Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs, de même que les désignations territoriales qui y sont utilisées, et leur publication ne signifie pas que l’OIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Titre original: «Do Workplace Unions and Collective Bargaining Matter for Labour Standards Compliance? The Role of Local Industrial Relations in Global Supply Chains» (International Labour Review, vol. 164 no 2). Traduit par Isabelle Croix. Également disponible en espagnol (Revista Internacional del Trabajo, vol. 144, no 2).
1. Introduction
La littérature classique sur les relations du travail porte sur la capacité d’institutions telles que les syndicats et la négociation collective à améliorer les conditions de travail (Freeman et Medoff, 1984; Reilly, Paci et Holl, 1995; Weil, 1991 et 1994; Aidt et Tzannatos, 2002; Bennett et Kaufman, 2007). Il en ressort qu’en participant à des négociations collectives et autres mécanismes d’expression dans l’entreprise, les syndicats parviennent bel et bien à obtenir des avancées pour le personnel. Plus récemment, s’appuyant sur ces travaux, des auteurs ont montré que l’action des syndicats peut induire un plus grand respect de la réglementation applicable (Morantz, 2017) et que la négociation collective d’entreprise va de pair avec de meilleures conditions de travail, y compris dans les entreprises dans lesquelles la nécessité de réduire les coûts est probablement une contrainte plus forte (Doellgast, Holtgrewe et Deery, 2009). La plupart de ces études plus récentes sont cependant consacrées aux pays occidentaux. Dans cet article, nous exploitons et enrichissons cette littérature en examinant le rôle des syndicats et de la négociation collective dans les pays non occidentaux, qui occupent une place capitale dans les chaînes d’approvisionnement mondiales de l’habillement.
Sous l’effet de la mondialisation néolibérale et de l’apparition de chaînes d’approvisionnement mondiales, la production s’est déplacée dans des régions du monde où elle est moins coûteuse et où la liberté syndicale est sensiblement restreinte. Dans ces chaînes, en particulier dans le secteur de l’habillement, les asymétries de pouvoir entre les entreprises acheteuses cheffes de file et les producteurs, l’externalisation et des pratiques d’achat irresponsables peuvent se traduire par des formes de travail inacceptables – travail forcé, faible rémunération, lieux de travail dangereux et durée de travail excessive – dans les entreprises situées du côté production de la chaîne (LeBaron, 2021; Taplin, 2014). Il est dès lors permis de se demander si les mécanismes locaux de relations du travail – institutions en place au niveau du lieu de travail – peuvent aussi être efficaces dans les contextes où ils sont affaiblis par l’État, les employeurs et les pressions internes aux chaînes d’approvisionnement.
Les travaux comparatifs mettent en lumière l’influence du contexte national, les interventions publiques passées comme présentes limitant ou renforçant la capacité de la main-d’œuvre à se syndiquer et à négocier collectivement (Caraway, Cook et Crowley, 2015; Anner, 2015). Alors que les systèmes de relations professionnelles varient sensiblement entre les différents pays producteurs de vêtements situés en Asie, Amérique latine et dans la région des États arabes, il existe peu d’études empiriques quantitatives sur l’influence de ces disparités sur les conditions de travail. Des travaux reposant sur des études de cas et des entretiens ont certes apporté un éclairage intéressant sur l’agentivité des travailleurs et la dynamique des entreprises (par exemple Riisgaard, 2009; Selwyn, 2012; Anner, 2015), mais des analyses quantitatives pourraient fournir des informations complémentaires intéressantes en ce qu’elles permettraient de comprendre certains schémas et de mettre en lumière des points communs et des différences au sein d’un vaste échantillon d’usines et de pays.
Certains auteurs estiment que, dans la majorité des pays non occidentaux, les entreprises se caractérisent par la «faiblesse» des syndicats et de la négociation collective, ce qui laisse penser que ces institutions ne peuvent guère contribuer à améliorer les conditions de travail (Freeman, 2010). Nous avançons cependant qu’elles peuvent avoir un rôle important, y compris dans les pays où les syndicats et leur pouvoir de négociation sont affaiblis de diverses manières. Notre contribution se veut à la fois méthodologique et empirique. Alors que les relations capital-travail ont été amplement étudiées dans les économies occidentales et qu’il existe une recherche abondante sur la main-d’œuvre des pays non occidentaux insérés dans les chaînes d’approvisionnement et réseaux de production mondiaux, les données quantitatives sur le lien entre systèmes locaux de relations professionnelles et conditions de travail dans ces pays restent rares. Dans cet article, nous tentons de combler cette lacune en faisant appel à des données sans équivalent, apportant un éclairage inédit sur l’impact des syndicats et des conventions collectives sur les conditions de travail. Nous contribuons ainsi à la description de ces effets dans des contextes où la liberté syndicale et le droit de négociation collective sont restreints de manière plus ou moins forte par l’État, les employeurs ou les pressions internes aux chaînes d’approvisionnement. Nous posons deux questions: dans quelle mesure les syndicats et la négociation collective d’entreprise influent-ils sur les conditions de travail dans les usines qui font partie de chaînes d’approvisionnement mondiales? Existe-t-il à cet égard des différences entre des pays qui n’imposent pas tous les mêmes restrictions à l’organisation collective des travailleurs? Il est en effet important de comprendre ces deux aspects pour mieux rendre compte des différences de politique syndicale et de restrictions de la liberté syndicale dans les sites de production et pour trouver des solutions de nature à améliorer la situation.
Les données que nous utilisons pour répondre à nos questions de recherche ont été recueillies dans le cadre du programme de l’OIT intitulé Better Work. Elles couvrent une dizaine d’années et se rapportent à des usines qui sont implantées au Bangladesh, au Cambodge, à Haïti, en Indonésie, en Jordanie, au Nicaragua et au Viet Nam et qui fabriquent des vêtements destinés à des marques et distributeurs multinationaux. Nous faisons appel, d’une part, à deux indicateurs permettant d’évaluer les institutions du travail en place au niveau des entreprises, à savoir la présence d’un syndicat et l’existence de conventions collectives et, d’autre part, à des mesures fiables des violations des règles relatives aux conditions de travail (variables de résultat).
Le reste de notre article est organisé de la manière suivante. Nous commençons par décrire notre cadre conceptuel en présentant, dans la deuxième partie, une revue de la littérature sur le lien entre systèmes locaux de relations du travail et conditions de travail, en particulier dans les chaînes d’approvisionnement mondiales de l’habillement, où travailleurs et employeurs sont vraisemblablement soumis à des pressions et contraintes commerciales spécifiques. La troisième partie est consacrée aux diverses formes de pouvoir qui s’exercent au sein de ces systèmes locaux et à l’influence du contexte national, compte tenu des disparités entre pays en matière de législation, de réglementation et de pratiques dans le domaine de la liberté syndicale et de la négociation collective. Nous présentons nos données et méthodes dans la quatrième partie et nos résultats dans la cinquième. Dans la sixième partie, nous abordons la contribution de nos résultats à la compréhension des effets des institutions locales sur le respect des normes du travail, exposons les limites de notre analyse et présentons des pistes de recherche. Dans les conclusions, nous livrons une réflexion sur les enseignements qui peuvent être tirés de notre étude pour l’élaboration de politiques visant à améliorer les conditions de travail dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.
2. Capacité des relations du travail dans l’entreprise à améliorer les conditions de travail
Différentes grilles de lecture ont été employées pour appréhender le syndicalisme et la négociation collective dans l’entreprise – marxienne, pluraliste et comportementale, entre autres (Fox, 1966 et 1973; Edwards, 2003; Kaufman, 2004; Bennett et Kaufman, 2007; Wilkinson et al., 2018; Kuruvilla et Li, 2021). Les travaux fondés sur une approche pluraliste montrent que les conflits sont mieux gérés lorsque les travailleurs ont voix au chapitre (Backes-Gellner, Frick et Sadowski, 1997; Kim, MacDuffie et Pil, 2010) et que ce droit d’expression est positif pour l’efficience et l’équité (Budd, 2018; Budd et Colvin, 2008). Des études sur le Canada et les États-Unis révèlent que la présence de syndicats dans l’entreprise va de pair avec de meilleures conditions de travail (Morantz, 2017; Pohler et Riddell, 2019; Weil, 1994).
Le dialogue entre les salariés et la direction est un levier d’amélioration essentiel. Grâce aux comités d’entreprise, les syndicats aident à repérer et enregistrer les violations et à y remédier (Reilly, Paci et Holl, 1995). Weil (1987 et 1994) observe que, dans les usines de relativement grande taille, les organisations syndicales apportent leur concours aux inspecteurs du travail, si bien que les manquements aux règles sont plus souvent détectés et redressés. De plus, elles aident les travailleurs à mieux connaître leurs droits, Gillen et ses coauteurs (2002), par exemple, constatant que les ouvriers employés dans une usine où existe un syndicat sont plus susceptibles que les autres d’être sensibilisés à la question des pratiques professionnelles dangereuses.
Lorsqu’ils sont convenablement protégés par la législation du travail, les syndicats s’appuient sur la négociation collective pour améliorer les performances économiques et les conditions de travail (Freeman et Medoff, 1984; Bennett et Kaufman, 2007). Ce constat provient cependant principalement d’études relatives aux pays occidentaux. Les travaux consacrés à l’Europe et à l’Amérique du Nord révèlent que les syndicats accroissent la qualité des emplois (Wicks-Lim, 2009; Doellgast, Holtgrewe et Deery, 2009). Muhl (2001) avance que, grâce à la négociation collective, ils œuvrent dans le sens d’une plus grande équité des conditions d’emploi, tandis qu’Emmenegger (2014) fait valoir que les conventions collectives vont de pair avec un moindre recours aux licenciements et aux contrats temporaires en période de ralentissement économique.
Des auteurs appartenant à divers courants de la recherche se sont penchés sur les forces et faiblesses de l’organisation collective dans le cadre des chaînes d’approvisionnement et réseaux de production mondiaux et sont parvenus à des conclusions différentes s’agissant de son impact sur les conditions de travail. Ce lien pourrait être différent dans ce contexte, pour deux raisons: d’une part parce que la production a lieu dans des pays où la liberté syndicale est limitée (Anner, 2015) et d’autre part parce que les forces du marché inhérentes à la structure de ces chaînes exercent des pressions qui réduisent la marge de manœuvre des travailleurs et des employeurs (Coe et Jordhus-Lier, 2011). Certaines études montrent que l’organisation collective à l’échelon de l’entreprise a parfois été à l’origine de concessions de la part des employeurs concernant par exemple les prestations de maternité (Selwyn, 2012) et l’adoption de codes de conduite privés (Riisgaard, 2009; Riisgaard et Hammer, 2011). Au Cambodge, elle a abouti à de meilleures conditions de travail et à une amélioration des infrastructures sociales mises à la disposition du personnel (Rossi et Robertson, 2011).
D’après Hayter (2011), dans certains pays non occidentaux, il est fréquent que les conventions collectives n’aillent pas plus loin que les règles contenues dans la législation du travail nationale, mais contribuent néanmoins à ce que ces règles soient respectées sur le terrain. Besamusca et Tijdens (2015) observent qu’en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud les conventions collectives se traduisent au fil du temps par une amélioration des conditions de travail, même si elles définissent rarement le montant des salaires. D’autres auteurs estiment cependant que la présence de syndicats et la négociation collective ont des effets contrastés sur les conditions de travail. Ainsi, Oka (2016) constate, dans le cas du Cambodge, que les syndicats tolèrent parfois des infractions aux règles sur la durée du travail en contrepartie du supplément de rémunération résultant du paiement des heures supplémentaires et peuvent s’allier à la direction pour éviter les licenciements. Il est donc possible que l’impact du syndicalisme et de la négociation collective varie dans le temps ou soit atténué par des arbitrages ou par les pressions à l’œuvre dans la chaîne d’approvisionnement, voire que ces deux phénomènes se conjuguent.
D’autres auteurs affirment que, dans certains pays, les syndicats et les conventions collectives ne jouent qu’un rôle symbolique, parce qu’ils ont peu d’adhérents et concernent peu de travailleurs et parce qu’ils peuvent être remis en cause en droit et en pratique. Dans certains contextes, les syndicats sont perçus comme illégitimes et corrompus (Anner, 2018; Ashraf et Prentice, 2019), si bien qu’ils exercent une influence négligeable voire négative sur les conditions de travail, soit parce qu’ils contrôlent moins ou moins bien le respect de la réglementation, soit parce qu’ils se refusent à prendre en compte les revendications des travailleurs et à défendre leurs intérêts.
En somme, alors que la recherche conclut à l’existence d’une incidence positive du syndicalisme et de la négociation collective sur les conditions de travail dans le monde occidental, les travaux consacrés aux pays non occidentaux impliqués dans les chaînes d’approvisionnement mondiales aboutissent à des conclusions contrastées, le plus souvent sur la base d’études de cas et d’entretiens. Certains présentent certes des exemples dans lesquels l’organisation collective dans l’entreprise a été concluante (Riisgaard, 2009; Selwyn, 2012), mais ils reposent sur une seule entreprise ou sur un échantillon de petite taille ou portent sur des pays ou régions spécifiques. Rares sont les études qui analysent le lien entre relations professionnelles et conditions de travail dans les entreprises situées du côté production des chaînes d’approvisionnement mondiales en prenant en compte un large éventail de contextes différents (voir cependant Teipen et al., 2022). C’est cette lacune que nous entendons combler ici, car il est primordial que ce lien fasse l’objet d’une exploration plus systématique donnant lieu à des résultats plus généralisables si l’on veut mieux comprendre comment améliorer le sort des travailleurs, compte tenu des entraves à la liberté syndicale imposées par l’État, les employeurs et les pressions internes aux chaînes d’approvisionnement.
3. Analyser les relations du travail locales
Dans notre article, nous partons du principe que le lien entre les systèmes de relations du travail – plus précisément les syndicats et conventions collectives existant au niveau de l’entreprise – et les conditions de travail dépend à la fois des pressions internes aux chaînes d’approvisionnement et du contexte national. Dans cette partie, nous nous appuyons sur des travaux comparant différentes formes de pouvoir rencontrées dans ces systèmes avant d’examiner l’impact des disparités entre pays sur le lien entre ces systèmes et les conditions de travail dans les sites de production insérés dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.
3.1. Pouvoir collectif et pouvoir structurel
Dans la lignée de la littérature classique, nous considérons les relations du travail dans l’entreprise comme une forme particulière de pouvoir collectif (associational power). Le «pouvoir» est défini comme la capacité à réaliser un intérêt de classe, et le «pouvoir collectif» recouvre les «diverses formes de pouvoir émanant de la création d’organisations collectives de travailleurs» (Wright, 2000, p. 962; voir également Silver, 2003). Bien que les partis politiques et autres types d’institutions représentant les travailleurs fassent partie de ces formes, nous nous concentrons ici sur les syndicats et les conventions collectives, qui constituent deux moyens importants utilisés par le passé et, dans une certaine mesure, aujourd’hui encore par les travailleurs pour exercer leur droit de s’associer avec d’autres et de se mobiliser autour de sujets d’intérêt commun. Les chercheurs ont retenu divers indicateurs pour mesurer ce pouvoir collectif, dont le taux de syndicalisation, la présence syndicale et la signature de conventions collectives (Kenworthy et Kittel, 2003).
On oppose souvent le pouvoir collectif au «pouvoir structurel», «résultant tout simplement de la position des travailleurs dans le système économique» (Wright, 2000, p. 962). Alors que le premier concerne l’organisation collective des travailleurs, le second est lié à la position stratégique qu’ils occupent sur les marchés du travail et, plus largement, au sein des économies nationales et de l’économie mondiale. Pouvoir collectif et pouvoir structurel sont liés par une relation étroite et dynamique. Cet aspect a été amplement étudié par la recherche sur les chaînes de marchandises et de valeur mondiales et sur les réseaux de production mondialisés (Selwyn, 2019; Bair et Werner, 2015; Brookes, 2013; Cumbers, Nativel et Routledge, 2008). Des études critiques, en particulier, s’appuient sur les analyses de Wright (2000) et Silver (2003) pour décrire plus précisément la manière dont le pouvoir collectif se manifeste au sein de ces chaînes.
Il ressort des travaux existants que dans les chaînes d’approvisionnement dominées par les producteurs, dans lesquelles les entreprises sont en position de force par rapport aux distributeurs, les travailleurs des sites de production sont en mesure d’exercer une certaine influence et d’améliorer leur sort (Riisgaard, 2009). Des données plus récentes relatives à des producteurs implantés au Royaume-Uni le confirment, laissant penser que l’organisation structurelle de ces chaînes peut offrir aux syndicats des possibilités de défendre avec succès la cause des travailleurs (Mendonça et Adăscăliței, 2020). Ce scénario est plus improbable dans les chaînes d’approvisionnement dominées par les acheteurs, typiques de secteurs comme celui de l’habillement, dans lesquelles les asymétries de pouvoir entre les multinationales donneuses d’ordres et leurs fournisseurs engendrent une intense concurrence par les prix, un raccourcissement des délais de production et une volatilité des commandes qui réduisent la marge de manœuvre des travailleurs et des employeurs. Les usines des fournisseurs, souvent situées dans des pays non occidentaux, qui approvisionnent les marques de vêtements multinationales constituent donc un terrain particulièrement intéressant pour étudier le rôle des relations du travail locales, puisqu’il y a tout lieu de penser que le pouvoir structurel des travailleurs y est limité. Qui plus est, comme ces marques et distributeurs tiennent à soigner leur réputation, leurs fournisseurs sont soumis à diverses formes de surveillance internationale – codes de conduite des acheteurs et processus d’évaluation prévu par le programme Better Work par exemple – qui peuvent aussi influer sur les relations du travail locales, même si l’analyse de leur impact n’entre pas dans le champ de notre étude. Enfin, malgré des points communs tenant à leur position dans la chaîne d’approvisionnement, ces usines diffèrent sensiblement les unes des autres s’agissant des freins à l’organisation collective imposés par le pays où elles sont situées. Nous considérons que ces restrictions, par exemple le fait d’imposer par la loi un syndicat unique ou d’entraver plus ou moins ouvertement la création de syndicats, leur capacité à s’autogérer et à prendre part à la négociation collective, ont d’importantes répercussions sur la situation régnant sur le lieu de travail.
3.2. Disparité des restrictions selon les pays
Les limites des systèmes locaux de relations du travail et les perspectives qu’ils offrent varient dans une large mesure en fonction du pays dans lequel les entreprises sont implantées, puisque c’est du contexte national que dépendent la législation, la réglementation et les pratiques, formelles et informelles, qui renforcent ou affaiblissent la capacité des syndicats à défendre les intérêts et le bien-être des travailleurs au niveau local, régional, national et international. Ce sont ces réglementations qui déterminent si et comment les salariés peuvent se syndiquer, protester, accéder à l’information, participer à des concertations et négocier collectivement avec leur employeur par l’intermédiaire de leurs représentants (Ibsen et Tapia, 2017). Elles sont donc le produit des luttes syndicales passées et présentes et reflètent aussi la manière dont les États arbitrent entre des tendances opposées de manière à dompter le mouvement syndical et à s’assurer de sa coopération (Collier et Collier, 1979).
Freeman (2010) affirme que les institutions du travail des pays non occidentaux sont «faibles», mais d’autres auteurs livrent une analyse plus nuancée. C’est notamment le cas de Caraway, Cook et Crowley (2015), qui examinent les institutions héritées de l’histoire dans divers pays d’Asie et d’Amérique latine afin d’évaluer si elles ont influé sur le pouvoir des syndicats après la démocratisation et la transformation néolibérale de ces pays. Ils constatent que, en particulier dans les pays où des syndicats adoubés par l’État jouissaient d’un monopole, les organisations de défense des travailleurs étaient peu habituées à mobiliser leurs membres et à participer à la négociation collective.
Bien que les données existantes ne fournissent qu’une mesure imparfaite de la liberté syndicale, nous présentons dans le tableau 1 des éléments sur le contexte dans lequel s’inscrivent les systèmes de relations du travail dans sept grand pays producteurs de prêt-à-porter répartis dans le monde entier. D’autres grands producteurs – comme la Chine –, qui ont été amplement étudiés par d’autres auteurs, ne figurent pas dans le tableau (Elfstrom et Kuruvilla, 2014; Liu, 2010; Lee, 2007). Les exemples présentés couvrent des territoires géographiques et des types de restrictions très divers et nous permettent de nous appuyer sur un vaste ensemble de données. Dans la suite de cette partie, nous décrivons plus avant ces disparités et apprécions leur influence sur les conditions de travail.
Liberté syndicale, syndicats et négociation collective, par pays
Bangladesh | Cambodge | Haïti | Indonésie | Jordanie | Nicaragua | Viet Nam | |
Au niveau du pays | |||||||
Taux de syndicalisation (%) (1) | 11,9 (2018) | 9,6 (2012) | 1,7 (2012) | 13 (2019) | – | 5,3 (2010) | 49,6 (2018) |
Couverture par la négociation collective (%) (1) | 1,6 (2020) | 1,3 (2020) | – | 10 (2008) | – | 6,7 (2020) | 24,5 (2018) |
OIT C087 (2) | Oui | Oui | Oui | Oui | Non | Oui | Non |
OIT C098 (2) | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui |
OIT C135 (2) | Non | Non | Non | Non | Oui | Oui | Non |
Restrictions visant la liberté syndicale | |||||||
Présence syndicale | Possibilité pour les autorités de refuser l’enregistrement; critères de représentativité trop exigeants; interdiction des syndicats dans les zones franches d’exportation (ZFE) | Critères de représentativité trop exigeants; restrictions au droit de créer des sections | Autorisation préalable obligatoire | Obligation d’adhérer à l’idéologie de l’État; restrictions au droit de créer des sections | Système du syndicat unique; autorisation préalable obligatoire; critères de représentativité trop exigeants | En pratique, possibilité pour les autorités de refuser l’enregistrement | Système du syndicat unique; présence syndicale théorique dans toutes les entreprises |
Administration du syndicat (3) | Restrictions au droit d’élire des représentants et de s’autogérer librement; dissolution par les autorités possible; ingérence extérieure possible | Restrictions au droit de s’autogérer librement; dissolution par les autorités possible pour des motifs larges | Restrictions au droit d’élire des représentants et de s’autogérer librement | Dissolution par les autorités possible pour des motifs précis | Restrictions au droit d’élire des représentants et de s’autogérer librement | Droit de s’autogérer incomplètement garanti dans la pratique | Restrictions au droit d’établir des statuts et des règles et de s’autogérer librement |
Négociation collective (3) | Obstacles à la reconnaissance des parties à la négociation collective; pouvoir d’intervention des autorités; limitation du champ d’application; limitations dans les ZFE | Obstacles à la reconnaissance des parties à la négociation collective; limitation du champ d’application; conditions de procédure déraisonnables | Conciliation obligatoire et arbitrage contraignant; pouvoir d’intervention des autorités | Restrictions visant la durée; conditions de procédure déraisonnables; limitation ou interdiction de la négociation collective | Limitation ou interdiction de la négociation collective dans certains secteurs, dont les zones industrielles qualifiées | Droit à la négociation collective incomplètement garanti dans la pratique | Limitations visant la durée et les modifications possibles; conditions de procédure déraisonnables |
Usines de confection exportatrices (4) | |||||||
Présence syndicale (%) | 7 | 72 | 43 | 58 | 63 | 76 | 99 |
Existence d’une convention collective (%) | 1 | 11 | 6 | 34 | 92 | 66 | 95 |
Nombre d’usines | 273 | 1 017 | 51 | 285 | 465 | 37 | 104 |
Période | 2015-2019 | 2005-2019 | 2010-2019 | 2009-2019 | 2011-2019 | 2011-2019 | 2009-2019 |
-
Notes: OIT C087 – convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; OIT C098 – convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949; OIT C135 – convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.
Sources: Réalisation des auteurs à partir de données d’ILOSTAT (1), de NORMLEX (2), de la CSI (3) et de Better Wprk (OIT) (4).
La Confédération syndicale internationale (CSI) classe le Bangladesh parmi les dix pays les pires pour les travailleurs, ceux-ci se heurtant à des lois restrictives, à des obstacles à la création de syndicats et à une violente répression des grèves (CSI, 2022). Outre cette répression brutale, dans les zones franches d’exportation, où sont installées la plupart des usines de confection du pays, la liberté syndicale et le droit de négociation collective ne sont reconnus ni en droit ni en pratique, si bien que les systèmes locaux de relations du travail ne sont probablement pas en mesure d’améliorer les conditions de travail. Nos données confirment que le secteur bangladais de l’habillement se caractérise par une faible présence syndicale et par la place limitée de la négociation collective.
En Jordanie et au Viet Nam, divers mécanismes légaux et extralégaux court-circuitent l’organisation collective indépendante des travailleurs. Le Viet Nam est un cas extrême, parce qu’il est dirigé par un régime autoritaire (Anner, 2015), et la Jordanie est une monarchie dans laquelle les libertés politiques et civiles sont fortement restreintes1. Dans les deux pays, le système qui a cours est celui du syndicat unique imposé par la loi. Il n’existe pas de données sur le taux de syndicalisation et la couverture de la négociation collective en Jordanie, tandis que le Viet Nam affiche des taux élevés comparativement à d’autres pays d’Asie – 50 pour cent pour le taux de syndicalisation et 25 pour cent pour la couverture. Il existe une section syndicale et des conventions collectives dans la grande majorité des usines de confection vietnamiennes, ce qui ne signifie pas pour autant que les syndicats soient en meilleure posture pour mobiliser les travailleurs et défendre leurs intérêts.
En réalité, dans ces deux pays, le contrôle exercé par l’État pèse vraisemblablement sur la capacité des institutions du travail locales à améliorer le sort de la main-d’œuvre. Au Viet Nam, il est avéré que certains mécanismes formels ne se sont pas révélés particulièrement efficaces sur ce plan (Cox, 2015; Yoon, 2009; Tran, 2011), tandis que d’autres formes d’organisation, par exemple des grèves sauvages, ont finalement été plus fructueuses (Anner et Liu, 2016). En Jordanie, la faible protection de la liberté syndicale dans les zones industrielles qualifiées, zones de libre-échange dans lesquelles se trouvent la plupart des usines exportatrices de prêt-à-porter, est aggravée par le fait que la main-d’œuvre est atomisée et majoritairement composée de réfugiés et de migrants originaires de divers pays, d’où la difficulté pour les syndicats de faire véritablement entendre une voix collective (Lacouture, 2022).
À Haïti et au Nicaragua, la répression de la liberté syndicale et du droit de négociation collective est la règle (Anner, 2015). À Haïti, en particulier, des syndicalistes ont déploré plusieurs cas de licenciement abusif, d’arrestation arbitraire et de menaces de mort (CSI, 2020). À la date à laquelle nous rédigeons cet article, ces faits sont devenus de plus en plus fréquents sur fond d’aggravation de la crise humanitaire. Ces deux pays ont néanmoins aussi été le théâtre de mouvements de mobilisation grâce auxquels les syndicats ont, toutes proportions gardées, acquis la possibilité d’agir de manière indépendante et de défendre les intérêts des travailleurs (Dufrier, 2017; Caraway, Cook et Crowley, 2015; Hector, 1998). Au Nicaragua par exemple, les usines de confection sont généralement dotées de syndicats (Bair et Gereffi, 2014) et des négociations ont lieu dans les entreprises (Mendez, 2005). Il est donc possible que les institutions du travail locales aient la capacité d’améliorer quelque peu les conditions de travail.
Au Cambodge et en Indonésie, le taux de syndicalisation et la couverture de la négociation collective sont faibles, ce qui est la résultante d’une histoire faite d’exclusion et de démobilisation (Caraway, Cook et Crowley, 2015). Néanmoins, au Cambodge, la syndicalisation est plus forte dans la confection que dans d’autres secteurs (Arnold, 2014) et les conditions de travail semblent s’améliorer un peu sur le terrain (Oka, 2016). En Indonésie, le paysage syndical est éclaté entre de multiples fédérations et des milliers de syndicats d’entreprise indépendants mais, apparemment, des objectifs collectifs ont été atteints au niveau régional et local (Amengual et Chirot, 2016; Caraway, 2015). Il n’est donc pas exclu que, malgré les restrictions, les systèmes locaux de relations du travail exercent une influence sur les conditions de travail dans les deux pays.
En résumé, nous avançons que, même dans les pays qui brident la liberté syndicale et le droit de négociation collective, les systèmes locaux de relations du travail jouent un rôle capital dans l’amélioration des conditions de travail dans certaines circonstances. Dans la lignée de la littérature sur les relations du travail et l’agentivité de la main-d’œuvre, nous postulons qu’il existe une relation positive entre la présence syndicale et l’existence de conventions collectives d’une part et le respect des règles relatives aux conditions de travail d’autre part. Nous nous attendons cependant à constater une hétérogénéité entre des pays qui n’imposent pas les mêmes types de restrictions. La revue de la littérature qui vient d’être présentée laisse penser que la relation étudiée est probablement mouvante, les syndicats et la négociation collective ayant a priori moins de chances d’être des vecteurs de progrès dans les pays où le système du syndicat unique est en vigueur et dans ceux caractérisés par une non-reconnaissance des droits et une répression brutale dans la loi comme en pratique.
4. Données et méthodes
Nous faisons appel à des données recueillies pour les besoins du programme Better Work, qui a pour but d’améliorer les conditions de travail, les droits des travailleurs et la compétitivité des entreprises dans les chaînes d’approvisionnement mondiales de l’habillement. Issu d’une collaboration entre l’OIT et la Société financière internationale (SFI), le programme met en œuvre des interventions dans les usines et au niveau national et international, réalisant par exemple des évaluations des lieux de travail et des visites visant à fournir des conseils ou une formation, et il recueille des données permettant d’éclairer l’action publique2. Après avoir démarré en 2001 au Cambodge, il est aujourd’hui mis en œuvre dans 13 pays. La participation au programme est légalement obligatoire au Cambodge, en Jordanie et à Haïti, tandis qu’elle est facultative (elle repose sur l’initiative des acheteurs) dans les autres pays (Rossi, 2015). Notre échantillon est donc composé d’entreprises exportatrices qui font l’objet d’évaluations et bénéficient d’actions de formation, et dont au moins une partie de l’activité consiste à approvisionner des marques et distributeurs soucieux de leur réputation (Columbia, H&M, Inditex, Muji et Patagonia, par exemple), d’où l’existence de caractéristiques communes aux différents contextes en ce qui concerne le pouvoir structurel des travailleurs.
Les usines qui participent au programme font l’objet d’une première évaluation inopinée, réalisée sur deux jours par des conseillers en entreprise recrutés par Better Work. L’objectif est de recueillir des informations sur les conditions de travail et de détecter des violations. Après ce premier bilan (cycle 1), l’entreprise reçoit un compte rendu, des conseils et une formation. Une deuxième évaluation a lieu douze à dix-huit mois plus tard. Ces cycles se répètent tant que l’entreprise continue de faire partie du programme. Il a ainsi été possible d’obtenir des données à partir de 9 331 évaluations portant sur 2 323 usines réparties dans les pays impliqués dans Better Work. Ces données ne portent que sur la période pendant laquelle une usine participe au programme mais, comme certains pays en font partie depuis longtemps (quatorze ans dans le cas du Cambodge, dix ans pour l’Indonésie et le Viet Nam), des analyses longitunales sont possibles. La méthode fondée sur une répétition des évaluations est adaptée à l’étude de phénomènes complexes comme le lien entre le respect des règles et les relations du travail, parce qu’elle permet de distinguer les évolutions dans le temps au sein d’une même unité (ici, une usine) des différences initiales entre les unités (Diggle et al., 2002).
Coordonné par une équipe technique mondiale dont les membres sont répartis entre Genève et Bangkok, le programme harmonise entre les pays les conseils, la méthode d’évaluation et les supports de formation. Il réserve une large place au dialogue social, ainsi qu’à la sensibilisation du personnel et des dirigeants d’entreprise aux droits des travailleurs. L’idée est d’agir en amont pour favoriser le respect des normes du travail, y compris dans des environnements défavorables, et de regrouper des données fiables sur différents pays à des fins d’analyse.
4.1. Mesures
Nous traitons la présence syndicale et l’existence de conventions collectives comme des indicateurs indirects du pouvoir collectif de la main-d’œuvre. La présence syndicale est un indicateur de l’expression collective, tandis que l’existence de conventions collectives permet d’apprécier la capacité des travailleurs à obtenir des avancées en négociant avec leur employeur. Ces deux indicateurs binaires ont certes l’inconvénient de ne pas rendre compte du taux de syndicalisation et du contenu des conventions collectives, mais ils présentent l’avantage d’être objectifs, faciles à mesurer et comparables entre pays, ce qui en fait des outils de mesure convenables pour notre analyse quantitative.
Pour mesurer les conditions de travail, nous faisons appel à une variable composite qui rend compte des violations des normes («variable de résultat») (Kuruvilla et al., 2020; Barrientos et Smith, 2007) relatives à la rémunération, aux contrats, aux congés, à la durée du travail et à la sécurité et à la santé au travail (voir l’outil d’évaluation de Better Work dans l’annexe en ligne, tableau SA1 [en anglais])3. Ces violations ont été évaluées au regard de la législation nationale et des normes fondamentales du travail de l’OIT (que les États Membres de l’OIT sont tenus de ratifier et d’intégrer dans leur législation interne). Les évaluations inopinées au moyen desquelles les conseillers recueillent les données comportent une inspection sur site, un examen sur pièces, des entretiens avec les dirigeants de l’entreprise et avec des travailleurs sélectionnés de façon aléatoire, et un recoupement de ces informations avec d’autres acteurs, par exemple des dirigeants syndicaux. Les conseillers, qui possèdent les diplômes universitaires et l’expérience professionnelle nécessaires, s’assurent de l’exactitude et de la fiabilité des informations sur le lieu de travail. En tant qu’employés du programme Better Work, ils doivent respecter des règles et des principes de bonne conduite exigeants, conformément aux dispositions prévues par l’OIT, et leur impartialité est garantie par le système d’évaluation, par exemple par une rotation entre les usines et régions d’un pays donné.
Les violations sont exprimées sous la forme d’un score moyen calculé à partir de toutes les questions posées dans chaque rubrique de l’évaluation, pondéré par le nombre de questions. En effet, alors que les rubriques sont les mêmes dans tous les pays, le nombre de questions contenues dans chaque rubrique peut varier en raison de différences législatives entre pays ou d’évolutions de la législation dans le temps. Pour obtenir l’indicateur composite des violations, nous calculons le score de non-conformité moyen toutes rubriques confondues. Plus le score moyen est élevé, plus les conditions de travail sont mauvaises.
4.2. Stratégie d’analyse
Pour tester nos hypothèses, nous procédons en deux temps. Dans une première étape, nous cherchons à savoir à quel point la présence de syndicats dans l’entreprise et la négociation collective influent sur les conditions de travail. Nous estimons à cette fin deux modèles de régression en utilisant l’ensemble de nos données groupées. Le premier modèle estime l’impact de la présence syndicale sur la violation des règles; et le second, l’impact de l’existence d’une convention collective dans le sous-échantillon composé des usines dans lesquelles un syndicat est présent (autrement dit, la variable «convention collective» est conditionnée à la présence d’un syndicat). Comme la présence d’un syndicat peut ouvrir la porte à l’adoption d’une convention collective, considérer celle-ci comme une variable indépendante dans le même modèle entraînerait un problème de «mauvais contrôle» (bad control) (Angrist et Pichke, 2009).
Exploitant les caractéristiques longitudinales de notre jeu de données, nous utilisons un estimateur intragroupe sur données de panel (effets fixes usine, année et cycle de Better Work) et pondérons nos observations par la taille de l’usine, étant donné qu’il est plus facile aux grandes entreprises qu’aux petites de se conformer aux normes relatives aux conditions de travail (tableau 3). Nous incluons également des variables contemporaines et retardées (t – 1) pour la présence syndicale (l’existence d’une convention collective), l’une et l’autre pouvant contribuer à expliquer les conditions de travail. Comme il existe une corrélation entre la présence d’un syndicat (l’existence d’une convention collective) à la date de l’étude et sa présence au cours de la période antérieure, ne pas inclure ces deux variables de contrôle conduirait à omettre soit des effets contemporains, soit des effets passés qui se retrouveraient dans les termes d’erreur, ce qui entraînerait un biais de variable omise. Pour exclure tout problème de multicolinéarité, nous recherchons les corrélations par paire. Le modèle à effets fixes est particulièrement adapté à l’objectif que nous poursuivons: comme un tiers environ des usines de l’échantillon a changé de situation concernant la présence d’un syndicat et/ou l’existence d’une convention collective au cours de la période couverte par nos données, il nous permet d’apprécier comment évolue la violation des normes lorsqu’un syndicat est créé ou une convention collective signée au sein d’une entreprise donnée.
Dans la deuxième étape, nous examinons la variation du lien qui nous intéresse entre des pays qui n’imposent pas les mêmes restrictions à l’organisation collective des travailleurs. Nous cherchons à déterminer, pour chaque pays, si les violations varient (test t) selon que l’usine est dotée ou non d’un syndicat (a adopté ou non une convention collective) (tableau 4). Nous régressons ensuite les violations sur les termes d’interaction entre la présence syndicale (l’existence d’une convention collective) et des variables fictives représentant les pays (tableau 5) afin d’appréhender les écarts entre pays. Enfin, nous procédons de nouveau aux estimations à effets fixes sur données groupées en faisant appel aux mêmes modèles que dans la première étape, désagrégés par pays (tableau 6).
Précisons que nous n’avons pas pour objectif d’évaluer l’efficacité de Better Work. Si tel était le cas, il faudrait comparer les résultats entre les usines qui participent au programme et les autres. Nous nous intéressons aux systèmes locaux de relations du travail, c’est-à-dire que nous cherchons à savoir si la présence de syndicats ou l’existence d’une convention collective dans l’entreprise sont de nature à expliquer les différences de conditions de travail entre des usines qui font partie d’un même segment au sein de chaînes d’approvisionnement de l’habillement soumises à une vigilance internationale et approvisionnant directement des acheteurs internationaux.
5. Résultats
Le tableau 2 présente les moyennes, écarts types et corrélations par paire calculés pour l’échantillon.
Moyenne, écart type et corrélation par paire
Variables | Moyenne | Écart type | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | |
1 | Violations des normes relatives aux conditions de travail | 0,39 | 0,34 | 1 | ||||||||||||||
2 | Présence syndicale (t) | 0,79 | 0,41 | 0,02* | 1 | |||||||||||||
3 | Présence syndicale (t – 1) | 0,73 | 0,44 | 0,03* | 0,62* | 1 | ||||||||||||
4 | Existence d’une convention collective (t) | 0,36 | 0,48 | –0,42* | 0,36* | 0,26* | 1 | |||||||||||
5 | Existence d’une convention collective (t – 1) | 0,37 | 0,48 | –0,24* | 0,28* | 0,33* | 0,59* | 1 | ||||||||||
6 | Taille (nombre d’employés) | 1 357,98 | 1 371,37 | –0,09* | 0,09* | 0,06* | 0,10* | 0,06* | 1 | |||||||||
7 | Année | 2014 | 3,92 | –0,75* | –0,08* | –0,10* | 0,24* | 0,12* | 0,09* | 1 | ||||||||
8 | Cycle de Better Work | 5,60 | 5,24 | 0,73* | 0,15* | 0,09* | –0,21* | –0,11* | 0,01 | –0,59* | 1 | |||||||
9 | Bangladesh | 0,06 | 0,23 | –0,08* | –0,35* | –0,30* | –0,18* | –0,15* | 0,21* | 0,21* | –0,18* | 1 | ||||||
10 | Cambodge | 0,50 | 0,50 | 0,66* | 0,02* | 0,01 | –0,53* | –0,37* | –0,16* | –0,42* | 0,45* | –0,25* | 1 | |||||
11 | Haïti | 0,04 | 0,19 | –0,14* | –0,12* | –0,09* | –0,13* | –0,11* | –0,01 | –0,02 | 0,00 | –0,05* | –0,20* | 1 | ||||
12 | Indonésie | 0,11 | 0,31 | –0,19* | –0,10* | –0,09* | –0,02 | –0,04* | 0,11* | 0,20* | –0,19* | –0,09* | –0,35* | –0,07* | 1 | |||
13 | Jordanie | 0,06 | 0,24 | –0,23* | –0,04* | –0,03* | 0,30* | 0,24* | –0,10* | 0,06* | –0,07* | –0,06* | –0,26* | –0,05* | –0,09* | 1 | ||
14 | Nicaragua | 0,02 | 0,13 | –0,12* | 0,02 | 0,01 | 0,09* | 0,07* | 0,01 | 0,06* | –0,06* | –0,03* | –0,14* | –0,03* | –0,05* | –0,04* | 1 | |
15 | Viet Nam | 0,21 | 0,41 | –0,37* | 0,32* | 0,26* | 0,62* | 0,44* | 0,05* | 0,19* | –0,24* | –0,13* | –0,52* | –0,10* | –0,18* | –0,14* | –0,07* | 1 |
Observations | 9 331 |
-
* Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de Better Work.
Le tableau 3 contient les résultats obtenus en régressant par les moindres carrés ordinaires (MCO) les violations des normes sur la présence syndicale et l’existence d’une convention collective. La colonne (1) présente ces résultats pour l’ensemble des entreprises et des pays au fil du temps, tandis que dans la colonne (2) seules les entreprises où existe un syndicat ont été retenues. Nous tenons compte des facteurs invariants dans le temps en incluant des effets fixes au niveau de l’usine. Dans l’ensemble des régressions, nous introduisons également les variables de contrôle suivantes: année de l’évaluation, durée de la participation au programme Better Work (mesurée par le nombre de cycles) et taille de l’entreprise (mesurée par le nombre d’employés) à la date de l’évaluation.
Violations des normes relatives aux conditions de travail
(1) Ensemble des usines |
(2) Présence syndicale |
|
Présence syndicale | –0,020* (0,011) |
|
Présence syndicale (t – 1) | –0,003 (0,007) |
|
Existence d’une convention collective | –0,062*** (0,020) |
|
Existence d’une convention collective (t – 1) | 0,002 (0,005) |
|
Constante | 0,400*** (0,010) |
0,427*** (0,005) |
Effets fixes année | Oui | Oui |
Effets fixes cycle de Better Work | Oui | Oui |
Effets fixes usine | Oui | Oui |
Observations | 6 670 | 4 849 |
R2 | 0,947 | 0,958 |
-
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Notes: Les erreurs types groupées au niveau de l’usine figurent entre parenthèses. Les violations des normes relatives aux conditions de travail correspondent au nombre moyen de violations des règles relatives à la rémunération, aux contrats, à la sécurité et à la santé au travail, à la durée de travail et aux congés (voir le tableau SA1. de l’annexe en ligne (en anglais)).
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de Better Work.
Il en ressort que, lorsque l’échantillon inclut toutes les usines, il existe généralement une corrélation négative entre la présence syndicale et la violation des normes relatives aux conditions de travail. Autrement dit, lorsque tous les autres facteurs sont pris en compte, les usines où un syndicat est en place respectent plus les normes que les autres, ce qui confirme notre hypothèse initiale. Dans ces usines, les violations moyennes diminuent de 2 points de pourcentage par rapport au niveau de référence (40 pour cent) comparativement à ce qui est observé dans des entreprises identiques mais dépourvues de syndicat (résultat significatif au seuil de 10 pour cent). Lorsque seules les usines dotées d’un syndicat sont incluses dans l’échantillon, l’existence d’une convention collective réduit le score de violation de 6 points de pourcentage (résultat significatif au seuil de 1 pour cent). Ces résultats corroborent l’idée que, dans certaines conditions, les syndicats et la négociation collective favorisent le respect des normes du travail.
S’agissant des variations au niveau des pays, les résultats dessinent un schéma plus clair. Le tableau 4 présente les résultats des tests de significativité (test t) concernant le lien entre le score moyen de violation et la présence d’un syndicat et l’existence d’une convention collective dans chaque pays. Un coefficient positif signifie que les usines où un syndicat (une convention collective) existe respectent mieux les normes que les autres. Nous constatons que les différences observées entre ces deux catégories d’entreprises sont statistiquement significatives et vont le plus souvent dans le sens prédit. Ainsi, au Nicaragua, le score de violation est supérieur de 6 points dans les entreprises sans syndicat et de 5 points en l’absence de convention collective. De même, en Indonésie, ces écarts s’établissent à environ 4 et 5 points respectivement. En revanche, aucun effet homogène n’est observé dans le cas du Bangladesh et d’Haïti, ce qui pourrait s’expliquer par le pourcentage particulièrement faible d’usines dotées d’un syndicat ou couvertes par une convention collective et par la plus petite taille de l’échantillon. Au Cambodge, le coefficient relatif à l’existence d’une convention collective va dans la direction pronostiquée, mais celui obtenu pour la présence syndicale indique une corrélation négative avec la violation des normes, peut-être en raison de l’existence de différences invariantes dans le temps non observables entre usines dotées d’un syndicat et usines sans syndicat prises en compte dans le modèle à effets fixes.
Test de significativité des violations des règles relatives aux conditions de travail au sein des pays en fonction de la présence syndicale et de l’existence d’une convention collective
Pays | (1) Non-respect des règles en fonction de la présence syndicale (ensemble des usines) |
(2) Non-respect des règles en fonction de l’existence d’une convention collective (usines dotées d’un syndicat) |
Bangladesh | –0,007 | –0,001 |
Cambodge | –0,08*** | 0,056*** |
Haïti | 0,022*** | –0,019 |
Indonésie | 0,036*** | 0,049*** |
Jordanie | 0,027*** | 0,007 |
Nicaragua | 0,063*** | 0,054*** |
Viet Nam | 0,048*** | 0,037*** |
-
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Note: Les erreurs types groupées au niveau de l’usine figurent entre parenthèses.
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de Better Work.
Dans le tableau 5, nous estimons, au niveau des pays, les différences en matière de violation des normes en ajoutant des variables fictives pour chaque pays ainsi qu’un terme d’interaction avec nos principales variables explicatives (présence syndicale, existence d’une convention collective). Dans le modèle 1 (modèle 2), nous faisons appel à des termes d’interaction pour la présence syndicale (l’existence d’une convention collective) en retenant comme catégorie de référence le Cambodge et l’absence de syndicat (de convention collective dans les usines dotées d’un syndicat). Dans les deux modèles, nous pondérons les coefficients par la taille de l’usine et incluons des variables de contrôle de l’année et de la durée de la participation au programme Better Work. Le tableau qui se dégage de ces résultats par pays est légèrement plus complexe. Le lien entre systèmes locaux de relations du travail et respect des règles est plus faible. Au Cambodge (catégorie de référence), la présence d’un syndicat n’a pas d’incidence tangible sur les violations des normes après prise en compte de l’année et du cycle du programme, mais le coefficient concernant l’existence d’une convention collective est négatif, ce qui signifie que les violations sont en moyenne moins nombreuses dans les usines dotées d’un syndicat et couvertes par une convention collective que dans celles qui ont un syndicat mais n’ont pas signé de convention collective. Dans le cas de l’Indonésie, le terme d’interaction pour la présence d’un syndicat est négatif et significatif, le score de violation étant inférieur de 4 points en présence d’un syndicat, tandis que le coefficient du terme d’interaction concernant l’existence d’une convention collective n’est pas significativement différent de zéro, ce qui est le signe d’une absence de différence tangible avec la catégorie de référence. Les tendances sont similaires au Nicaragua: après prise en compte des autres facteurs, le terme d’interaction est négatif concernant la présence syndicale, tandis qu’aucune différence sensible n’est observée s’agissant de l’existence d’une convention collective. À l’inverse, dans le cas du Bangladesh, le terme d’interaction est positif pour la présence syndicale, ce qui confirme que, dans les contextes où la liberté syndicale est fortement restreinte en droit comme en pratique, la présence d’un syndicat a un effet nul et peut même être contreproductive. De même, dans les pays où le système du syndicat unique est en vigueur (Jordanie et Viet Nam), les coefficients sont positifs pour l’existence d’une convention collective.
Régression des violations des normes relatives aux conditions de travail sur les termes d’interaction relatifs aux pays
(1) Interactions avec la présence syndicale (ensemble des usines) |
(2) Interactions avec l’existence d’une convention collective (usines dotées d’un syndicat) |
|
Présence syndicale (réf.: Cambodge) | –0,011 (0,012) |
|
Existence d’une convention collective (réf.: Cambodge) | –0,026* | |
Interactions | (0,013) | |
Bangladesh | 0,019 (0,014) |
0,068*** (0,026) |
Bangladesh × présence syndicale ou existence d’une convention collective | 0,041** (0,020) |
0,007 (0,031) |
Haïti | –0,386*** (0,029) |
–0,390*** (0,024) |
Haïti × présence syndicale ou existence d’une convention collective | 0,024 (0,033) |
0,091** (0,037) |
Indonésie | –0,102*** (0,015) |
–-0,109*** (0,017) |
Indonésie × présence syndicale ou existence d’une convention collective | –0,042** (0,020) |
–0,033 (0,014) |
Jordanie | –0,372*** (0,020) |
–0,494*** (0,014) |
Jordanie × présence syndicale ou existence d’une convention collective | 0,036 (0,027) |
0,194*** (0,024) |
Nicaragua | –0,199*** (0,029) |
–0,271*** (0,034) |
Nicaragua × présence syndicale ou existence d’une convention collective | –0,096*** (0,030) |
–0,000 (0,038) |
Viet Nam | –0,220*** (0,054) |
–0,289*** (0,023) |
Viet Nam × présence syndicale ou existence d’une convention collective | –0,008 (0,055) |
0,088*** (0,026) |
Constante (réf.: Cambodge) | 0,617*** (0,023) |
0,605*** (0,020) |
Effets fixes année | Oui | Oui |
Effets fixes cycle de Better Work | Oui | Oui |
Observations | 9 264 | 6 520 |
R2 | 0,854 | 0,870 |
-
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Note: Les erreurs types groupées au niveau de l’usine figurent entre parenthèses.
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de Better Work.
Les résultats figurant dans le tableau 6 sont ceux de l’estimateur intragroupe sur données de panel (tableau 3), décomposés par pays. En toute logique, les coefficients obtenus pour la présence syndicale et l’existence d’une convention collective ne sont pas statistiquement significatifs dans les pays où la liberté syndicale est fortement entravée (Bangladesh) ou qui imposent par la loi un syndicat unique (Jordanie et Viet Nam). Ailleurs, les résultats confortent en partie l’hypothèse selon laquelle les institutions du travail locales joueraient un rôle positif. En particulier, la présence d’un syndicat va de pair avec une diminution des violations égale à 5 points de pourcentage au Cambodge et à 3 points de pourcentage en Indonésie (même si, dans le cas de l’Indonésie, l’effet est atténué lorsque l’on utilise la variable retardée). Un impact est aussi observé dans le cas d’Haïti. Le coefficient de l’existence d’une convention collective est statistiquement significatif et il est du signe prédit dans le cas du Nicaragua, mais il est dénué de significativité statistique dans les autres pays, laissant penser que l’existence d’une convention collective exerce peu d’influence.
Violations des normes relatives aux conditions de travail, par pays
Bangladesh | Cambodge | Haïti | Indonésie | Jordanie | Nicaragua | Viet Nam | |||||||
(1) Ensemble des usines |
(1) Ensemble des usines |
(2) Présence syndicale |
(1) | (2) | (1) | (2) | (1) | (2) | (1) | (2) | (1) | (2) | |
Présence syndicale | –0,055 (0,036) |
–0,045* (0,026) |
0,001 (0,005) |
–0,028** (0,011) |
–0,018 (0,012) |
–0,001 (0,021) |
0,009 (0,021) |
||||||
Présence syndicale (t – 1) | –0,033 (0,030) |
0,000 (0,013) |
–0,008* (0,004) |
0,022* (0,013) |
0,001 (0,007) |
0,002 (0,011) |
–0,009 (0,009) |
||||||
Existence d’une convention collective | –0,011 (0,017) |
0,001 (0,007) |
–0,036 (0,021) |
0,029 (0,018) |
–0,091*** (0,016) |
–0,006 (0,009) |
|||||||
Existence d’une convention collective (t – 1) | 0,013 (0,016) |
0,004 (0,003) |
0,009 (0,008) |
–0,011 (0,010) |
–0,011 (0,012) |
0,000 (0,005) |
|||||||
Constante | 0,271*** (0,001) |
0,185*** (0,021) |
0,155*** (0,012) |
0,669*** (0,006) |
0,684*** (0,002) |
0,068*** (0,013) |
0,083*** (0,022) |
0,096*** (0,011) |
0,057*** (0,019) |
0,180*** (0,013) |
0,234*** (0,013) |
0,119*** (0,024) |
0,124*** (0,010) |
Effets fixes année | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui |
Effets fixes cycle de Better Work | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui |
Effets fixes usine | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui |
Observations | 193 | 299 | 138 | 3 503 | 2 503 | 118 | 104 | 479 | 300 | 657 | 390 | 1 360 | 1 352 |
R2 | 0,476 | 0,637 | 0,741 | 0,989 | 0,990 | 0,820 | 0,835 | 0,548 | 0,626 | 0,699 | 0,682 | 0,698 | 0,695 |
-
* Statistiquement significatif au seuil de 10 pour cent. ** Statistiquement significatif au seuil de 5 pour cent. *** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent.
Note: Les erreurs types groupées au niveau de l’usine figurent entre parenthèses. Pour le Bangladesh, le second modèle n’a pas pu être estimé en raison de l’insuffisance des données pour le sous-ensemble d’usines syndiquées.
Source: Calculs réalisés par les auteurs à partir de données de Better Work.
6. Discussion
Globalement, nos constatations valident en partie nos hypothèses sur l’existence d’une corrélation négative entre présence syndicale et couverture par une convention collective et violation des normes relatives aux conditions de travail. Cette influence est particulièrement évidente dans nos estimations regroupant l’ensemble des pays. Nos constatations corroborent donc les conclusions d’études quantitatives récentes sur la capacité des syndicats à inciter les fournisseurs à mieux respecter les codes de conduite de marques et distributeurs multinationaux (Bird, Short et Toffel, 2019). Elles vont également dans le même sens que les conclusions de travaux consacrés au Cambodge, qui mettent en lumière l’effet positif des syndicats sur le respect du droit du travail national (Oka, 2016). Nous enrichissons de deux manières l’analyse d’Oka (2016) sur les exportateurs cambodgiens de prêt-à-porter. Premièrement, nous nous appuyons sur un échantillon plus large, couvrant plusieurs pays et une période plus longue, puisqu’elle va jusqu’en 2019. Deuxièmement, nous ne nous bornons pas à étudier l’impact de la présence syndicale, mais examinons également l’incidence de la négociation collective, nourrissant ainsi les débats plus larges relatifs aux mécanismes de relations du travail dans l’entreprise.
Les résultats par pays brossent un tableau plus complexe de l’interaction entre institutions du travail locales et respect des normes. Au Bangladesh, où une législation restrictive et une violente répression font sérieusement obstacle à la création de syndicats et à la négociation collective (CSI, 2022), les syndicats n’exercent qu’une influence négligeable sur les conditions de travail sur le terrain. De même, en Jordanie et au Viet Nam, où le système du syndicat unique est en vigueur, l’existence formelle d’un syndicat et d’une convention collective a peu de chances de faire évoluer le respect des normes.
À l’inverse, au Nicaragua et en Indonésie, les institutions du travail locales jouent un rôle positif: au Nicaragua, où la présence syndicale est forte dans les usines de confection, les violations sont moins nombreuses, ce qui laisse penser que les syndicats locaux ont la capacité de faire progresser les conditions de travail. En Indonésie, malgré un paysage syndical fragmenté, les syndicats ont remporté quelques victoires à l’échelle régionale et locale (Caraway, Cook et Crowley, 2015). Nos résultats le confirment, puisque nous constatons que la présence d’un syndicat est associée à des violations moins nombreuses. Au Cambodge, l’impact des syndicats est moins clair, mais l’existence d’une convention collective dans les usines où ils sont présents va de pair avec un plus grand respect des normes. Il semble donc que dans certaines circonstances la négociation collective ait une incidence positive sur les conditions de travail. Ces exemples nationaux témoignent du caractère nuancé de l’influence des syndicats et conventions collectives et révèlent ainsi à quel point les différences de restriction de la liberté syndicale et du droit de négociation collective se répercutent sur les conditions de travail.
Notre étude comporte plusieurs limites, que des travaux ultérieurs pourraient tenter de surmonter. Premièrement, nous mesurons la présence ou l’absence de syndicats et de conventions collectives, mais n’avons pas de données sur l’indépendance syndicale, sur le taux de syndicalisation, sur le contenu des conventions collectives et leur efficacité. Nous avons également conscience qu’il peut exister des différences non observables entre les usines dotées d’un syndicat et les autres ainsi qu’entre celles qui ont adopté une convention collective et celles qui ne l’ont pas fait. Il est par exemple possible que l’existence d’un syndicat ou d’une convention collective n’ait pas d’effet sur le respect des normes, mais que nous soyons parvenus à la conclusion inverse, parce les usines dont les dirigeants sont plus enclins à obéir aux règles sur les conditions de travail ont aussi une plus forte probabilité de respecter la liberté syndicale. Qui plus est, les propriétaires ou dirigeants d’usines plus soucieux d’instaurer de bonnes conditions de travail peuvent avoir fait le choix d’approvisionner des marques multinationales, parce qu’ils sont convaincus que le respect de normes minimales dans divers domaines sera positif pour leur carnet de commandes. Nous n’avons cependant pas la possibilité d’apprécier cet aspect.
Autre limite: nous ne nous intéressons qu’à un échantillon bien particulier d’entreprises, composé de fournisseurs directs de marques et de distributeurs multinationaux attachés à leur réputation. Ces entreprises ont une probabilité plus forte de faire l’objet d’une surveillance et d’obéir aux normes sur les conditions de travail. Les ateliers informels et travailleurs à domicile ne sont pas soumis à ce contrôle et ne sont pas concernés par l’organisation collective formelle. Nous nous penchons ici sur les conditions de travail mesurées à l’aune de la législation nationale, mais il serait tout aussi important de réformer et de renforcer cette législation en améliorant le niveau minimal de la protection sociale et des salaires, ainsi qu’en régulant les asymétries de pouvoir entre producteurs et acheteurs chefs de file.
La question de l’endogénéité de la variable relative à la présence syndicale est une préoccupation récurrente dans les études sur l’impact du syndicalisme (Morantz, 2009). Pour certains chercheurs, il n’est pas pertinent de la traiter comme une variable endogène sauf s’il existe une raison théorique et, dans notre cas, historique de penser que le respect par l’entreprise des normes du travail est antérieur à la création d’un syndicat (Kochan et Helfman, 1981). À titre d’illustration, les syndicats peuvent effectivement prévenir les risques professionnels (ou la violation des règles), mais il est aussi possible que l’existence de ces risques soit précisément ce qui a motivé les travailleurs à créer un syndicat. En pareil cas, la présence syndicale pourrait être endogène dans nos régressions. Il est aussi plausible que les travailleurs des usines dotées d’un syndicat (d’une convention collective) soient naturellement plus militants et que cette caractéristique soit la principale explication de la plus grande efficacité des institutions du travail locales et du meilleur respect des règles. Si la mobilisation des travailleurs a amélioré la conformité aux règles avant même la création d’un syndicat ou la signature d’une convention collective, nos résultats pourraient en être biaisés. Nous avons cependant tenté de limiter le plus possible le biais de variable omise en faisant appel à des spécifications diverses, incluant des effets fixes temps, année et usine, et en veillant à interpréter nos résultats en considérant qu’ils indiquaient l’existence d’une relation sans pour autant démontrer une causalité. Freeman et Medoff (1981) nous fournissent un argument empirique justifiant de traiter la présence syndicale comme une variable exogène. Dans leur revue d’études économétriques portant sur les salaires et la présence syndicale, ils constatent que les résultats obtenus dans un système d’équation (dans lequel les salaires comme la présence syndicale sont déterminés de manière simultanée) sont instables, les estimations du lien entre syndicalisme et salaire étant tantôt inférieures et tantôt supérieures aux estimations par les MCO. Ils recommandent donc de traiter la présence syndicale comme une variable exogène.
7. Conclusions
Dans cet article, nous avons examiné la relation entre systèmes locaux de relations du travail et respect des normes du travail dans les usines de confection du Bangladesh, du Cambodge, d’Haïti, de l’Indonésie, de la Jordanie, du Nicaragua et du Viet Nam qui approvisionnent les marques et distributeurs multinationaux. Nous avons traité la présence syndicale et l’existence d’une convention collective comme des indicateurs indirects du pouvoir collectif de la main-d’œuvre employée dans ces usines, situées dans des pays non occidentaux et insérées dans des chaînes d’approvisionnement mondiales, sujet sur lequel les études quantitatives sont rares.
Nos conclusions valident en partie l’argument selon lequel les systèmes locaux de relations du travail contribuent à améliorer le respect des normes, y compris dans les pays où la liberté d’expression et le droit de négociation collective sont entravés. Cette thèse est clairement confirmée par les résultats obtenus pour l’ensemble de nos données groupées et, dans une moindre mesure, par les résultats par pays relatifs au Cambodge, à Haïti, à l’Indonésie et au Nicaragua. En revanche, nous ne constatons pas d’impact dans le cas de la Jordanie et du Viet Nam, où le système du syndicat unique est en vigueur, ni dans celui du Bangladesh, où la liberté syndicale est fortement restreinte, en droit comme en pratique. Pour modestes que ces résultats puissent paraître, ils peuvent éclairer les politiques publiques et la pratique et servir de base à la réalisation d’autres recherches dans ce domaine fondamental. Compte tenu du manque de données quantitatives sur l’impact des institutions du travail locales dans le monde non occidental, même des constatations modestes peuvent apporter la preuve de l’existence d’effets quantifiables. Notre article confirme donc qu’il est possible et souhaitable de consacrer des travaux quantitatifs à cette question sans se cantonner aux pays occidentaux.
Nous affirmons surtout qu’explorer le lien entre institutions du travail locales et conditions de travail revêt une importance d’autant plus grande que les chaînes d’approvisionnement et les contextes institutionnels dont font partie les usines des fournisseurs placent les travailleurs en position défavorable. Tout en concédant que divers facteurs limitent l’influence des syndicats et de la négociation collective, nous offrons ici un tableau plus nuancé du rôle qu’ils jouent en pratique et remettons en cause les généralisations à propos d’une prétendue «faiblesse» des institutions.
Nos conclusions accréditent la thèse selon laquelle les institutions et acteurs locaux que sont la négociation collective et les syndicats peuvent, dans certains cas, changer la donne, même en présence de restrictions imposées par l’État, les employeurs ou les pressions internes aux chaînes d’approvisionnement. D’importants enseignements doivent en être tirés pour la formulation de politiques publiques visant à réguler les entreprises insérées dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. L’analyse de l’efficacité des projets déployés à l’échelle internationale ne faisait pas partie de nos objectifs, mais notre étude laisse penser que l’implication des marques et distributeurs multinationaux – en tant qu’acheteurs – et d’organisation internationales telles que l’OIT et la SFI ne suffit sans doute pas à améliorer les normes du travail sur le terrain. Parallèlement, nous montrons que, lorsque la liberté d’association et le droit de négociation collective sont fortement restreints au niveau national, il peut être difficile d’améliorer les conditions de travail dans les usines. Notons également que les mécanismes locaux ne sont pas parfaits malgré les efforts déployés depuis et vers le terrain, et que garantir la liberté syndicale dans les entreprises situées du côté production des chaînes d’approvisionnement mondiales demeure une tâche compliquée.
Matériel supplémentaire
Le fichier supplémentaire contenant le tableau d’annexe supplémentaire en ligne SA1 est disponible en ligne à l’adresse https://doi.org/10.16995/ilr.18841.s1.
Notes
- Voir Freedom House, profil de la Jordanie, https://freedomhouse.org/country/jordan. Consulté en novembre 2023. ⮭
- Pour de plus amples informations sur le programme, voir https://betterwork.org/fr/. ⮭
- Les questions sont organisées selon la même structure pour tous les pays, mais les normes retenues pour exploiter les réponses sont issues de la législation nationale. Lorsque la législation comporte une lacune ou un manque de clarté, le programme établit une référence d’après les normes et bonnes pratiques internationales. ⮭
Remerciements
Nous tenons à remercier Arianna Rossi, Matthew Amengual, Gregory Distelhorst, Iacopo Monterosa, Jeff Eisenbraun, Anne Ziebarth et Dan Cork pour leurs précieux commentaires et observations sur de précédentes versions de cet article. Nous exprimons aussi toute notre reconnaissance aux évaluateurs anonymes et aux éditeurs pour leurs propositions constructives, ainsi qu’au programme Better Work, qui a mis les données à notre disposition. Les erreurs éventuelles sont uniquement de notre fait.
Conflits d’intérêts
Les auteurs n’ont pas d’intérêts concurrents à déclarer.
Références
Aidt, Toke, et Zafiris Tzannatos. 2002. Unions and Collective Bargaining: Economic Effects in a Global Environment. Washington: Banque mondiale.
Amengual, Matthew, et Laura Chirot. 2016. «Reinforcing the State: Transnational and State Labor Regulation in Indonesia», Industrial and Labor Relations Review, 69 (5): 1056–1080. http://doi.org/10.1177/0019793916654927.
Angrist, Joshua D., et Jörn-Steffen Pischke. 2009. Mostly Harmless Econometrics: An Empiricist’s Companion. Princeton: Princeton University Press.
Anner, Mark. 2015. «Labor Control Regimes and Worker Resistance in Global Supply Chains», Labor History, 56 (3): 292–307. http://doi.org/10.1080/0023656X.2015.1042771.
Anner, Mark. 2018. «CSR Participation Committees, Wildcat Strikes and the Sourcing Squeeze in Global Supply Chains», British Journal of Industrial Relations, 56 (1): 75–98. http://doi.org/10.1111/bjir.12275.
Anner, Mark. et Xiangmin Liu. 2016. «Harmonious Unions and Rebellious Workers: A Study of Wildcat Strikes in Vietnam», Industrial and Labor Relations Review, 69 (1), 3–28. http://doi.org/10.1177/0019793915594596.
Arnold, Dennis. 2014. «Workers’ Agency and Power Relations in Cambodia’s Garment Industry», dans Towards Better Work: Understanding Labour in Apparel Global Value Chains, publ. sous la dir. d’Arianna Rossi, Amy Luinstra et John Pickles, 212–231. Basingstoke: Palgrave Macmillan.
Ashraf, Hasan, et Rebecca Prentice. 2019. «Beyond Factory Safety: Labor Unions, Militant Protest, and the Accelerated Ambitions of Bangladesh’s Export Garment Industry», Dialectical Anthropology, 43 (1): 93–107. http://doi.org/10.1007/s10624-018-9539-0.
Backes-Gellner, Uschi, Bernd Frick et Dieter Sadowski. 1997. «Codetermination and Personnel Policies of German Firms: The Influence of Works Councils on Turnover and Further Training», International Journal of Human Resource Management, 8 (3): 328–347. http://doi.org/10.1080/095851997341676.
Bair, Jennifer, et Gary Gereffi. 2014. «Towards Better Work in Central America: Nicaragua and the CAFTA Context», dans Towards Better Work: Understanding Labour in Apparel Global Value Chains, publ. sous la dir. d’Arianna Rossi, Amy Luinstra et John Pickles, 251–275. Basingstoke: Palgrave Macmillan.
Bair, Jennifer, et Marion Werner. 2015. «Global Production and Uneven Development: When Bringing Labour in Isn’t Enough», dans Putting Labour in Its Place: Labour Process Analysis and Global Value Chains, publ. sous la dir. de Kirsty Newsome, Philip Taylor, Jennifer Bair et Al Rainnie, 119–134. Londres: Palgrave.
Barrientos, Stephanie, et Sally Smith. 2007. «Do Workers Benefit from Ethical Trade? Assessing Codes of Labour Practice in Global Production Systems», Third World Quarterly, 28 (4): 713–729. http://doi.org/10.1080/01436590701336580.
Bennett, James T., et Bruce E. Kaufman (dir.). 2007. What Do Unions Do? A Twenty-Year Perspective. Abingdon: Routledge.
Besamusca, Janna, et Kea Tijdens. 2015. «Comparing Collective Bargaining Agreements for Developing Countries», International Journal of Manpower, 36 (1): 86–102. http://doi.org/10.1108/IJM-12-2014-0262.
Bird, Yanhua, Jodi L. Short et Michael W. Toffel. 2019. «Coupling Labor Codes of Conduct and Supplier Labor Practices: The Role of Internal Structural Conditions», Organization Science, 30 (4): 847–867. http://doi.org/10.1287/orsc.2018.1261.
Brookes, Marissa. 2013. «Varieties of Power in Transnational Labor Alliances: An Analysis of Workers’ Structural, Institutional, and Coalitional Power in the Global Economy», Labor Studies Journal, 38 (3): 181–200. http://doi.org/10.1177/0160449X13500147.
Budd, John W. 2018. Employment with a Human Face: Balancing Efficiency, Equity, and Voice. Ithaca: ILR Press.
Budd, John W. et Alexander J. S. Colvin. 2008. «Improved Metrics for Workplace Dispute Resolution Procedures: Efficiency, Equity, and Voice», Industrial Relations, 47 (3): 460–479. http://doi.org/10.1111/j.1468-232X.2008.00529.x.
Caraway, Teri L. 2015. «Strength amid Weakness: Legacies of Labor in Post-Suharto Indonesia», dans Working Through the Past: Labor and Authoritarian Legacies in Comparative Perspective, publ. sous la dir. de Teri L. Caraway, Maria Lorena Cook et Stephen Crowley, 25–43. Ithaca: ILR Press.
Caraway, Teri L. Maria Lorena Cook et Stephen Crowley (dir.). 2015. Working Through the Past: Labor and Authoritarian Legacies in Comparative Perspective. Ithaca: ILR Press.
Coe, Neil M., et David C. Jordhus-Lier. 2011. «Constrained Agency? Re-Evaluating the Geographies of Labour», Progress in Human Geography, 35 (2): 211–233. http://doi.org/10.1177/0309132510366746.
Collier, Ruth Berins, et David Collier. 1979. «Inducements versus Constraints: Disaggregating “Corporatism”», American Political Science Review, 73 (4): 967–986. http://doi.org/10.2307/1953982.
Cox, Anne. 2015. «The Pressure of Wildcat Strikes on the Transformation of Industrial Relations in a Developing Country: The Case of the Garment and Textile Industry in Vietnam», Journal of Industrial Relations, 57 (2): 271–290. http://doi.org/10.1177/0022185614564378.
CSI (Confédération syndicale internationale). 2020. «Haïti: mettre fin au silence face à l’érosion de la démocratie», 5 novembre 2020. https://www.ituc-csi.org/haiti-mettre-fin-au-silence.
CSI (Confédération syndicale internationale). 2022. Indice CSI des droits dans le monde 2022: les pires pays au monde pour les travailleurs et les travailleuses - Synthèse. Bruxelles.
Cumbers, Andy, Corinne Nativel et Paul Routledge. 2008. «Labour Agency and Union Positionalities in Global Production Networks», Journal of Economic Geography, 8 (3): 369–387. http://doi.org/10.1093/jeg/lbn008.
Diggle, Peter J., Patrick Heagerty, Kung-Yee Liang et Scott L. Zeger. 2002. Analysis of Longitudinal Data, deuxième édition. Oxford: Oxford University Press.
Doellgast, Virginia, Ursula Holtgrewe et Stephen Deery. 2009. «The Effects of National Institutions and Collective Bargaining Arrangements on Job Quality in Front-Line Service Workplaces», Industrial and Labor Relations Review, 62 (4): 489–509. http://doi.org/10.1177/001979390906200402.
Dufrier, Julien. 2017. «Le syndicalisme au Nicaragua depuis le retour du Frente Sandinista de Liberación Nacional (2007–2016)», Cahiers des Amériques latines, 86: 89–109. http://doi.org/10.4000/cal.8364.
Edwards, Paul K. (dir.). 2003. Industrial Relations: Theory and Practice, deuxième édition. Oxford: Blackwell.
Elfstrom, Manfred, et Sarosh Kuruvilla. 2014. «The Changing Nature of Labor Unrest in China», Industrial and Labor Relations Review, 67 (2): 453–480. http://doi.org/10.1177/001979391406700207.
Emmenegger, Patrick. 2014. The Power to Dismiss: Trade Unions and the Regulation of Job Security in Western Europe. Oxford: Oxford University Press.
Fox, Alan. 1966. Industrial Sociology and Industrial Relations: An Assessment of the Contribution which Industrial Sociology Can Make towards Understanding and Resolving Some of the Problems Now Being Considered by the Royal Commission. Londres: H. M. Stationery Office.
Fox, Alan. 1973. «Industrial Relations: A Social Critique of Pluralist Ideology», dans Man and Organization: The Search for Explanation and Social Relevance, publ. sous la dir. de John Child, 185–233. Abingdon: George Allen & Unwin.
Freeman, Richard B. 2010. «Labor Regulations, Unions, and Social Protection in Developing Countries: Market Distortions or Efficient Institutions?», dans Handbook of Development Economics, volume 5, publ. sous la dir. de Dani Rodrik et Mark Rosenzweig, 4657–4702. Amsterdam: Elsevier.
Freeman, Richard B., et James L. Medoff. 1981. «The Impact of the Percentage Organized on Union and Nonunion Wages». Review of Economics and Statistics, 63 (4): 561–572. http://doi.org/10.2307/1935852.
Freeman, Richard B., et —. 1984. What Do Unions Do? New York: Basic Books.
Gillen, Marion, Davis Baltz, Margy Gassel, Luz Kirsch et Diane Vaccaro. 2002. «Perceived Safety Climate, Job Demands, and Coworker Support among Union and Nonunion Injured Construction Workers», Journal of Safety Research, 33 (1): 33–51. http://doi.org/10.1016/S0022-4375(02)00002-6.
Hayter, Susan (dir.). 2011. The Role of Collective Bargaining in the Global Economy: Negotiating for Social Justice. Cheltenham: Edward Elgar. [Un résumé en français est disponible sous le titre «Le rôle de la négociation collective dans l’économie mondiale: négocier pour la justice sociale», à l’adresse https://www.ilo.org/sites/default/files/wcmsp5/groups/public/%40dgreports/%40dcomm/%40publ/documents/publication/wcms_159205.pdf.]
Hector, Michel. 1998. «Mouvements populaires et sortie de crise (XIXe-XXe siècles)», Pouvoirs dans la Caraïbe, 10: 71–95. http://doi.org/10.4000/plc.557.
Ibsen, Christian Lyhne, et Maite Tapia. 2017. «Trade Union Revitalisation: Where are we Now? Where to Next?», Journal of Industrial Relations, 59 (2): 170–191. http://doi.org/10.1177/0022185616677558.
Kaufman, Bruce E. 2004. The Global Evolution of Industrial Relations: Events, Ideas and the IIRA. Genève: BIT.
Kenworthy, Lane, et Bernhard Kittel. 2003. «Indicators of Social Dialogue: Concepts and Measurements», ILO Policy Integration Department Working Paper No. 5. Genève: BIT.
Kim, Jaewon, John Paul MacDuffie et Frits K. Pil. 2010. «Employee Voice and Organizational Performance: Team versus Representative Influence», Human Relations, 63 (3): 371–394. http://doi.org/10.1177/0018726709348936.
Kochan, Thomas A., et David E. Helfman. 1981. «The Effects of Collective Bargaining on Economic and Behavioral Job Outcomes», Working Paper No. 1181-81. Cambridge (États-Unis): MIT Sloan School of Management.
Kuruvilla, Sarosh, et Chunyun Li. 2021. «Freedom of Association and Collective Bargaining in Global Supply Chains: A Research Agenda», Journal of Supply Chain Management, 57 (2): 43–57. http://doi.org/10.1111/jscm.12259.
Kuruvilla, Sarosh, Mingwei Liu, Chunyun Li et Wansi Chen. 2020. «Field Opacity and Practice–Outcome Decoupling: Private Regulation of Labor Standards in Global Supply Chains», Industrial and Labor Relations Review, 73 (4): 841–872. http://doi.org/10.1177/0019793920903278.
Lacouture, Matthew. 2022. «The Landscape of Labor Protest in Jordan: Between State Repression and Popular Solidarity», dans Labor and Politics in the Middle East and North Africa, publ. sous la dir. de Dina Bishara, Ian Hartshorn et Marc Lynch, 57–62. Washington: Project on Middle East Political Science.
LeBaron, Genevieve. 2021. «The Role of Supply Chains in the Global Business of Forced Labour», Journal of Supply Chain Management, 57 (2): 29–42. http://doi.org/10.1111/jscm.12258.
Lee, Ching Kwan. 2007. Against the Law: Labor Protests in China’s Rustbelt and Sunbelt. Berkeley: University of California Press.
Liu, Mingwei. 2010. «Union Organizing in China: Still a Monolithic Labor Movement?», Industrial and Labor Relations Review, 64 (1): 30–52. http://doi.org/10.1177/001979391006400102.
Mendez, Jennifer Bickman. 2005. From the Revolution to the Maquiladoras: Gender, Labor, and Globalization in Nicaragua. Durham (États-Unis): Duke University Press.
Mendonça, Pedro, et Dragoș Adăscăliței. 2020. «Trade Union Power Resources within the Supply Chain: Marketisation, Marginalisation, Mobilisation», Work, Employment and Society, 34 (6): 1062–1078. http://doi.org/10.1177/0950017020906360.
Morantz, Alison D. 2009. «The Elusive Union Safety Effect: Toward a New Empirical Research Agenda», travaux de la 61e réunion annuelle de la Labor and Employment Relations Association. Champaign: Labour and Employment Relations Association.
Morantz, Alison D. 2017. «What Unions Do for Regulation», Annual Review of Law and Social Science, 13 (octobre): 515–534. http://doi.org/10.1146/annurev-lawsocsci-120814-121416.
Muhl, Charles J. 2001. «The Employment-at-Will Doctrine: Three Major Exceptions», Monthly Labor Review, 124 (1): 3–11.
Oka, Chikako. 2016. «Improving Working Conditions in Garment Supply Chains: The Role of Unions in Cambodia», British Journal of Industrial Relations, 54 (3): 647–672. http://doi.org/10.1111/bjir.12118.
Pohler, Dionne, et Chris Riddell. 2019. «Multinationals’ Compliance with Employment Law: An Empirical Assessment Using Administrative Data from Ontario, 2004 to 2015», Industrial and Labor Relations Review, 72 (3): 606–635. http://doi.org/10.1177/0019793918788837.
Reilly, Barry, Pierella Paci et Peter Holl. 1995. «Unions, Safety Committees and Workplace Injuries», British Journal of Industrial Relations, 33 (2): 275–288. http://doi.org/10.1111/j.1467-8543.1995.tb00435.x.
Riisgaard, Lone. 2009. «Global Value Chains, Labor Organization and Private Social Standards: Lessons from East African Cut Flower Industries», World Development, 37 (2): 326–340. http://doi.org/10.1016/j.worlddev.2008.03.003.
Riisgaard, Lone, et Nikolaus Hammer. 2011. «Prospects for Labour in Global Value Chains: Labour Standards in the Cut Flower and Banana Industries», British Journal of Industrial Relations, 49 (1): 168–190. http://doi.org/10.1111/j.1467-8543.2009.00744.x.
Rossi, Arianna. 2015. «Better Work: Harnessing Incentives and Influencing Policy to Strengthen Labour Standards Compliance in Global Production Networks», Cambridge Journal of Regions, Economy and Society, 8 (3): 505–520. http://doi.org/10.1093/cjres/rsv021.
Rossi, Arianna, et Raymond Robertson. 2011. «Better Factories Cambodia: An Instrument for Improving Industrial Relations in a Transnational Context», CGD Working Paper No. 256. Washington: Center for Global Development.
Selwyn, Benjamin. 2012. Workers, State and Development in Brazil: Powers of Labour, Chains of Value. Manchester: Manchester University Press.
Selwyn, Benjamin. 2019. «Poverty Chains and Global Capitalism», Competition & Change, 23 (1): 71–97. http://doi.org/10.1177/1024529418809067.
Silver, Beverly J. 2003. Forces of Labor: Workers’ Movements and Globalization since 1870. Cambridge: Cambridge University Press. [Traduit en français sous le titre Forces du travail: les conflits ouvriers et la globalisation depuis 1870, Toulouse, Éditions de l’Asymétrie, 2019.]
Taplin, Ian M. 2014. «Who Is to Blame? A Re-examination of Fast Fashion after the 2013 Factory Disaster in Bangladesh», Critical Perspectives on International Business, 10 (1-2): 72–83. http://doi.org/10.1108/cpoib-09-2013-0035.
Teipen, Christina, Petra Dünhaupt, Hansjörg Herr et Fabian Mehl (dir.). 2022. Economic and Social Upgrading in Global Value Chains: Comparative Analyses, Macroeconomic Effects, the Role of Institutions and Strategies for the Global South. Cham: Palgrave Macmillan.
Tran, Angie Ngoc. 2011. «Corporate Social Responsibility in Socialist Vietnam: Implementation, Challenges, and Local Solutions», dans Labour in Vietnam, publ. sous la dir. d’Anita Chan, 119–159. Singapour: Institute of Southeast Asian Studies.
Weil, David. 1987. «Government and Labor at the Workplace: The Role of Labor Unions in the Implementation of Federal Health and Safety Policy», dans Proceedings of the 40th Annual Meeting of the Industrial Relations Research Association, publ. sous la dir. de Barbara D. Dennis, 332. Madison: Industrial Relations Research Association.
Weil, David. 1991. «Enforcing OSHA: The Role of Labor Unions», Industrial Relations: A Journal of Economy and Society, 30 (1): 20–36. http://doi.org/10.1111/j.1468-232X.1991.tb00773.x.
Weil, David. 1994. Turning the Tide: Strategic Planning for Labor Unions. New York: Lexington Books.
Wicks-Lim, Jeannette. 2009. Creating Decent Jobs in the United States: The Role of Labor Unions and Collective Bargaining. Amherst: Political Economy Research Institute.
Wilkinson, Adrian, Tony Dundon, Jimmy Donaghey et Alexander J. S. Colvin (dir.). 2018. The Routledge Companion to Employment Relations. Abingdon: Routledge.
Wright, Erik Olin. 2000. «Working-Class Power, Capitalist-Class Interests, and Class Compromise», American Journal of Sociology, 105 (4): 957–1002. http://doi.org/10.1086/210397.
Yoon, Youngmo. 2009. «A Comparative Study on Industrial Relations and Collective Bargaining in East Asian Countries», DIALOGUE Working Paper No. 8. Genève: BIT.