable: LFSA_ESGAIS)).
  3. Voir https://www.diw.de/en/diw_01.c.615551.en/research_infrastructure__socio-economic_panel__soep.html.
  4. Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et Tchéquie. Voir l’annexe en ligne A (en anglais) pour plus d’informations.
  5. Pour plus d’informations, voir Eurostat (2020).
  6. Les résultats de l’analyse de régression complète concernant l’indice d’utilisation de l’IA figurent dans le tableau SC1 de l’annexe en ligne C (en anglais).
  7. Les résultats de l’analyse de régression complète concernant l’indice d’utilisation de l’IA figurent dans le tableau SC2 de l’annexe en ligne C (en anglais).
  8. Les auteurs peuvent fournir sur demande les résultats obtenus en cas d’exclusion de la France ou de l’Italie. Ceux obtenus en cas d’exclusion de l’Allemagne sont présentés dans l’annexe en ligne D (en anglais).
  9. Les résultats peuvent être fournis par les auteurs sur demande.
  10. D’après des données d’ILOSTAT, en 2019, les travailleurs indépendants en solo représentaient un peu moins de 4 pour cent de l’emploi total aux États-Unis, contre 10 pour cent au sein de l’UE27.

Remerciements

Cette étude a été financée dans le cadre du projet intitulé Building Partnerships on the Future of Work (Construire des partenariats sur l’avenir du travail), codirigé par l’Organisation internationale du Travail (OIT) et le Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne. Nous remercions Guillaume Delautre (BIT (OIT)), Enrique Fernández-Macías (CCR), Frank Fossen et les participants à l’atelier final de l’initiative INNOVA MEASURE V pour leurs précieux commentaires et leurs suggestions. Une version plus longue de cet article a été publiée sous le même titre dans la série Background Paper Series of the Joint EU–ILO Project «Building Partnerships on the Future of Work» (Bachmann et al., 2022).

Conflits d’intérêts

Les auteurs n’ont pas d’intérêts concurrents à déclarer.

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