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Titre original: «Firm-Level Bargaining and Within-Firm Wage Inequality: Evidence across Europe» (International Labour Review, vol. 164 no 2. Traduit par Isabelle Croix. Également disponible en espagnol (Revista Internacional del Trabajo, vol. 144, no 2.
1. Introduction
La montée des inégalités observée dans de nombreux pays depuis la récession mondiale de 2008 a ravivé le débat sur l’origine de ces disparités. Les chercheurs incriminent, outre le progrès technologique, la mondialisation, l’affaiblissement du pouvoir des syndicats et la finance, les changements institutionnels introduits pour accroître la flexibilité du marché du travail et de la fixation des salaires (Cobb, 2016). Entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, beaucoup de pays ont en effet introduit des réformes en suivant les préconisations de la stratégie pour l’emploi publiée en 1994 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Dans cet article, nous nous intéressons aux effets de la décentralisation de la négociation collective sur les inégalités salariales. Ce déplacement progressif du niveau auquel est fixée la rémunération depuis un échelon relativement central (l’échelon national ou la branche) vers l’entreprise avait pour but de répondre aux besoins des employeurs en leur permettant d’ajuster les salaires en fonction de la situation du marché intérieur ou local (Undy, 1978). Son impact sur la législation relative à la fixation des salaires a été particulièrement fort en Europe, où le modèle de relations professionnelles «corporatiste» en vigueur jusqu’alors (Wallerstein, Golden et Lange, 1997), caractérisé par une couverture syndicale étendue et un système de négociation collective centralisé, s’est progressivement transformé en un système «hybride» (Braakmann et Brandl, 2016). Même si la négociation collective coordonnée (impliquant plusieurs entreprises), relativement centralisée, reste prédominante, il est de plus en plus fréquent que des conventions collectives conclues localement (négociation d’entreprise) dérogent à certaines dispositions arrêtées à un niveau plus élevé (Visser, 2013).
Cette place croissante des accords d’entreprise a été mise en rapport avec deux formes d’inégalités salariales: les unes sont observées entre entreprises (interentreprise) et les autres au sein d’une même entreprise (intraentreprise). La plupart des études portent sur la première catégorie, leurs auteurs cherchant à savoir si le fait que la négociation se déroule au niveau de l’entreprise peut expliquer que des travailleurs par ailleurs similaires ne perçoivent pas le même salaire en fonction de l’employeur pour lequel ils travaillent. En général, ils constatent que ces disparités sont davantage dues aux pratiques des entreprises en matière de fixation des salaires qu’aux seules caractéristiques individuelles, ce que confirment de récents travaux comparatifs entre pays coordonnés par l’OCDE (Criscuolo et al., 2020, 2021 et 2023). Les accords locaux accroissent les écarts de salaire entre entreprises (OCDE, 2017), comme le montre aussi l’édition 2018 des Perspectives économiques de l’OCDE (OCDE, 2018). D’après Dahl, Le Maire et Munch (2013), la raison en est que les salariés très qualifiés ont un pouvoir de négociation plus fort lorsque le dialogue social a lieu dans l’entreprise, ce qui permet à cette catégorie de travailleurs déjà bien rémunérée d’obtenir des salaires encore plus avantageux que lorsque la négociation est centralisée.
Notre article porte sur un sujet beaucoup moins étudié, en l’occurrence l’impact de la décentralisation de la fixation des salaires sur les inégalités intraentreprise. Nous cherchons donc à savoir si la structure salariale est plus inégalitaire dans les entreprises où les salaires sont négociés localement que dans celles où ils résultent d’une négociation centralisée. Il existe deux bonnes raisons de se pencher sur les écarts salariaux internes aux entreprises. Premièrement, dans la plupart des pays, ils représentent près de la moitié de l’ensemble des inégalités de rémunération, soit autant que les disparités entre entreprises (Lazear et Shaw, 2007; Fournier et Koske, 2013; OIT, 2017; Criscuolo et al., 2020). Notons que les États-Unis font exception, les différences entre entreprises étant prépondérantes (Barth et al., 2016). Deuxièmement, les écarts de rémunération entre entreprises ne permettent de brosser qu’un tableau partiel des dynamiques de formation des salaires. Ils peuvent indiquer si les pratiques des employeurs ont des répercussions sur les écarts par rapport à un salaire égal fixé par le marché pour des employés par ailleurs identiques, mais ils ne mettent pas en évidence l’impact de la négociation d’entreprise sur les dynamiques salariales au niveau de l’organisation. Seule une étude des disparités salariales internes à l’entreprise permet de comprendre comment les employeurs tirent parti de la possibilité de fixer les salaires localement pour augmenter ou diminuer la rémunération de certaines catégories de salariés, renforçant ainsi les inégalités de revenu globales.
Comme nous l’expliquons dans la deuxième partie de cet article, les travaux consacrés à ce lien fournissent des prédictions théoriques contrastées. Quant aux rares études empiriques disponibles, elles aboutissent elles aussi à des résultats nuancés et reposent le plus souvent sur des données anciennes, se rapportant à la deuxième moitié des années 1990, c’est-à-dire à l’époque où le mouvement de réforme du marché du travail s’est amorcé.
Dans cet article, nous apportons principalement trois contributions à cette littérature relativement lacunaire en exploitant des données appariées employeur-salarié issues de l’enquête sur la structure des salaires (ESS) et se rapportant à six États membres de l’Union européenne (UE) – Allemagne, Belgique, Espagne, France, Royaume-Uni et Tchéquie1 – en 2006, 2010, 2014 et 2018.
Nous commençons par comparer les inégalités intraentreprise selon le niveau auquel se déroule le dialogue social. Nous nous démarquons ainsi d’études antérieures, qui mesurent la puissance explicative globale des différents niveaux de négociation par rapport à d’autres déterminants des écarts salariaux en faisant appel à une stratégie de décomposition des inégalités. Nous choisissons au contraire d’employer une méthode de régression pour évaluer directement si les entreprises qui ont recours à la négociation d’entreprise sont plus ou moins inégalitaires que celles qui négocient à un niveau supérieur. Nous retenons, comme indicateur des inégalités intraentreprise, l’écart interdécile de la distribution des résidus de salaire, en tenant compte des caractéristiques des travailleurs et de l’entreprise. Nous pouvons ainsi examiner si les employeurs qui peuvent fixer les salaires localement – et déroger aux conventions collectives résultant de négociations centralisées – en profitent pour ajuster le salaire des employés situés au sommet ou au bas de la distribution des salaires. Nous cherchons à savoir si les travailleurs déjà bien rémunérés le sont encore mieux, si ceux qui le sont peu le sont encore moins, si ces deux hypothèses sont justes ou si c’est l’inverse qui est vrai.
Deuxièmement, nous adoptons une optique internationale, qui nous permet d’étudier dans quelle mesure le lien entre négociation d’entreprise et inégalités intraentreprise varie en en fonction du contexte institutionnel. Ces institutions – en particulier le système national de relations du travail – forment la toile de fond de la mise en œuvre de la négociation collective d’entreprise. Tous les pays d’Europe ne sont pas couverts par nos données, mais ceux que nous avons retenus sont représentatifs de différentes traditions coexistant en Europe en matière de négociation collective. Tous ont en commun une évolution vers une plus grande décentralisation du dialogue social, mais ils diffèrent sensiblement pour ce qui est de la forme de négociation dominante au cours de la période étudiée, ce qui peut influer sur l’impact de la négociation d’entreprise de diverses façons.
Troisièmement, nous évaluons si le lien entre négociation d’entreprise et inégalités intraentreprise a évolué au cours des deux décennies sur lesquelles porte notre étude. En toute logique, le recours à des accords d’entreprise devrait se traduire par une différenciation des salaires, et son impact sur les écarts salariaux internes aurait dû augmenter régulièrement. Toutefois, la période que nous étudions inclut la Grande récession de 2008-2009, qui a plongé les pays européens dans des crises financière et de la dette profondes en 2012 et 2013. Ces événements ayant engendré une pression sur les salaires, on pourrait s’attendre à une nette inflexion du lien entre négociation d’entreprise et inégalités salariales intraentreprise dès 2010, mais surtout au cours de la période 2014-2018.
Nos résultats révèlent une forte hétérogénéité des effets de la négociation d’entreprise dans les différents pays et à différentes périodes. Ces disparités ne recouvrent cependant pas exactement les singularités nationales des systèmes de négociation ou les classifications des pays en fonction du niveau auquel se déroule l’essentiel de la négociation collective.
La suite de notre article est organisée de la manière suivante. Dans la deuxième partie, nous présentons les principales théories qui éclairent notre question de recherche, ainsi que les conclusions des quelques travaux empiriques consacrés à notre sujet. Nous dépeignons ensuite brièvement les principales caractéristiques des systèmes de négociation des salaires en avançant quelques hypothèses au sujet de l’hétérogénéité des effets que nous pensons mettre en évidence dans l’analyse empirique. La troisième partie est consacrée à la présentation de nos données et de nos principales variables; et la quatrième, à la description de nos modèles empiriques et de nos stratégies d’estimation. Nous exposons nos résultats dans la cinquième partie et livrons nos conclusions dans la sixième.
2. Contexte et hypothèses
Habituellement, les auteurs qui s’intéressent au rôle des régimes de négociation collective dans la dynamique des inégalités commencent par décomposer les inégalités salariales totales en deux composantes, l’une intraentreprise et l’autre interentreprise, puis estiment dans quelle mesure le niveau auquel se déroule la négociation (centralisé ou d’entreprise) explique chacune de ces deux composantes, relativement à d’autres caractéristiques de l’entreprise ou à des caractéristiques institutionnelles. Toutefois, dans leur grande majorité, ces études portent uniquement sur les inégalités entre entreprises, cherchant à déterminer pourquoi des salariés par ailleurs identiques (en termes de caractéristiques individuelles et professionnelles) perçoivent un salaire différent en fonction de leur lieu de travail (Dell’Aringa et Lucifora, 1994; Hibbs et Locking, 1996; Palenzuela et Jimeno, 1996; Hartog, Leuven et Teulings, 2002; Rycx, 2003; Cardoso et Portugal, 2005; Checchi et Pagani, 2005; Plasman, Rusinek et Rycx, 2007; Card et De La Rica, 2006; Dell’Aringa et Pagani, 2007; Daouli et al., 2013; Ehrl, 2017). Cette focalisation sur les disparités entre entreprises, qui repose sur l’idée que l’entreprise joue un rôle central dans les inégalités de rémunération, s’est accentuée ces dernières années à la faveur des efforts déployés par l’OCDE pour comprendre l’origine des disparités dans différents pays (Criscuolo et al., 2020, 2021 et 2023), mais aussi des travaux en lien avec l’apparition de nouvelles tendances technologiques, comme l’utilisation de gros volumes de données (Silva, Leitao et Montana, 2022). À l’inverse, notre article vient compléter la littérature beaucoup plus limitée sur l’incidence de la négociation d’entreprise sur les inégalités salariales au sein des entreprises.
2.1. Littérature théorique et empirique
Les différentes approches qui peuvent être mobilisées pour appréhender le lien entre le niveau auquel se déroule la négociation collective et les inégalités salariales intraentreprise aboutissent à des prédictions contrastées concernant l’impact de la négociation d’entreprise comparativement à la négociation centralisée.
Les théories économiques insistent particulièrement sur le poids des motivations propres à l’entreprise dans le choix de recourir à des accords d’entreprise. Les négociations décentralisées devraient accroître les inégalités intraentreprise dans des modèles où les accords d’entreprise ont pour but d’obtenir et de rémunérer de façon sélective la contribution de différents salariés aux résultats et objectifs de l’entreprise (Bayo-Moriones, Galdón-Sánchez et Martínez-de-Morentin, 2013). Les systèmes de rémunération à la performance ou autres mécanismes de rémunération différenciée obéissant à la logique de la théorie des tournois en sont une illustration (Lazear et Rosen, 1981), de même que l’utilisation par l’employeur de certains dispositifs pour rétribuer de façon sélective le capital humain ou des ressources de valeur spécifiques à l’entreprise (approche par les ressources) ou pour éliminer des coûts de transaction et des problèmes d’agence liés à diverses catégories professionnelles (Eisenhardt, 1989; O’Shaughnessy, 1998). Les négociations collectives locales peuvent cependant aussi réduire les inégalités internes aux entreprises comparativement à des négociations centralisées dans le cas où les accords d’entreprise répondent à l’aspiration des salariés à la redistribution, à la justice et à l’équité. Cette situation peut être le fruit d’une préférence des travailleurs ou des syndicats pour l’égalisation des salaires (entre entreprises mais aussi au sein de chaque entreprise), comme le décrivent les modèles insider-outsider avec syndicats (Lindbeck et Snower, 1986 et 2001) ou les théories du «juste salaire» (Akerlof, 1984).
D’autres mécanismes reliant les inégalités salariales au sein des entreprises au niveau auquel se déroulent les négociations collectives sont décrits par les modèles de fixation des salaires qui expliquent l’écart entre le salaire d’équilibre et la rémunération effective par le salaire d’efficience, le partage de rente ou la différenciation de la rémunération au titre des compétences non mesurées des travailleurs. Bien que ces pratiques aient un lien plus direct avec les inégalités entre entreprises, elles peuvent aussi influer sur les écarts salariaux intraentreprise si elles sont utilisées par les employeurs pour reconfigurer l’échelle des salaires en ajustant la rémunération de certaines catégories de salariés sans modifier celle des autres. Il est toutefois difficile de se prononcer sur le point de savoir si ces pratiques ont pour effet de creuser ou d’atténuer les inégalités dans l’entreprise, leur impact dépendant de la manière dont elles sont mises en œuvre dans les faits et de la volonté des travailleurs et des syndicats de poursuivre des objectifs égalitaires, d’uniformisation des salaires, dans le cadre du dialogue social d’entreprise.
Outre les économistes et leur analyse des motivations propres à l’entreprise, des chercheurs issus d’autres champs disciplinaires ont mis en lumière le rôle de diverses caractéristiques de l’entreprise sur la structure interne de la rémunération. La recherche sociologique et socio-économique insiste sur le rôle de l’inertie organisationnelle et du rapport de force entre les différents groupes coexistant au sein des organisations. C’est en particulier le cas des auteurs qui adoptent une approche organisationnelle de la stratification, considérant l’entreprise comme le principal lieu où se forment les inégalités salariales (Stainback, Tomaskovic-Devey et Skaggs, 2010; Cobb, 2016). La résistance au changement contribue au maintien des positions des individus et de la structure des salaires dans une entreprise, alors que la résolution des conflits entre différents groupes ayant des objectifs et un pouvoir différents dans la structure hiérarchique, organisationnelle et professionnelle de l’entreprise peut avoir pour effet d’atténuer ou, au contraire, de creuser les inégalités internes, à un moment donné ou au fil du temps (Blau et Duncan 1967; Goldthorpe et Hope, 1972; Wright, 1980; Erikson et Goldthorpe, 2002).
En somme, la mise en œuvre de la négociation d’entreprise peut être très variable d’une entreprise à l’autre, et ses effets sur les écarts salariaux internes dépendent du poids relatif des divers facteurs qui viennent d’être évoqués. La relation entre décentralisation des négociations et inégalités salariales au sein de l’entreprise demeure in fine une question empirique.
Les résultats des rares études empiriques disponibles (qui se rapportent toutes aux années 1990 et au début des années 2000) ne sont pas moins contrastés que les prédictions de la littérature théorique. Dell’Aringa et Lucifora (1994) utilisent des données relatives à l’Italie et à l’année 1990 (issues d’une enquête nationale qui a précédé l’ESS) et constatent que la dispersion des salaires est la même au sein des entreprises qui appliquent exclusivement des négociations centralisées et dans celles qui ont aussi recours à des accords d’entreprise. Dell’Aringa et ses coauteurs (2004) parviennent au même constat dans le cas de la Belgique, de l’Espagne, de l’Irlande et de l’Italie en 1995 et mettent en évidence la nécessité d’inclure dans les modèles les résidus de salaire et des variables de contrôle. Ils montrent en effet que la hausse des inégalités observée dans les établissements couverts par un accord d’entreprise lorsque la mesure est effectuée sans variables de contrôle disparaît quand on introduit un ensemble complet de variables de contrôle. À l’inverse, Canal Domínguez et Rodríguez Gutiérrez (2004) constatent à partir de données relatives à l’Espagne se rapportant à 1995 que les négociations locales vont de pair avec une moindre dispersion des salaires dans l’entreprise. Enfin, Addison, Kölling et Teixeira (2014) étudient un panel d’entreprises allemandes au cours de la période 1996-2008 et observent une légère augmentation de la dispersion des salaires dans les entreprises qui sortent du champ d’application des accords sectoriels.
Notre étude vient enrichir cette littérature limitée. Elle fournit un cadre qui permet d’étudier la relation entre inégalités intraentreprise et niveau des négociations collectives dans un ensemble de pays européens aux traditions institutionnelles différentes et d’analyser l’évolution de cette relation au fil du temps.
2.2. Cadres de fixation des salaires dans un échantillon de pays et hypothèses de travail
Les principales caractéristiques des régimes de négociation collective en place dans les pays de notre échantillon au cours de la période couverte par les données sont synthétisées dans le tableau SA1 de l’annexe en ligne (en anglais).
Malgré un mouvement général de décentralisation du dialogue social au cours de la période étudiée, les systèmes de négociation diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre du point de vue de leur champ d’application, de leur couverture et de la mesure dans laquelle les accords conclus au niveau de l’entreprise dérogent à ceux issus de négociations centralisées. Bien que les prédictions théoriques concernant le signe de la relation entre négociation d’entreprise et inégalités intraentreprise soient dans l’ensemble incertaines, dans certains pays le contexte institutionnel peut favoriser un impact inégalitaire des accords d’entreprise. Ainsi, les systèmes en place au Royaume-Uni et en Tchéquie renforcent la probabilité que les entreprises qui négocient les salaires localement aient des structures salariales plus inégalitaires que celles qui négocient exclusivement à un échelon plus centralisé. En revanche, en Allemagne, la négociation d’entreprise va de pair avec une structure salariale plus égalitaire, tandis qu’aucun effet n’est prédit en Belgique et que les effets sont incertains en France. C’est précisément pour examiner cette possible hétérogénéité que nous réalisons des analyses distinctes par pays.
Nous observons cependant quelques points communs entre certains pays, en particulier s’agissant du niveau auquel se déroule l’essentiel des négociations collectives. Comme l’explique Fulton (2013), les pays peuvent être rattachés à différents régimes. La Belgique est l’incarnation du «régime intersectoriel/national», tandis que le Royaume-Uni et la Tchéquie sont des exemples de pays où la négociation a lieu au niveau de chaque employeur. L’Allemagne et l’Espagne sont dotées d’un régime sectoriel, situé entre ces deux extrêmes, et la France se singularise par la complexité des interactions entre les différents niveaux de la négociation collective. Dans ce contexte, les accords d’entreprise devraient influer sur les inégalités de la même manière dans les pays relevant d’un régime identique, et cette influence devrait être plus similaire que ce que les seules caractéristiques institutionnelles propres à un pays pourraient laisser penser. Il est néanmoins difficile de prédire s’ils atténueraient ou creuseraient les inégalités dans les économies où la négociation d’entreprise est pratiquée de longue date (au Royaume-Uni et en Tchéquie par exemple) ou dans ceux qui privilégient jusqu’à présent des formes plus centralisées de dialogue entre employeurs et salariés (Allemagne, Belgique, Espagne et France). Dans cette deuxième catégorie de pays, la législation ou la mobilisation des travailleurs peuvent empêcher que les accords d’entreprise n’entraînent des inégalités dans la structure des rémunérations. La probabilité que les entreprises négociant les salaires localement aient une structure salariale plus inégalitaire que celles qui les fixent dans le cadre de négociations centralisées serait alors plus faible dans ces pays que dans des contextes comme le Royaume-Uni et la Tchéquie. Toutefois, les négociations d’entreprise peuvent aussi être employées à des fins de différenciation des salaires au sein de l’entreprise, précisément pour contourner la rigidité et la complexité inhérentes aux régimes plus corporatistes. Dans l’hypothèse où cette deuxième tendance l’emporterait, le lien entre négociation d’entreprise et inégalités intraentreprise pourrait être plus fort en Allemagne, Belgique, Espagne et France qu’au Royaume-Uni et en Tchéquie.
Il est même possible d’imaginer un troisième scénario – certes un peu extrême –, dans lequel à mesure que les institutions de fixation des salaires convergent, gommant les différences institutionnelles entre pays et les frontières entre régimes de négociation (voir Baccaro et Howell, 2017), les différences éventuellement prédites concernant le lien entre négociation d’entreprise et inégalités salariales intraentreprise finiraient par ne plus être significatives. En pareil cas, notre analyse empirique devrait mettre en lumière des effets identiques ou comparables dans tous les pays.
S’agissant des effets dans le temps, l’évolution des systèmes de négociation des salaires dans les différents pays (tableau SA1 de l’annexe en ligne (en anglais)) permet de formuler deux hypothèses. Premièrement, comme les dispositions juridiques relatives aux accords collectifs d’entreprise ont été introduites avant la période sur laquelle porte notre étude – fin des années 1990 et début des années 2000 –, cette période a été marquée par une certaine stabilité de tous les systèmes de négociation collective. Même s’il semble que la négociation d’entreprise ait gagné du terrain, aucune réforme d’envergure n’a été engagée (sauf en France en 2016). Le mouvement de décentralisation ayant été général et n’ayant pas connu d’interruption majeure, nous pouvons escompter une hausse constante du recours aux accords d’entreprise et de l’ampleur des inégalités intraentreprise associées. Deuxièmement, nous nous attendons néanmoins à observer un changement significatif au cours de la deuxième partie de la période couverte en raison de la Grande récession de 2008-2009 et des crises financière et de la dette dans lesquelles elle a plongé l’Europe en 2012 et 2013. Étant donné les pressions qui s’exerçaient sur les salaires, il est possible que les entreprises aient eu davantage recours à la flexibilité pour ajuster les salaires localement au moyen d’accords d’entreprise durant la période 2014-2018. L’impact de la négociation collective d’entreprise a donc pu s’accentuer au cours de la dernière période.
3. Données et principales variables
3.1. Source des données et échantillon
L’enquête sur la structure des salaires d’Eurostat est une source reconnue de données sur la dynamique de la main-d’œuvre en Europe. Elle permet de recueillir de nombreuses informations sur les revenus et les caractéristiques personnelles et professionnelles d’un grand nombre de travailleurs des pays de l’Union européenne, appariées avec des données relatives à certaines caractéristiques de leur employeur. Elle a été utilisée dans d’autres études empiriques, en particulier dans certains des multiples travaux consacrés aux inégalités entre entreprises et à leurs déterminants. Les premières versions nationales de l’enquête, qui couvrent les années 1990, ont été utilisées dans les quelques études portant sur notre question de recherche, comme souligné dans la partie 2.
Dans chaque pays et pour chaque année, un échantillon d’entreprises (stratifié par taille, secteur d’activité et lieu d’implantation) est sélectionné de manière aléatoire de façon à être représentatif du système national de relations du travail. Un échantillon représentatif de salariés de chaque entreprise est ensuite constitué, ce qui permet d’obtenir un vaste ensemble de données sur leurs caractéristiques individuelles et professionnelles, notamment sur le salaire, l’âge, le genre, les études, le type de contrat, l’ancienneté, le type de profession, entre autres. Cette stratégie permet donc de disposer d’un ensemble de données appariées employeur-salarié, qui représente une source inégalée pour effectuer des comparaisons fiables entre économies.
Les données de l’ESS présentent évidemment des limites. Premièrement, en général, seules les entreprises employant au moins dix salariés sont incluses dans l’échantillon, ce qui exclut les microentreprises de l’analyse. Deuxièmement, bien que le protocole d’enquête permette d’obtenir des données sur un nombre impressionnant de travailleurs en Europe (environ 10 millions par année au cours de laquelle l’enquête est administrée), le taux d’échantillonnage des salariés varie en fonction de la taille des entreprises et du pays. Troisièmement, les données relatives aux caractéristiques personnelles et professionnelles des travailleurs sont très riches, mais celles sur les entreprises ne concernent que cinq variables (taille, lieu d’implantation, secteur d’activité, statut public ou privé et – ce qui est crucial pour notre analyse – niveau de la négociation collective). Quatrièmement, l’enquête ne permet pas d’identifier les salariés présents dans plusieurs vagues, ce qui signifie qu’il n’est pas possible de disposer de données de panel permettant un suivi dans le temps des employés ou employeurs interrogés. En conséquence, même si la richesse des données sur les caractéristiques individuelles devrait remédier en grande partie au biais de variable omise dans l’estimation des résidus (voir la partie 4 ci-après), il n’est pas possible de neutraliser totalement l’influence des caractéristiques individuelles non observées invariantes dans le temps.
Pour les besoins de notre étude, nous avons utilisé les vagues 2006, 2010, 2014 et 2018 de l’ESS. Les pays inclus dans l’analyse – Allemagne, Belgique, Espagne, France, Royaume-Uni et Tchéquie – ont été choisis sur la base de deux critères: il fallait d’abord impérativement que des données sur le type de négociation appliqué dans les entreprises échantillonnées soient disponibles, ce qui nous a obligés à exclure des pays où les entreprises n’avaient pas répondu à la question portant sur ce point ou avaient été trop peu nombreuses à le faire; nous voulions également, comme indiqué dans la partie précédente, obtenir une bonne représentation des divers types de contextes institutionnels et relations du travail existant en Europe. Malgré l’absence de données pour 2018, nous avons conservé le Royaume-Uni dans l’échantillon, parce qu’il est emblématique du système de négociation d’entreprise à l’anglo-saxonne2.
Par définition, pour mesurer les inégalités salariales intraentreprise, il faut observer la rémunération d’au moins deux salariés travaillant pour le même employeur, raison pour laquelle notre échantillon ne comprend que les entreprises dans lesquelles au moins trois salariés ont été sélectionnés. À noter également que, même si nous regroupons les entreprises par paire de vagues dans notre analyse empirique, nous obtenons des données transversales répétées, parce que l’ESS n’indique pas de code d’identification permettant de suivre la même entreprise au fil du temps.
3.2. Types de conventions collectives
L’information centrale fournie par l’ESS en lien avec notre étude provient d’une question sur le type de négociation salariale pratiqué dans chaque entreprise. Il est ainsi possible de distinguer trois catégories: les conventions collectives centralisées (accords nationaux ou interprofessionnels (type A), accords au niveau d’une branche (type B), accords concernant une branche particulière dans une région particulière (type C)); les accords d’entreprise (accords au niveau d’une entreprise ou d’un employeur unique (type D); accords s’appliquant seulement aux salariés d’une unité locale (type E); tout autre type d’accord (type F)); et l’absence de convention collective (cas où il n’existe pas d’accord collectif sur les salaires (Type N))3.
La négociation centralisée est la modalité de négociation salariale prédominante parmi les entreprises de notre échantillon en Belgique, en Espagne et en France, puisqu’elle est appliquée dans 70 à 90 pour cent des entreprises et à 65 à 85 pour cent des salariés (voir le tableau SB1 de l’annexe en ligne (en anglais)). Dans ces pays, les accords d’entreprise ne concernent que 6 à 20 pour cent des entreprises et 15 à 25 pour cent des salariés, tandis que la proportion d’entreprises et de salariés qui ne sont couverts par aucun type de convention collective est plus faible. En Allemagne, la majorité des entreprises (67 à 74 pour cent) ne sont couvertes par aucune convention collective, mais ces entreprises sont souvent de petite taille et emploient moins de la moitié des salariés de l’échantillon. Un pourcentage plus élevé de travailleurs relève d’une convention centralisée, tandis que les accords d’entreprise sont relativement rares, concernant 3 à 6 pour cent des entreprises et 3 à 7 pour cent des salariés. Au Royaume-Uni et en Tchéquie, la part des entreprises et salariés non couverts par une convention collective est comparable à ce qui est observé en Allemagne, mais les accords d’entreprise sont les instruments les plus répandus, ce qui est typique des régimes libéraux évoqués dans la partie précédente. S’agissant de l’évolution dans le temps, la part des entreprises et des salariés couverts par un accord d’entreprise fluctue, mais reste globalement stable dans tous les pays sauf en Tchéquie. Autrement dit, comme nous en avions l’intuition, le mouvement de décentralisation s’est poursuivi sans pour autant s’amplifier au cours de la période étudiée, la plupart des grandes réformes institutionnelles ayant été engagées avant.
Nous nous intéressons ici à la décentralisation de la négociation collective, c’est-à-dire au déplacement du dialogue social du niveau central vers celui de l’entreprise. Il s’agit donc d’un phénomène différent de l’absence totale d’accord collectif sur les salaires. C’est pourquoi, dans notre analyse empirique, nous ne prenons en compte que les entreprises qui appliquent une forme quelconque de négociation collective. Nous définissons une variable NDE comparant les entreprises qui appliquent la négociation d’entreprise (NDE = 1) et celles qui ne relèvent que de négociations collectives centralisées (NDE = 0)4.
3.3. Mesure des inégalités salariales au sein des entreprises
La disparité des salaires à l’intérieur des entreprises est mesurée à partir de la rémunération horaire des salariés indiquée dans l’ESS. Dans la recherche sur les inégalités salariales, depuis au moins Winter-Ebmer et Zweimüller (1999), il est d’usage d’isoler la composante du salaire ne correspondant pas à la rémunération moyenne fixée par le marché pour les caractéristiques professionnelles et individuelles de travailleurs par ailleurs similaires. L’objectif est de réaliser une comparaison fiable des salaires individuels en tenant compte des différences de composition de la main-d’œuvre et de caractéristiques de l’entreprise.
Pour mesurer les inégalités au sein de chaque entreprise j, nous retenons l’écart interdécile des résidus du logarithme des salaires, autrement dit l’écart entre les primes de salaire (pris en logarithme) des 90e et 10e centiles:
(1)
est le pe centile de la distribution du résidu de salaire obtenu pour chaque salarié i de l’entreprise j en estimant la régression mincérienne suivante, pour chaque pays et chaque année d’enquête:
(2)
Dans cette équation de Mincer, log(Wij), qui est le logarithme du salaire horaire tel qu’il figure dans les données de l’ESS, est régressé sur les caractéristiques individuelles et professionnelles habituelles: années d’ancienneté, âge, sexe, niveau d’études (selon la Classification internationale type de l’éducation – CITE), type de contrat (à durée indéterminée, temporaire ou apprentissage), contrat à temps partiel (représenté par une variable fictive), profession (selon la Classification internationale type des professions – CITP) et quotité de temps partiel. Enfin, nous incluons également un effet fixe pays EFj.
Le résidu wij est donc une prime salariale qui correspond à l’écart entre le salaire d’un individu et le salaire moyen attendu pour un employé de l’entreprise j présentant les mêmes caractéristiques, compte tenu de la prime salariale moyenne propre à cette entreprise, représentée par l’effet fixe entreprise EFj. À titre d’exemple, si un employeur a pour pratique de verser à son personnel une rémunération supérieure de 10 pour cent au salaire moyen du marché, cette prime de 10 pour cent est représentée par le coefficient φ et n’influe pas sur les inégalités salariales internes à l’entreprise calculées dans l’équation (1), ce qui permet de réaliser des comparaisons fiables entre les individus et entre les entreprises5.
Retenir l’écart interdécile de la distribution des primes salariales au sein de l’entreprise permet de déterminer si les employeurs utilisent la négociation d’entreprise pour ajuster les salaires les plus bas ou les plus élevés. En réalité, comme nous l’expliquons plus précisément dans la partie suivante, il est possible de mesurer séparément l’impact de la négociation d’entreprise sur chacun de ces deux centiles, alors que d’autres indicateurs couramment utilisés dans la littérature, tels que la variance ou l’écart type, ne nous permettraient pas de repérer l’origine de l’augmentation ou de la résorption des inégalités.
4. Modèles empiriques et stratégie d’estimation
Estimer les effets de changements institutionnels comme ceux touchant les régimes de négociation collective est généralement une tâche complexe. Si les entreprises ont la possibilité de choisir entre négociation centralisée et négociation décentralisée, il peut en résulter une endogénéité, ce qui pose des problèmes de comparabilité et de sélection entre les entreprises qui optent pour un régime plutôt que pour un autre. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir observer des pays dotés d’institutions et conditions comparables et engageant des réformes ponctuelles de leurs régimes de négociation collective. En l’absence de ce cadre expérimental idéal, pour obtenir des estimations comparables par pays, nous prenons en compte les caractéristiques des salariés et des entreprises, de même que la propension de chaque entreprise à recourir à la négociation d’entreprise.
4.1. Négociation d’entreprise et inégalités intraentreprise
Notre dispositif empirique doit nous permettre de déterminer si les inégalités intraentreprise varient de façon significative en fonction du régime de négociation collective adopté et si cette variation diffère: i) selon les pays et ii) selon les périodes, plus précisément entre les vagues 2006 et 2010 de l’ESS et les vagues 2014 et 2018.
Nous estimons donc les deux modèles de régression suivants pour chaque pays, l’un en regroupant les données issues des vagues 2006 et 2010 de l’ESS (équation (3)) et l’autre en regroupant celles provenant des vagues 2014 et 2018 (équation (4)):
(3)
et
(4)
Dans les deux modèles, mesure les inégalités salariales intraentreprise définies dans l’équation (1), calculées pour chaque entreprise j; NDEj indique si l’entreprise j relève d’un régime de négociation centralisé (NDEj = 0) ou d’entreprise (NDEj = 1); et sont des variables fictives indiquant si l’entreprise j est présente dans l’échantillon la deuxième année des deux paires de vagues (2010 ou 2018); Xj correspond à un ensemble de caractéristiques de l’entreprise et de variables reflétant la composition de la main-d’œuvre (voir ci-après); secteurj et régionj sont des effets fixes relatifs au secteur d’activité de l’entreprise (indiqué dans l’ESS au niveau à un chiffre de la NACE6) et à son lieu d’implantation (indiqué dans l’ESS au niveau 1 de la NUTS7); est un score de propension représentant la probabilité que l’entreprise j ait recours à la négociation d’entreprise et dont l’introduction vise à remédier à des effets de sélection endogène potentiels (voir plus loin); ϵj est un terme d’erreur idiosyncrasique8.
Les paramètres α et β sont les principaux coefficients d’intérêt; α0 et β0 mesurent le niveau moyen des inégalités salariales dans le groupe de référence, formé des entreprises où la négociation collective est centralisée, la première année de chacune des deux périodes (2006 et 2014 respectivement). Les coefficients α1 et β1 correspondent à la variation des inégalités entre les entreprises qui négocient les salaires localement et celles du groupe de référence (négociations centralisées) en 2006 et 2014 respectivement; α2 et β2 mesurent la variation des inégalités au fil du temps (entre 2006 et 2010 et 2014 et 2018 respectivement) dans les entreprises qui appliquent des négociations centralisées, tandis que α3 et β3 rendent compte de la croissance supplémentaire des inégalités qui se produit au fil du temps (toujours entre 2006 et 2010 et 2014 et 2018 respectivement) dans les entreprises où les salaires sont négociés localement. Des estimations séparées des modèles (donc des paramètres) par pays permettent de tenir compte de la disparité des systèmes de négociation collective entre pays. En réalité, comme nous l’expliquons plus haut, la définition des entreprises qui appliquent la négociation d’entreprise (NDE = 1) est relativement homogène dans tous les pays, tandis que les variations entre pays sont plus grandes au sein du groupe de référence, composé des entreprises qui négocient les salaires à un niveau plus centralisé (NDE = 0).
Nos principaux paramètres sont estimés selon la méthode suivante. Premièrement, les effets fixes secteur et région, de même que les variables de contrôle des caractéristiques de l’entreprise (Xj), permettent de tenir compte de facteurs qui, ensemble, influent sur les inégalités et l’adoption d’un régime de négociation local et risqueraient de créer un biais de variable omise s’ils n’étaient pas inclus dans les régressions9. Plus précisément, le vecteur Xj comprend deux catégories de variables disponibles dans l’ESS pour chaque entreprise j: d’une part les caractéristiques de l’entreprise sous la forme d’une variable catégorielle désignant la taille de l’entreprise (d’après ses effectifs) et d’une variable fictive indiquant son statut (public ou privé). En principe, la dispersion des salaires devrait être plus faible dans les grandes entreprises et les entreprises publiques, où les syndicats sont généralement plus puissants (Canal Domínguez et Rodríguez Gutiérrez, 2004). La deuxième catégorie de variables englobe les caractéristiques du personnel de l’entreprise j dont le rôle dans les inégalités salariales a été mis en lumière par des études antérieures, à savoir la proportion de femmes dans les effectifs, des variables fictives pour l’âge modal de la main-d’œuvre, le pourcentage de salariés titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire ou de l’enseignement supérieur, l’ancienneté moyenne des travailleurs dans l’entreprise, la proportion de cadres et de professionnels qualifiés (codes 1 et 2 de la CITP), le pourcentage d’employés à temps partiel et le pourcentage d’employés titulaires d’un contrat à durée indéterminée. Ces variables de contrôle sont certes pertinentes en théorie, mais il est difficile de prédire la relation de chacune d’elles avec les inégalités dans l’entreprise. On s’attend habituellement à constater une augmentation de ces disparités avec l’âge, l’ancienneté et le niveau d’études, ces différentes caractéristiques étant associées à une hausse des salaires, lesquels sont plus dispersés dans les entreprises où ils sont en moyenne plus élevés (Canal Domínguez et Rodríguez Gutiérrez, 2004). Pour ce qui est du genre, comme l’écart salarial entre hommes et femmes n’est plus à démontrer, les inégalités devraient être plus grandes dans les entreprises où le pourcentage de femmes est plus faible. Par ailleurs, elles devraient être plus faibles lorsqu’une plus forte proportion de travailleurs travaille à plein temps (plutôt qu’à temps partiel), est titulaire d’un contrat à durée indéterminée (plutôt que temporaire) et est formée d’ouvriers (plutôt que de cadres). Ces catégories de travailleurs sont en effet généralement plus souvent syndiqués, ce qui fait que la mobilisation des syndicats en faveur d’une plus grande égalité des salaires a plus d’impact dans les entreprises qui les emploient (ibid.)10.
En plus d’introduire des effets fixes et des variables de contrôle des caractéristiques de l’entreprise pour estimer les équations (3) et (4), nous cherchons à remédier à l’endogénéité potentielle de la variable fictive NDE liée à une sélection non aléatoire des entreprises. De fait, la décision d’adopter des accords collectifs d’entreprise pourrait être influencée par des éléments non observés corrélés avec les déterminants non observés de la variable dépendante d’intérêt. Ce phénomène peut se produire bien que nous ayons tenu compte des composantes du salaire spécifiques à l’employeur et des salaires moyens de l’entreprise dans l’équation de Mincer estimée au départ et que nous ayons introduit un grand nombre de covariables relatives à l’entreprise. Pour éliminer ce biais potentiel, suivant une solution adoptée dans la littérature empirique (Card et De La Rica, 2006; Daouli et al., 2013), nous augmentons le modèle au moyen d’une estimation probit préliminaire de la probabilité (score de propension) qu’une entreprise adopte la négociation collective d’entreprise ( ). Cette méthode repose sur l’idée que l’assignation à la catégorie NDE se faisant de façon aléatoire conditionnellement aux variables de contrôle observées, la conditionner également aux scores de propension permet d’éliminer tout autre biais susceptible de subsister en raison de caractéristiques non observées de l’entreprise (voir l’annexe en ligne C (en anglais) pour plus d’informations). Nous nous abstenons néanmoins de donner une dimension pleinement causale à nos résultats, parce que, comme souligné, les données issues de l’ESS ne sont pas des données de panel, ce qui signifie que nous ne pouvons pas suivre les employés et les entreprises au fil du temps et sommes donc dans l’incapacité de tenir compte de la totalité des effets fixes entreprise et salarié.
4.2. Négociation d’entreprise et rémunération aux deux extrémités de l’échelle des salaires
Pour mieux comprendre le rôle de la négociation d’entreprise dans les inégalités salariales intraentreprise, nous estimons les variantes suivantes des équations (3) et (4):
(5)
et
(6)
où la variable dépendante est soit le 90e centile de la distribution des primes salariales résiduelles dans l’entreprise j, soit le 10e centile, estimé dans les deux cas par la régression de Mincer décrite dans l’équation (3).
À noter que ces spécifications permettent d’appréhender l’origine de l’écart global mesuré dans les équations (3) et (4), parce qu’elles comparent les 90e et 10e centiles entre des entreprises qui négocient les salaires à des niveaux différents. À titre d’exemple, si l’on constate un lien positif entre la négociation d’entreprise et Δw90/10 dans un pays donné, il reste à savoir comment cette relation s’explique: est-elle due à une hausse des salaires (de leurs résidus) perçus par les salariés les mieux rémunérés (w90) en cas de négociation au niveau de l’entreprise ou à une baisse de ceux versés aux salariés situés en bas de la distribution des salaires (w10)? De plus, dans l’hypothèse où l’écart global Δw90/10 ne varierait pas de façon significative en fonction du régime de négociation collective, les estimations des équations (5) et (6) permettent de savoir si ce résultat s’explique par le fait que les deux composantes se compensent en évoluant dans la même direction lorsque la négociation se déroule au niveau de l’entreprise.
La méthode employée pour estimer les équations (5) et (6) est identique à celle utilisée pour les modèles de base dans les équations (3) et (4). Nous calculons des régressions séparées pour chaque pays, en ajoutant les mêmes covariables relatives à l’entreprise et les mêmes effets fixes, et réalisons au préalable les mêmes estimations probit des scores de propension à opter pour la négociation d’entreprise. Les résultats obtenus pour les coefficients α1 et β1 de la variable fictive NDE fournissent, pour la première année de chacune des deux périodes (2006 et 2014), la différence d’effets moyens entre les entreprises négociant les salaires localement et celles appliquant des négociations centralisées. Les coefficients des termes d’interaction α3 et β3 rendent compte de l’évolution éventuelle du coefficient de NDE au fil du temps.
5. Résultats
Nous commençons par présenter et commenter l’impact de la négociation d’entreprise sur les inégalités globales (Δw90/10), puis analysons les résultats pour chacune des deux extrémités de la distribution des primes salariales.
5.1. Inégalités intraentreprise globales
Le tableau 1 présente les estimations de l’équation (3), qui concernent la période 2006-201011. En 2006, les inégalités observées dans les entreprises du groupe de référence, où la négociation collective est centralisée, sont très variables d’un pays à l’autre, comme le montrent les estimations de α0. Les disparités les plus faibles sont observées en Espagne, avec une différence de 0,299, soit 30 points de pourcentage environ. La France affiche un écart plus de deux fois plus grand, de 62 points de pourcentage, ce qui en fait le pays où les inégalités sont les plus fortes dans le groupe de référence. Dans la plupart des autres pays, l’écart se situe aux alentours de 45 à 55 points de pourcentage. Parallèlement, cette même année, il n’y a le plus souvent aucune différence entre les entreprises qui négocient les salaires au niveau local et celles qui relèvent de négociations centralisées. Les coefficients α1 estimés ne sont en effet pas significativement différents de zéro, sauf dans le cas du Royaume-Uni. Dans ce pays, l’écart salarial est significativement plus faible (d’environ 1,3 point de pourcentage ou environ 2 pour cent des inégalités mesurées dans le groupe de référence) dans les entreprises qui négocient les salaires localement que dans les autres.
Inégalités intraentreprise et négociation collective d’entreprise, 2006-2010
Variable dépendante Δw90/10 | Allemagne | Belgique | Espagne | France | Royaume-Uni | Tchéquie |
α0: Ordonnée à l’origine (Inégalités de référence, NDE = 0 en 2006) |
0,529*** (0,0539) |
0,455*** (0,0340) |
0,299*** (0,0259) |
0,624*** (0,0401) |
0,596*** (0,122) |
0,463*** (0,0427) |
α1: NDE (Augmentation des inégalités quand NDE = 1 en 2006) |
–0,00285 (0,00638) |
–0,00158 (0,00420) |
0,00510 (0,00458) |
–0,00478 (0,00990) |
–0,0129** (0,00634) |
–0,0103 (0,0100) |
α2: Année 2010 (Augmentation des inégalités quand NDE = 0 en 2010) |
0,00454 (0,00424) |
–0,0334*** (0,00265) |
–0,0326*** (0,00273) |
–0,0151*** (0,00348) |
–0,0798*** (0,00842) |
–0,0142 (0,0119) |
α3: NDE × 2010 (Augmentation des inégalités quand NDE = 1 en 2010) |
0,00323 (0,00846) |
0,00148 (0,00592) |
0,0217*** (0,00672) |
0,0362*** (0,0114) |
–0,00420 (0,00849) |
0,00496 (0,0129) |
γ: Probabilité d’adoption de la NDE (Augmentation des inégalités associée au statut NDE prédit) |
–0,000383 (0,0520) |
0,0953*** (0,0355) |
–0,226*** (0,0250) |
0,105*** (0,0359) |
–0,00772 (0,125) |
0,117** (0,0458) |
Variables de contrôle des caractéristiques de l’entreprise | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Effets fixes région | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Effets fixes secteur | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Observations | 12 312 | 13 765 | 37 887 | 30 009 | 14 502 | 3 498 |
R2 | 0,064 | 0,187 | 0,197 | 0,118 | 0,123 | 0,230 |
-
*Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. **Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
***Statistiquement significatif au seuil de 0,1 pour cent.
Notes: NDE = négociation d’entreprise. Variables de contrôle des caractéristiques de l’entreprise: taille de l’entreprise (50-249 ou 250 salariés ou plus); entreprise publique; âge modal des salariés; ancienneté moyenne des salariés; proportion de femmes dans les effectifs; pourcentage de salariés titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire ou de l’enseignement supérieur, proportion de cadres et de professionnels qualifiés, proportion d’employés à temps partiel et proportion d’employés titulaires d’un contrat à durée indéterminée. Les erreurs types bootstrap figurent entre parenthèses (200 itérations).
Source: Calculs effectués par les auteurs à partir de données issues des vagues 2006, 2010, 2014 et 2018 de l’ESS.
En 2010, les inégalités constatées dans les entreprises négociant les salaires de façon centralisée avaient diminué par rapport à 2006 (voir les estimations de α2) dans tous les pays sauf en Allemagne et en Tchéquie. Dans certains cas, cette baisse est notable: elle est de 11 points environ en Espagne et de 13 points au Royaume-Uni. La tendance est la même parmi les entreprises qui négocient les salaires localement (voir les estimations de α3, dont la plupart sont dépourvues de significativité statistique), sauf en Espagne et en France, où la négociation d’entreprise atténue (voire inverse) le mouvement vers plus d’égalité. Dans ces deux pays, le niveau auquel se déroule la négociation collective n’exerçait pas d’influence significative en 2006. En revanche, en 2010, l’écart s’était creusé (d’environ 2,2 points de pourcentage en Espagne et 3,6 points en France). Alors que les inégalités avaient sensiblement diminué en 2010 dans les entreprises françaises et espagnoles relevant de négociations centralisées, dans celles négociant les salaires localement (somme de α2 et α3), elles avaient beaucoup moins baissé en Espagne et s’étaient même amplifiées en France.
Le tableau 2 présente les estimations de l’équation (4), qui concernent la période 2014-2018. Il confirme la très forte hétérogénéité entre pays déjà mise en lumière par les estimations relatives à 2006-2010. En 2014, les inégalités observées dans les entreprises du groupe de référence (voir les estimations de β0) et l’augmentation constatée quand les salaires sont négociés localement (estimations de β1) varient selon les pays. En réalité, en Belgique, au Royaume-Uni et en Tchéquie, l’ampleur des inégalités n’est pas significativement différente dans les entreprises qui négocient localement. En revanche l’écart Δw90/10 se creuse en Allemagne, en Espagne et en France, ce qui pourrait être lié au fait que dans ces pays, à la suite de la crise, la négociation d’entreprise a été utilisée à des fins de différenciation des salaires. Cependant, cette hausse des inégalités associée à la négociation d’entreprise ne perdure pas. En 2018, les inégalités salariales n’avaient augmenté sous l’effet de la négociation d’entreprise (estimations de β3) que dans un seul pays (la Tchéquie), les différences selon le niveau de la négociation collective n’étant significatives dans aucun autre. À l’inverse, dans les entreprises qui dépendent exclusivement de négociations collectives centralisées, les inégalités évoluent dans des sens différents au fil du temps (estimations de β2), augmentant en Belgique et en Espagne, mais régressant en Allemagne, en France et en Tchéquie.
Inégalités intraentreprise et négociation collective d’entreprise, 2014-2018
Variable dépendante Δw90/10 | Allemagne | Belgique | Espagne | France | Royaume-Uni | Tchéquie |
β0: Ordonnée à l’origine (Inégalités de référence, NDE = 0 en 2014) |
0,417*** (0,0457) |
0,228*** (0,0344) |
0,283*** (0,0962) |
0,592*** (0,0488) |
0,590*** (0,0969) |
0,311*** (0,116) |
β1: NDE (Augmentation des inégalités quand NDE = 1 en 2014) |
0,0266*** (0,00550) |
–0,00114 (0,00312) |
0,0123** (0,00558) |
0,0111* (0,00572) |
–0,00742 (0,00780) |
–0,00450 (0,00856) |
β2: Année 2018 (Augmentation des inégalités quand NDE = 0 en 2018) |
–0,0232*** (0,00285) |
0,0184*** (0,00237) |
0,00578** (0,00275) |
–0,01000* (0,00525) |
–0,0247** (0,0102) |
|
β3: NDE × 2018 (Augmentation des inégalités quand NDE = 1 en 2018) |
–0,00134 (0,00826) |
0,000606 (0,00438) |
0,00515 (0,00704) |
0,00659 (0,00644) |
0,0193* (0,0107) |
|
γ: Probabilité d’adoption de la NDE (Augmentation des inégalités associée au statut NDE prédit) |
0,0686** (0,0282) |
0,0118 (0,0719) |
–0,196*** (0,0338) |
–0,0449** (0,0212) |
–0,106 (0,106) |
–0,140*** (0,0390) |
Variables de contrôle des caractéristiques de l’entreprise | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Effets fixes région | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Effets fixes secteur | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Observations | 21 383 | 12 350 | 30 048 | 47 101 | 5 181 | 11 597 |
R2 | 0,113 | 0,220 | 0,211 | 0,154 | 0,150 | 0,447 |
-
*Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. **Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent. ***Statistiquement significatif au seuil de 0,1 pour cent.
Notes: NDE = négociation d’entreprise. Variables de contrôle des caractéristiques de l’entreprise: taille de l’entreprise (50-249 ou 250 salariés ou plus); entreprise publique; âge modal des salariés; ancienneté moyenne des salariés; proportion de femmes dans les effectifs; pourcentage de salariés titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire ou de l’enseignement supérieur, proportion de cadres et de professionnels qualifiés, proportion d’employés à temps partiel et proportion d’employés titulaires d’un contrat à durée indéterminée. Les erreurs types bootstrap figurent entre parenthèses (200 itérations).
Source: Calculs effectués par les auteurs à partir de données issues des vagues 2006, 2010, 2014 et 2018 de l’ESS.
5.2. Salariés situés aux deux extrémités de l’échelle des salaires
Nous estimons ensuite les équations (5) et (6) afin d’obtenir des coefficients distincts pour chacune des deux extrémités de la distribution des salaires.
Les résultats relatifs à la période 2006-2010 figurent dans le tableau 3. Ils fournissent une explication de l’accroissement des inégalités associé à la négociation d’entreprise en Espagne, en France et au Royaume-Uni (tableau 1). La baisse des inégalités associée à cette forme de négociation au Royaume-Uni en 2006 s’explique par le niveau significativement plus élevé des primes salariales en bas de l’échelle dans les entreprises qui négocient les salaires localement (estimation de α1 pour q10). En Espagne, le niveau plus faible de l’écart salarial global Δw90/10 observé en 2010 dans les entreprises qui relèvent de négociations collectives centralisées s’explique par une diminution relative des primes salariales dans le 90e centile et par une hausse dans le 10e centile, ces deux mouvements conduisant à une réduction de l’écart salarial global du fait que le bas et le sommet de la distribution se rapprochent. À noter que la négociation d’entreprise freine cette réduction de l’écart en raison de son impact sur q10 comme sur q10 (coefficients α3), d’où une différence totale de 2,17 points de pourcentage entre les deux régimes de négociation en 2010. La France a connu une dynamique similaire, mais de plus grande ampleur: la négociation d’entreprise se traduit par une hausse des primes salariales au sommet de la distribution et une baisse en bas, si bien que l’écart s’est élevé à 3,6 points de pourcentage au total.
Négociation collective d’entreprise et 90e et 10e centiles de la distribution des primes salariales, 2006-2010
Variable dépendante: | Allemagne | Belgique | Espagne | France | Royaume-Uni | Tchéquie | ||||||
q90 | q10 | q90 | q10 | q90 | q10 | q90 | q10 | q90 | q10 | q90 | q10 | |
α0: Ordonnée à l’origine | 0,270*** (0,0289) |
–0,259*** (0,0265) |
0,226*** (0,0203) |
–0,228*** (0,0173) |
0,244*** (0,0223) |
–0,219*** (0,0195) |
0,315*** (0,0234) |
–0,309*** (0,0173) |
0,148*** (0,0134) |
–0,151*** (0,0112) |
0,307*** (0,0722) |
–0,290*** (0,0571) |
α1: NDE | –0,00945*** (0,00343) |
–0,00660* (0,00394) |
–0,00106 (0,00276) |
0,000520 (0,00244) |
–0,00479 (0,00521) |
0,00548 (0,00535) |
–0,00187 (0,00500) |
0,00292 (0,00601) |
–0,000250 (0,00260) |
–0,00535** (0,00239) |
–0,00414 (0,00373) |
0,00877*** (0,00320) |
α2: Année 2010 | 0,00678*** (0,00236) |
0,00223 (0,00262) |
–0,0189*** (0,00158) |
0,0145*** (0,00135) |
–0,00548 (0,00623) |
0,00871 (0,00728) |
–0,00764*** (0,00202) |
0,00741*** (0,00162) |
–0,0174*** (0,00139) |
0,0151*** (0,00131) |
–0,0392*** (0,00530) |
0,0406*** (0,00419) |
α3: NDE × 2010 | 0,00578 (0,00451) |
0,00255 (0,00452) |
0,00159 (0,00332) |
0,000108 (0,00298) |
0,00125 (0,00693) |
–0,00371 (0,00771) |
0,0195*** (0,00600) |
–0,0167*** (0,00598) |
0,0148*** (0,00346) |
–0,00693** (0,00316) |
–0,00431 (0,00533) |
–0,000113 (0,00443) |
γ: Probabilité d’adoption de la NDE | –0,0153 (0,0238) |
–0,0149 (0,0296) |
0,0539*** (0,0173) |
–0,0415** (0,0171) |
0,0595** (0,0259) |
–0,0576*** (0,0212) |
0,0678*** (0,0183) |
–0,0374** (0,0167) |
–0,133*** (0,0151) |
0,0928*** (0,0129) |
–0,0112 (0,0739) |
–0,00350 (0,0573) |
Variables de contrôle des caractéristiques de l’entreprise | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Effets fixes région | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Effets fixes secteur | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Observations | 12 312 | 12 312 | 13 765 | 13 765 | 3 498 | 3 498 | 30 009 | 30 009 | 37 887 | 37 887 | 14 502 | 14 502 |
R2 | 0,059 | 0,059 | 0,138 | 0,199 | 0,226 | 0,191 | 0,105 | 0,115 | 0,174 | 0,191 | 0,110 | 0,124 |
-
*Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. **Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent. ***Statistiquement significatif au seuil de 0,1 pour cent.
Notes: NDE = négociation d’entreprise. Variables de contrôle des caractéristiques de l’entreprise: taille de l’entreprise (50-249 ou 250 salariés ou plus); entreprise publique; âge modal des salariés; ancienneté moyenne des salariés; proportion de femmes dans les effectifs; pourcentage de salariés titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire ou de l’enseignement supérieur, proportion de cadres et de professionnels qualifiés, proportion d’employés à temps partiel et proportion d’employés titulaires d’un contrat à durée indéterminée. Les erreurs types bootstrap figurent entre parenthèses (200 itérations).
Source: Calculs effectués par les auteurs à partir de données issues des vagues 2006, 2010, 2014 et 2018 de l’ESS.
Le tableau 4 contient les estimations obtenues pour 2014-2018. Il montre que la différence concernant les inégalités observée dans le tableau 2 s’explique par des mouvements de fond différents, les entreprises utilisant la négociation locale pour ajuster des niveaux différents de la distribution. En Allemagne, l’augmentation de l’écart Δw90/10 constatée en cas de négociation d’entreprise en 2014 est la résultante de deux évolutions conjuguées: dans les entreprises qui négocient localement, la rémunération des salariés les moins bien payés (10e centile) diminue et celle de leurs collègues les mieux lotis (90e centile) augmente. La situation est différente en Espagne et en France, où cette même augmentation observée en 2014 est uniquement due au fait que les entreprises qui négocient les salaires localement réduisent la rémunération des salariés les moins bien payés comparativement à ce qui est observé quand la négociation des salaires est centralisée. L’inverse est vrai en Tchéquie en 2018, à savoir que la hausse de l’écart salarial s’explique par le niveau plus élevé du salaire du 90e centile lorsque les salaires sont fixés localement.
Négociation collective d’entreprise et 90e et 10e centiles de la distribution des primes salariales, 2014-2018
Variable dépendante: | Allemagne | Belgique | Espagne | France | Royaume-Uni | Tchéquie | ||||||
q90 | q10 | q90 | q10 | q90 | q10 | q90 | q10 | q90 | q10 | q90 | q10 | |
β0: Ordonnée à l’origine | 0,106*** (0,0167) |
–0,122*** (0,0188) |
0,186*** (0,0637) |
–0,125** (0,0508) |
0,310*** (0,0288) |
–0,282*** (0,0207) |
0,202*** (0,0295) |
–0,215*** (0,0258) |
0,155*** (0,0592) |
–0,128*** (0,0345) |
0,322*** (0,0464) |
–0,269*** (0,0457) |
β1: NDE | 0,000366 (0,00199) |
0,00151 (0,00181) |
–0,00311 (0,00498) |
0,00139 (0,00462) |
0,00489 (0,00342) |
–0,00623** (0,00265) |
0,0136*** (0,00302) |
–0,0129*** (0,00309) |
0,00250 (0,00287) |
–0,00976*** (0,00273) |
–0,00467 (0,00448) |
0,00275 (0,00382) |
β2: Année 2018 | 0,00895*** (0,00131) |
–0,00946*** (0,00118) |
–0,0141** (0,00586) |
0,0105* (0,00555) |
–0,00677** (0,00304) |
0,00323 (0,00242) |
–0,00913*** (0,00156) |
0,0140*** (0,00140) |
0,00327** (0,00164) |
–0,00251* (0,00143) |
||
β3: NDE × 2018 | –0,000386 (0,00260) |
–0,000992 (0,00231) |
0,0108* (0,00599) |
–0,00850 (0,00563) |
0,00242 (0,00365) |
–0,00417 (0,00321) |
–0,00427 (0,00443) |
–0,00293 (0,00437) |
0,00660 (0,00412) |
0,00145 (0,00380) |
||
γ: Probabilité d’adoption de la NDE | 0,0101 (0,0387) |
–0,00175 (0,0394) |
–0,0955*** (0,0252) |
0,0446** (0,0191) |
–0,0261** (0,0129) |
0,0187* (0,0104) |
0,0402** (0,0167) |
–0,0284* (0,0153) |
–0,109*** (0,0168) |
0,0866*** (0,0172) |
–0,0892* (0,0515) |
0,0166 (0,0522) |
Variables de contrôle des caractéristiques de l’entreprise | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Effets fixes région | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Effets fixes secteur | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ | ✓ |
Observations | 12 350 | 12 350 | 11 597 | 11 597 | 47 101 | 47 101 | 21 383 | 21 383 | 30 048 | 30 048 | 5 181 | 5 181 |
R2 | 0,195 | 0,188 | 0,415 | 0,411 | 0,148 | 0,136 | 0,110 | 0,093 | 0,190 | 0,201 | 0,142 | 0,144 |
-
*Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. **Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent. ***Statistiquement significatif au seuil de 0,1 pour cent.
Notes: NDE = négociation d’entreprise. Variables de contrôle des caractéristiques de l’entreprise: taille de l’entreprise (50-249 ou 250 salariés ou plus); entreprise publique; âge modal des salariés; ancienneté moyenne des salariés; proportion de femmes dans les effectifs; pourcentage de salariés titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire ou de l’enseignement supérieur, proportion de cadres et de professionnels qualifiés, proportion d’employés à temps partiel et proportion d’employés titulaires d’un contrat à durée indéterminée.
Les erreurs types bootstrap figurent entre parenthèses (200 itérations).
Source: Calculs effectués par les auteurs à partir de données issues des vagues 2006, 2010, 2014 et 2018 de l’ESS.
6. Conclusions
Dans cet article, nous enrichissons la littérature consacrée à l’impact des accords collectifs d’entreprise sur les inégalités de revenu en nous intéressant aux inégalités salariales observées au sein des entreprises – et non entre entreprises – dans différents contextes institutionnels. Nous utilisons des données appariées employeur-salarié issues des vagues 2006, 2010, 2014 et 2018 de l’ESS et se rapportant à six économies européennes (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Royaume-Uni et Tchéquie) et comparons les inégalités salariales dans les entreprises qui négocient les salaires localement et dans celles où la négociation collective est plus centralisée (sectorielle ou nationale). Nous prenons en compte les différences de composition de la main-d’œuvre et atténuons l’endogénéité de la sélection du régime de négociation collective.
Compte tenu des principales caractéristiques des systèmes de négociation des salaires en place dans les pays de notre échantillon, nous nous attendions à constater, au cours des deux décennies concernées par nos données, que la négociation d’entreprise était synonyme d’inégalités plus fortes au Royaume-Uni et en Tchéquie, tandis que nous avions plus d’incertitudes concernant l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et la France, parce que la conjugaison de facteurs propres aux pays et aux régimes pouvait avoir un impact. Nous pensions également que les inégalités plus grandes associées à la négociation d’entreprise se creuseraient encore au fil de la période examinée quel que soit le pays, du fait de l’importance croissante accordée aux avantages attachés à la décentralisation de la négociation et bien que les systèmes de négociation salariale n’aient pas réellement été réformés pendant cette période (sauf en France). Enfin, nous pensions que la Grande récession et les crises financière et de la dette qui l’ont suivie avaient pu exercer une influence, incitant les entreprises à recourir davantage à la flexibilité permise par les accords d’entreprise, ce qui aurait creusé les inégalités salariales associées à ces accords dès 2010, mais surtout en 2014 et 2018.
Nos résultats ne confirment que partiellement nos hypothèses. Nous concluons d’abord à une absence d’homogénéité: les inégalités peuvent être plus faibles, identiques ou plus fortes dans les entreprises qui négocient les salaires localement comparativement à ce qui est observé dans celles relevant d’un régime plus centralisé. Qui plus est, ces différences peuvent évoluer au fil du temps, y compris au sein d’un même pays. Ainsi, au cours de la période 2006-2010, les disparités salariales ne sont plus faibles en cas de négociation d’entreprise qu’au Royaume-Uni en 2006, tandis qu’aucune différence n’est observée dans les autres pays. En 2010, l’Espagne et la France sont les deux seuls pays où les écarts de salaire diffèrent selon le niveau de la négociation collective, ces écarts se creusant en cas de négociation d’entreprise. En 2014, la négociation d’entreprise va de pair avec des inégalités plus grandes en Espagne et en France, mais aussi en Allemagne, tandis qu’en 2018 aucune différence n’est observée entre les deux niveaux de négociation sauf en Tchéquie.
La décomposition des primes salariales par déciles de la distribution met en lumière d’autres disparités. Les inégalités plus grandes associées à la négociation d’entreprise en Espagne et en France en 2010 sont dues au fait que le mouvement de hausse des bas salaires et de baisse des hauts salaires observé quand la négociation est centralisée disparaît voire s’inverse quand les rémunérations sont négociées localement, ce qui laisse penser que dans ces deux pays les négociations d’entreprise ont été de plus en plus utilisées pour éviter d’uniformiser les salaires. Toutefois, toujours dans ces deux pays, l’accroissement des inégalités associé à la négociation d’entreprise en 2014 provient uniquement de la diminution des salaires dans le décile inférieur de la distribution des primes salariales, tandis que le salaire n’a pas évolué au sommet de l’échelle. D’autres configurations sont cependant possibles: la négociation d’entreprise peut aller de pair avec une rémunération plus élevée au bas de la distribution comparativement à ce qui est observé quand les négociations sont centralisées – c’est le scénario qui s’est produit au Royaume-Uni en 2006.
Les disparités ne suivent pas exactement les contours des systèmes nationaux de négociation ni les lignes de démarcation claires entre régimes tracées dans les travaux de recherche. Nous mettons parfois en lumière des tendances différentes pour des pays dont les régimes présentent des points communs. C’est par exemple le cas pour le Royaume-Uni et la Tchéquie en 2006 ou l’Allemagne et l’Espagne en 2010. À l’inverse, nous obtenons des estimations proches pour des pays dont les institutions et traditions de négociation collective diffèrent, par exemple pour l’Allemagne et la Belgique comparativement au Royaume-Uni et à la Tchéquie en 2010 ou encore pour tous les pays sauf la Tchéquie en 2018.
Par ailleurs, pour ce qui est de l’évolution dans le temps, nous n’observons pas non plus de tendance univoque montrant que les inégalités augmentent (ou régressent) au fil du temps dans les entreprises qui négocient les salaires localement. Certains indices laissent penser que le recours accru à la négociation d’entreprise pourrait traduire une volonté de différencier les salaires en réaction aux crises économiques aux alentours de 2014, mais ce phénomène n’existe pas dans tous les pays et avait disparu en 2018.
Enfin, nos constatations fournissent un tableau d’ensemble des dynamiques à l’œuvre entre divers déterminants contradictoires du recours à la négociation d’entreprise mis en lumière par la littérature – motivations propres à l’entreprise, inertie et rapports de force. Elles laissent penser que ces dynamiques diffèrent selon les pays, mais ne sont pas systématiquement liées à un régime de négociation dominant spécifique.
Nous nous sommes intéressés ici au rôle des systèmes nationaux, mais il pourrait à l’avenir être envisagé de comparer l’impact de la négociation d’entreprise sur les inégalités intraentreprise entre secteurs plutôt qu’entre pays. S’il apparaît que les caractéristiques sectorielles transnationales comptent davantage que celles des pays – comme le suggèrent Bechter, Brandl et Meardi (2012) –, il faudrait examiner l’utilisation que certains secteurs font des accords d’entreprise comparativement à d’autres secteurs dans les différents pays.
En somme, notre étude apporte un nouvel éclairage et propose de nouvelles méthodes à l’appui de la réouverture du débat sur les déterminants des disparités salariales. Nous avons mis en lumière l’importance du niveau auquel les salaires sont négociés et avons montré que la négociation d’entreprise pouvait être à l’origine d’inégalités salariales entre les entreprises, mais aussi au sein même de celles-ci.
Notes
- Avant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, en 2020. ⮭
- L’Italie est le seul grand pays européen absent de notre analyse. Nous l’avons exclu parce que toutes les entreprises italiennes déclarent ne relever que de négociations collectives nationales. L’absence des pays nordiques s’explique par une autre raison: le Danemark ne participe pas à l’ESS, la Finlande ne fournit pas les numéros d’identification (anonymes) des entreprises, si bien qu’il n’est pas possible de mesurer les indicateurs d’inégalités intraentreprise (voir plus bas); la Suède n’indique pas le type de négociation collective appliqué par les entreprises; pour ce qui est de la Norvège, aucune des entreprises de l’échantillon ne déclare négocier au niveau de l’entreprise. ⮭
- Ces sept types de conventions collectives salariales (A à F et N) sont ceux qui figurent dans les instructions d’Eurostat pour la mise en œuvre de l’ESS (document intitulé «Eurostat’s arrangements for implementing the Council Regulation 530/1999, the Commission Regulations 1916/2000 and 1738/2005»). Les instituts nationaux de la statistique ont toute latitude pour l’élaboration du questionnaire et la formulation des questions. ⮭
- La comparaison des entreprises qui négocient les salaires localement avec celles qui n’appliquent aucune forme de négociation collective est certainement une piste de recherche complémentaire intéressante pour de futurs travaux. Pour pouvoir l’effectuer, il faudrait disposer, pour chacun des pays, de données plus nombreuses et plus détaillées. Celles de l’ESS se prêtent particulièrement bien à une comparaison entre entreprises appliquant au moins une forme de négociation dans différents pays, étant donné qu’en Belgique, en Espagne et en France la quasi-totalité des salariés sont couverts par une forme quelconque de convention collective. ⮭
- Le tableau SB1 de l’annexe en ligne B (en anglais) présente les moyennes de Δw90/10 par pays, année et type de négociation (d’entreprise ou centralisée). ⮭
- Nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne. ⮭
- Nomenclature des unités territoriales. La NUTS divise chaque pays de l’UE en trois niveaux: NUTS 1 – grandes régions socio-économiques; NUTS 2 – régions de base (pour les politiques régionales); NUTS 3 – petites régions (pour des diagnostics particuliers). ⮭
- Les effets fixes secteur au niveau à un chiffre de la NACE revêtent la forme de 14 variables fictives sectorielles à estimer dans chaque pays. Le nombre de variables fictives régionales varie d’un pays à l’autre, en fonction du nombre de régions correspondant au niveau 1 de la NUTS, à savoir six pour l’Allemagne, trois pour la Belgique, sept pour l’Espagne, huit pour la France, douze pour le Royaume-Uni et une pour la Tchéquie. Dans le cas de la Tchéquie, nous n’avons pas pu introduire de variable fictive régionale dans les estimations. ⮭
- Il est particulièrement important d’inclure les effets fixes secteur pour tenir compte de la possibilité que les relations du travail s’expliquent principalement par des tendances sectorielles internationales, lesquelles joueraient un rôle plus important que les caractéristiques institutionnelles de chaque pays (cette thèse est avancée par Bechter, Brandl et Meardi (2012) et par Hassel (2014)). ⮭
- Les principales statistiques descriptives de nos variables de contrôle sont présentées dans les tableaux SB3, SB4 et SB5 de l’annexe en ligne (en anglais). ⮭
- Ici et dans la suite de cette partie, nous nous bornons à commenter les paramètres d’intérêt les plus importants afin de faire ressortir les principales conclusions qui se dégagent de notre analyse. Nous ne nous attardons donc pas sur les estimations des coefficients des variables de contrôle. À noter cependant que le coefficient du score de propension est souvent statistiquement significatif, ce qui confirme la nécessité de corriger le biais de sélection endogène du statut FLB dans la plupart des estimations. ⮭
Conflits d’intérêts
Les auteurs n’ont pas d’intérêts concurrents à déclarer.
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