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Comment les associations professionnelles informelles protègent leurs membres en cas de crises multiples et imbriquées: l’exemple du Kenya et de la Tanzanie

Auteurs: Nina TORM orcid logo (Roskilde University) , Godbertha KINYONDO (Mzumbe University) , Winnie V. MITULLAH (University of Nairobi) , Lone RIISGAARD (Roskilde University) , Aloyce GERVAS (Mzumbe University) , Raphael INDIMULI (University of Nairobi) , Anne W. KAMAU (University of Nairobi)

  • Comment les associations professionnelles informelles protègent leurs membres en cas de crises multiples et imbriquées: l’exemple du Kenya et de la Tanzanie

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    Comment les associations professionnelles informelles protègent leurs membres en cas de crises multiples et imbriquées: l’exemple du Kenya et de la Tanzanie

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Résumé

Les auteurs analysent la capacité des associations professionnelles informelles à fournir une protection sociale en cas de crise multiforme au Kenya et en Tanzanie. Ils comparent la situation de trois secteurs (construction, petit commerce et transport de passagers) avant et pendant la pandémie de COVID-19, et constatent que les associations parviennent moins bien à amortir l’impact des chocs covariants que celui des chocs idiosyncratiques. S’ils mettent en évidence des disparités entre les pays et les secteurs, ils observent aussi que la plupart des associations ont restreint ou adapté leurs activités durant la pandémie. Ils concluent à la nécessité de renforcer les systèmes de protection formels afin de mieux faire face aux chocs covariants et d’éviter ainsi l’effondrement des structures de soutien informelles.

Mots clés: COVID-19, associations de travailleurs informels, Kenya, protection sociale, Tanzanie

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Publié le
2025-04-01

Examen par les pairs

Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs, de même que les désignations territoriales qui y sont utilisées, et leur publication ne signifie pas que l’OIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.

Titre original: «The Role of Informal Worker Associations in Cushioning Members during Multiple Interlinked Crises in Kenya and Tanzania» (International Labour Review, vol. 164, nº 1). Traduit par Isabelle Lauze. Également disponible en espagnol (Revista Internacional del Trabajo, vol. 144, nº 1).

1. Introduction

Les acteurs du développement s’accordent de plus en plus à considérer que les politiques et les instruments de protection sociale sont le meilleur moyen pour lutter contre la pauvreté et les inégalités et pour favoriser l’intégration sociale dans les pays du Sud (Deacon, 2007; Hickey et Seekings, 2017; Hickey et al., 2020). Or, en Afrique subsaharienne, la protection sociale se développe dans un contexte où l’emploi informel est la norme et où la plupart des travailleurs ont des moyens de subsistance incertains et précaires et n’ont pas accès aux systèmes formels de protection sociale. Pour combler cette lacune, des collectifs de travailleurs informels ont lancé une multitude d’initiatives visant à offrir à leurs membres des formes alternatives de protection sociale en cas de maladie ou de décès, par exemple, ou à les aider à accéder à la protection sociale formelle (Riisgaard, Mitullah et Torm, 2022). Dans cet article, nous parlons d’associations professionnelles informelles pour désigner ces collectifs. Ces associations sont dites informelles parce que leurs membres exercent leur activité de façon informelle, mais certaines d’entre elles sont très structurée, tandis que d’autres le sont moins. Elles sont pour la plupart liées à un secteur d’activité et non fondées sur des réseaux de parenté ou à d’autres systèmes de solidarité traditionnels. Par ailleurs, certaines remplissent les mêmes fonctions que les syndicats formels, en défendant les intérêts de leurs membres et en représentant ces derniers auprès des employeurs ou des autorités (c’est-à-dire en faisant entendre leur voix). Les associations professionnelles informelles négocient sur des sujets tels que l’immatriculation des travailleurs, l’accès à l’emploi et les cotisations de sécurité sociale (à des régimes d’assurance formels). Les associations plus petites et moins structurées proposent souvent des mesures de protection sociale adaptées aux besoins de leurs membres, telles qu’une aide en cas de maladie ou de décès.

Pendant la pandémie de COVID-19 − exemple même d’une crise généralisée et multiforme −, les travailleurs informels ont subi de manière disproportionnée les effets combinés du virus et des mesures de confinement, du fait de la précarité de leurs moyens de subsistance et de leur accès limité à la protection sociale formelle. Il est démontré que les associations, qui offrent une protection sociale informelle tout en facilitant l’accès à l’assurance-maladie et à l’assurance sociale formelle, protègent efficacement les travailleurs en cas de choc idiosyncratique spécifique à un individu ou à un ménage, ou dû à un incident au cours du cycle de vie comme une expulsion, la maladie ou un événement de grande ampleur dont les effets sont limités dans le temps mais ont un impact disproportionné. En revanche, on sait moins ce qu’il advient de ces associations et de leur capacité à protéger les travailleurs informels lorsque ceux-ci sont exposés de surcroît à une crise covariante, c’est-à-dire un choc qui affecte l’ensemble d’un quartier, d’une communauté ou d’un pays, comme ce fut le cas lors de la pandémie de COVID-19 (Bhattamishra et Barrett, 2010). Les premiers bilans indiquent que les mesures sanitaires prises pour enrayer la propagation du virus − notamment le confinement total ou partiel − ont eu un impact soudain et considérable sur les moyens de subsistance des travailleurs informels, aboutissant dans de nombreux cas à une perte de revenu permanente (WIEGO, 2020; Wangari et al., 2021). La plupart des travailleurs informels ont toutefois été contraints de poursuivre leur activité malgré le confinement et les risques de contagion, du fait l’insuffisance ou de l’inadéquation des mesures prises par le gouvernement pour leur venir en aide (Boatang-Pobee et al., 2021; Kugler et al., 2023).

Au Kenya comme en Tanzanie, les premiers cas de COVID-19 ont été détectés à la mi-mars 2020. Malgré des stratégies d’adaptation différentes, la pandémie a constitué dans les deux pays un grave choc socio-économique pour l’économie informelle et a mis à mal le rôle d’amortisseur des associations professionnelles informelles. Dans cet article, nous cherchons à vérifier l’hypothèse selon laquelle les associations professionnelles informelles sont moins à même d’offrir une protection sociale en cas de choc covariant qu’en cas de choc idiosyncratique. Plus précisément, nous répondons à la double question suivante: à quels problèmes les travailleurs informels ont-ils été confrontés pendant la pandémie de COVID-19 et dans quelle mesure les associations sont-elles en mesure de protéger les travailleurs en cas de crises multiples?

À cet effet, nous nous appuyons sur des données d’enquêtes et d’entretiens menés auprès de travailleurs informels exerçant dans la construction, le petit commerce et le transport de passagers, trois secteurs où l’emploi est essentiellement informel, dans les villes de Nairobi, au Kenya, et de Dar es-Salaam, en Tanzanie1. Les données ont été collectées dans le cadre d’un projet plus vaste sur la protection sociale et les travailleurs informels dans les zones urbaines du Kenya et de la Tanzanie (SPIWORK)2. Nous cherchons à cerner les difficultés rencontrées par les travailleurs et à savoir si les associations de travailleurs informels sont en mesure d’offrir et de préserver une protection sociale en cas de chocs idiosyncratiques et covariants simultanés, en prenant l’exemple de la pandémie de COVID-19. Afin de pouvoir apprécier la situation avant et après l’épidémie, nous complétons les données quantitatives de 2018 par une enquête de suivi et des entretiens menés au cours du second semestre de 2020. La comparaison entre le Kenya, qui a pris des mesures très restrictives pour enrayer la propagation de l’épidémie, et la Tanzanie, où le COVID-19 a été largement minimisé, nous permet d’examiner les différences dans la lutte contre la pandémie.

Avant la pandémie, on avait observé que les associations professionnelles informelles possédaient des caractéristiques différentes et offraient un soutien variable selon les secteurs (Riisgaard, Mitullah et Torm, 2022). Une comparaison intersectorielle nous permet donc de vérifier si les caractéristiques propres à chaque secteur influent sur les difficultés rencontrées par les associations pendant la pandémie et sur les réponses qu’elles y apportent. La pandémie a beau avoir été un choc covariant, elle a affecté très différemment les travailleurs selon le secteur et le pays où ils exercent.

Nos résultats font apparaître des similitudes au niveau des pays et des secteurs, mais aussi quelques différences dans les mesures prises face au COVID-19. Au Kenya et en Tanzanie, les petits commerçants ont pour la plupart poursuivi leur activité, tandis que les travailleurs du secteur des transports ont été durement touchés par les mesures de confinement, même si beaucoup d’entre eux ont continué à travailler, quoiqu’en assurant un service réduit. Dans la construction − qui n’était pas considérée comme un service essentiel −, beaucoup de personnes ont perdu leur emploi, notamment celles qui travaillaient sur des gros chantiers, et les restrictions de circulation entre les comtés au Kenya et les régions en Tanzanie les ont empêchées de retrouver du travail. Certains chantiers de moindre envergure n’ont toutefois pas été interrompus mais, en raison des restrictions de déplacement, les travailleurs évitaient de quitter le chantier de crainte de ne pas pouvoir y retourner.

En ce qui concerne les associations, le tableau est contrasté dans les deux pays. Si certaines des organisations les mieux implantées ont continué à fonctionner à plein régime, c’est le cas notamment dans le secteur des transports au Kenya, d’autres ont réduit leurs activités, n’apportant qu’une aide financière et un soutien social limités, ou ont même recentré leur action sur des prestations plus réalisables, telles que la formation aux mesures de prévention liées au COVID-19. Des différences apparaissent dans l’articulation entre les mesures d’aide émanant des pouvoirs publics et le soutien apporté par les associations professionnelles informelles. Ainsi, au Kenya, l’aide est venue le plus souvent des associations, alors qu’en Tanzanie elle a souvent été le résultat de mesures décidées par le gouvernement. Au-delà des effets variables de la pandémie et des mesures de riposte selon les secteurs et les pays, la plupart des associations de travailleurs que nous avons étudiées ne se sont pas effondrées, mais beaucoup se sont mises en sommeil et d’autres ont fonctionné au ralenti. Nous en concluons que, si les associations professionnelles informelles parviennent bien à amortir les chocs individuels ponctuels, elles ne sont souvent pas assez solides pour aider les travailleurs à traverser des crises sanitaires et économiques affectant l’ensemble d’un pays. Nos résultats montrent ainsi qu’il est nécessaire de renforcer les systèmes de protection formels afin qu’ils aient la capacité de résister aux chocs covariants et d’offrir aux travailleurs informels une protection adéquate, ce qui permettra également d’éviter que les structures de soutien informelles s’effondrent.

Le reste de l’article est structuré comme suit. Dans la deuxième partie, nous présentons brièvement le contexte de notre étude avant de décrire notre méthodologie et nos données dans la troisième partie. Nous consacrons la quatrième partie à une revue de la littérature et à la description du cadre théorique de notre analyse, qui fera l’objet de la cinquième partie. Nous analysons les problèmes auxquels les travailleurs informels ont été confrontés pendant la pandémie de COVID-19 et montrons comment la pandémie a affecté les associations de travailleurs informels, et notamment leur capacité à répondre aux besoins de leurs membres. Dans la sixième et dernière partie, nous présentons nos conclusions, en proposant quelques pistes de réflexion pour l’action publique.

2. Le COVID-19 au Kenya et en Tanzanie

Le Kenya, comme tant d’autres pays africains, avait pris un ensemble de mesures pour endiguer la propagation du COVID-19 au début de la pandémie. Ces mesures, que l’on peut qualifier de confinement partiel, prévoyaient une interdiction des déplacements hors du domicile, la distanciation physique, le port du masque et l’hygiène des mains, la fermeture des établissements scolaires, la suspension des vols internationaux, un couvre-feu du crépuscule à l’aube, l’interdiction des rassemblements publics, un isolement obligatoire, la fermeture des bars et des restrictions sur les horaires d’ouverture des restaurants. Le confinement a été levé au début du mois de juillet 2020, mais Nairobi est restée soumise à un couvre-feu jusqu’en octobre 2021. Des mesures telles que l’obligation de se laver les mains, la distanciation physique et le port du masque, l’interdiction des rassemblements publics et l’incitation au télétravail, surtout dans la fonction publique, sont restées en vigueur. Afin d’atténuer les effets de la pandémie sur les travailleurs, le gouvernement avait adopté des mesures telles que des exonérations fiscales pour les personnes à faible revenu, des réductions d’impôts pour les personnes à revenu élevé et une baisse du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Ces dispositifs ont toutefois été supprimés pour l’essentiel en janvier 2021, alors que la pandémie était encore au plus haut. De surcroît, si l’on fait abstraction de quelques transferts en espèces et aides alimentaires accordés au compte-goutte, les travailleurs informels ont été largement abandonnés à leur sort, dans la mesure où ils ne faisaient pas partie de la population ciblée par les programmes de transferts. Les registres sociaux ne recensent pour l’heure que les ménages et les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables, qui sont la cible des programmes d’aide sociale. De ce fait, pendant la pandémie, de nombreux travailleurs informels ont eu le plus grand mal à subvenir à leurs besoins quotidiens, mais aussi à régler leurs arriérés de cotisations de membres et caisse d’assurance-maladie, ce qui les a obligés à s’endetter auprès de leur employeur ou de leur association.

En Tanzanie, le gouvernement avait pris au début de la pandémie des mesures d’urgence pour enrayer la propagation du virus. Dans beaucoup de secteurs toutefois, les travailleurs informels ont continué à exercer leur activité, y compris pendant la courte période de confinement (de mars à mai 2020). Dès le mois de mai 2020, le gouvernement est revenu sur ses décisions, a commencé à lever les restrictions et a cessé de communiquer les chiffres des contaminations et des décès liés au COVID-19. Le président Magufuli, décédé en 2021, a invité la population à reprendre ses activités et a supprimé les mesures de mise en quarantaine pour les voyageurs internationaux. En revanche, déclarait-il, les touristes verraient leur température contrôlée à leur arrivée: «S’ils ne présentent aucun symptôme, qu’on les laisse aller voir les animaux» (SABC News, 2020). En juin 2020, le gouvernement tanzanien a déclaré que la phase critique de la pandémie de COVID-19 était terminée et tous les établissements scolaires étaient autorisés à rouvrir, si bien que la plupart des travailleurs informels ont pu en conclure que la pandémie était terminée. Ce changement de cap s’explique par la crainte des conséquences socio-économique d’un confinement, surtout pour les catégories les plus vulnérables de la population. Le gouvernement a apaisé ces inquiétudes en adoptant notamment un plan de relance économique qui a ramené le taux de TVA de 16 à 14 pour cent, ce qui a abaissé le coût du carburant et profité directement aux travailleurs des transports. Les autorités ont fini par admettre que le COVID-19 n’allait pas disparaître de sitôt, mais elles recommandaient à la population de le soigner comme une simple grippe. Il n’y avait donc pas lieu d’arrêter de travailler, du moment que l’on respectait les consignes du ministère de la Santé.

Les mesures prises pour enrayer la propagation du COVID-19 ont affecté l’ensemble de la société et plus particulièrement les travailleurs informels, qui ont pâti de surcroît de l’application erratique de ces mesures. Au Kenya comme en Tanzanie, les vendeurs des marchés alimentaires étaient considérés comme des travailleurs essentiels et étaient donc autorisés à poursuivre leur activité durant le confinement. Or, certains marchés ont été temporairement fermés et ont imposé des restrictions sanitaires au moment de la réouverture (Boatang-Pobee et al., 2021). De nouveaux marchés de rue ad hoc ont fait leur apparition dans certaines zones urbaines et ont eu du succès, notamment auprès des commerçants qui avaient perdu leur emploi à cause de la pandémie (voir Kiaka et al., 2021). Les travailleurs du transport de passagers ont également été autorisés à poursuivre leur activité dans les deux pays, bien qu’en limitant le nombre de passagers à bord, et certains véhicules ont été affectés au transport de denrées alimentaires et autres marchandises entre zones rurales et urbaines.

3. Méthodologie

Pour conduire notre analyse, nous utilisons: i) des données de référence sur les travailleurs informels des secteurs de la construction, du petit commerce et des transports, recueillies en 2018 dans le cadre du projet SPIWORK3, et ii) des données issues d’une enquête de suivi auprès des travailleurs informels et d’entretiens avec des informateurs clés, recueillies en deux phases (juillet-août 2020 et octobre-novembre 2020) à Nairobi et Dar es-Salaam. Comme nous l’avons indiqué plus haut, le confinement a été levé assez rapidement dans les deux pays. Le COVID-19 sévissait encore lorsque nous avons commencé à collecter des données à la mi-juillet 2020, mais les travailleurs informels parlaient déjà de la pandémie au passé. Par conséquent, dans cet article, nous employons l’expression «après le COVID» pour désigner la période de collecte des données de 2020. Notre recherche a été conduite dans le respect de l’éthique et approuvée par les autorités compétentes de chaque pays.

Durant la première phase de collecte de données, en juillet-août 2020, nous avons interviewé des travailleurs des secteurs du commerce, de la construction et du transport de passagers en nous appuyant sur un questionnaire semi-structuré comportant des questions à la fois ouvertes et fermées, afin de comprendre comment la crise avait amplifié les problèmes qu’ils rencontraient dans leur vie professionnelle et à quels types de difficultés nouvelles les associations qui les représentent avaient été confrontées. Pour des raisons éthiques et afin d’éviter toute contamination des chercheurs et des personnes interrogées, les entretiens ont été menés par téléphone à un moment qui convenait aux participants. Quand les répondants ont sollicité un entretien en face-à-face (surtout au cours de la deuxième phase de collecte), toutes les mesures de précaution ont été prises: port du masque, distanciation physique et désinfection des mains après l’entretien. Les questions de l’enquête portaient notamment sur le montant de la cotisation, la fréquence des réunions et les mécanismes d’adaptation et d’accompagnement. Tous les répondants (et leurs associations) avaient participé à l’enquête initiale en 2018 et, dans les deux pays, les questionnaires ont été administrés par des assistants de recherche qualifiés.

Afin de disposer d’une base d’information plus large, nous avons sélectionné une dizaine d’associations de travailleurs indépendants par secteur dans chaque ville (Nairobi et Dar es-Salaam), soit un total d’environ 70 associations (35 dans chaque pays), qui différaient par la taille, l’objet social et la solidité. Parmi les associations de notre échantillon figurent quelques syndicats dûment constitués, tels que le syndicat des travailleurs des transports du Kenya (Transport Workers Union of Kenya – TAWU), le syndicat des travailleurs du transport routier de Tanzanie (Tanzania Road Transport Workers Union – TAROTWU) et le syndicat des travailleurs de l’industrie et du commerce de Tanzanie (Tanzania Union of Industrial and Commercial Workers – TUICO). On recense aussi des coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC), répandues dans le secteur des transports au Kenya, des associations villageoises d’épargne et de crédit (Village Community Bank – VICOBA) en Tanzanie, ainsi que de grandes organisations faîtières comme la Jumuiya ya Vikundi vya Wenye Viwanda na Biashara Ndogondogo (VIBINDO), qui fédère des associations de petits commerçants et producteurs en Tanzanie, et la confédération du secteur informel de Nairobi (Nairobi Informal Sector Confederation – NISCOF) et l’alliance nationale des vendeurs ambulants et des commerçants informels du Kenya (Kenya National Alliance of Street Vendors and Informal Traders – KENASVIT). Nous avons aussi inclus dans notre échantillon plusieurs tontines, ces petites associations informelles d’épargne et de crédit connues au Kenya sous le nom de chamas.

Afin de recueillir différentes opinions, nous avons interviewé au sein des associations aussi bien des membres ordinaires que des dirigeants. Au Kenya, nous avons réalisé 71 entretiens (34 dirigeants et 37 membres), dont 23 avec des petits commerçants, 21 avec des ouvriers du bâtiment et 27 avec des travailleurs des transports. En Tanzanie, nous avons mené 65 entretiens (38 dirigeants et 27 membres), dont 20 avec des petits commerçants, 12 avec des ouvriers du bâtiment et 33 avec des travailleurs des transports. Dans les deux pays, les travailleurs de notre échantillon étaient âgés en moyenne de 35 ans et gagnaient en moyenne l’équivalent de 10 dollars des États-Unis par jour. Pour ce qui est du niveau d’éducation, environ 48 pour cent des travailleurs de notre échantillon étaient allés jusqu’au bout de l’enseignement secondaire au Kenya, contre 39 pour cent en Tanzanie. Enfin, les hommes représentent environ 70 pour cent de notre échantillon dans les deux pays4. Nous sommes conscients que la petite taille de l’échantillon ne permet pas d’effectuer une analyse quantitative au-delà des statistiques descriptives.

Lors de la deuxième phase de collecte de données, qui s’est déroulée entre octobre et novembre 2020, nous avons mené des entretiens avec des informateurs clés, c’est-à-dire des décideurs et des professionnels en lien avec des travailleurs informels. Au Kenya, nous nous sommes notamment adressés à la direction des micro et petites entreprises, à l’autorité nationale de la construction, au fonds national d’assurance-maladie (NHIF) et à l’association pour la sécurité des boda boda (motos-taxis) du Kenya (BAK). En Tanzanie, nous nous sommes entretenus avec des membres de l’association des propriétaires d’autobus urbains de Dar es-Salaam (DARCOBOA) et de l’association VIBINDO. Le but était de recueillir leur point de vue sur l’impact du COVID-19 sur les travailleurs informels. Les entretiens ont été enregistrés avec le consentement des participants et ont également fait l’objet d’une prise de notes détaillées. Les données qualitatives ont été codées et analysées à l’aide du logiciel Nvivo, et les données quantitatives traitées avec le logiciel STATA.

4. Littérature et cadre théorique

Bien que l’on constate des signes de changement, le rôle des structures d’appui aux travailleurs informels n’est pas encore pleinement reconnu au niveau international, et les stratégies actuelles d’extension de la protection sociale et le cadre conceptuel qui les sous-tend n’en tiennent pas compte (Riisgaard, Mitullah et Torm, 2022; Awortwi et Walter-Drop, 2018). Or, les mécanismes informels de protection sociale et les réseaux de solidarité constituent dans les pays du Sud d’importantes stratégies de gestion des risques pour les ménages et les individus. Les associations professionnelles informelles, par exemple, comblent en partie les lacunes de la protection sociale formelle, surtout lorsque celle-ci est inexistante ou insuffisante (Awortwi et Walter-Drop, 2018; Kamau et al., 2018; Mushunje et Kaseke, 2018; Oduro, 2010). Bien que souvent sommaires, les mécanismes de protection sociale informels ont l’avantage d’être plus souples, mieux adaptés aux besoins immédiats et plus inclusifs que les systèmes formels (Kaseke, 2003). Au Kenya et en Tanzanie, on trouve des exemples d’associations de travailleurs informels qui vont au-delà de la gestion des risques pour proposer des services de protection sociale tels que des bourses d’études, de la formation continue et la représentation auprès des autorités (Riisgaard, Mitullah et Torm, 2022). Dans son étude sur le Kenya, Oware (2020) fait valoir l’importance des modalités informelles de protection sociale dans le lissage des revenus et de la consommation, tout en soulignant que ces mécanismes ont des limites et qu’ils peuvent créer de l’exclusion. De même, Kamau et al. (2018) concluent à l’efficacité des systèmes de soutien informels apportés par les associations en cas de choc idiosyncratique.

Des études portant sur un échantillon plus vaste de pays en développement et de formes de gestion communautaire des risques donnent à penser que les mécanismes informels sont très efficaces en réponse à des chocs idiosyncratiques affectant les individus et les ménages ou liés à des événements de la vie comme la maladie ou la mort, mais qu’ils sont insuffisants face à des crises covariantes affectant des zones géographiques plus larges (Bhattamishra et Barrett, 2010; OCDE/OIT, 2019). De fait, les chocs covariants, à savoir les crises de nature climatique, météorologique, économique ou pandémique, ont tendance à détruire les mécanismes informels de protection sociale, ce qui touche les ménages vulnérables dont les ressources sont déjà limitées (Watson, 2016; WIEGO, 2020). Les associations professionnelles informelles n’ont souvent pas beaucoup d’adhérents et disposent de ressources limitées, destinées expressément à être mutualisées pour venir en aide, parfois à tour de rôle, aux travailleurs subissant un choc ponctuel. Elles ne sont donc pas adaptées pour répondre à un choc covariant qui touche tous leurs membres en même temps. Les associations professionnelles informelles ont aussi l’inconvénient d’exclure les plus vulnérables (Calder et Tanhchareun, 2014; Dercon et Krishnan, 2002) en raison des barrières à l’entrée et de l’obligation de verser une cotisation (Riisgaard, Mitullah et Torm, 2022). En tant qu’organisations fondées sur l’adhésion, elles ont tendance à fixer des critères d’admission et à différencier les membres en fonction de leur statut au sein de la structure. Étant donné que les associations professionnelles informelles protègent moins bien contre les crises covariantes, Oware (2020) conclut, à l’instar de Bhattamishra et Barrett (2010), qu’une crise d’ampleur nationale nécessite l’intervention des pouvoirs publics et des organisations non gouvernementales. Elle souligne la nécessité d’un système public et complet de protection sociale, tout en reconnaissant que cela n’est pas réaliste dans la plupart des pays, en raison des ressources limitées de l’État. Oware (2020) s’intéresse également à l’articulation entre mécanismes formels et informels de protection sociale, estimant que les premiers devraient venir compléter les seconds. Elle rejoint en cela Oduro (2010), qui se demande si la mise en place d’un système formel de protection sociale ne risque pas de «faire disparaître la protection sociale informelle et d’avoir un impact négatif sur le bien-être des personnes pauvres et vulnérables» (p. 23). L’important ici, comme le souligne Oduro (2010), est que la protection sociale formelle renforce les aspects positifs des mécanismes de soutien informels au lieu de les affaiblir. Tout en estimant lui aussi que les mécanismes informels protègent moins bien contre les risques covariants, Dafuleya (2018 et 2023) enrichit le débat en rappelant que l’économie informelle recouvre des réalités très différentes.

Nos données témoignent à l’évidence de la diversité des travailleurs informels et de leurs associations et montrent qu’il est nécessaire de faire des comparaisons entre secteurs. Nous cherchons à déterminer si les associations de travailleurs informels sont en mesure d’offrir une protection aux travailleurs informels pendant une crise covariante, tout en les aidant à faire face aux idiosyncratiques du quotidien, comme une expulsion, une saisie de leur marchandise ou la maladie d’un membre du ménage. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les témoignages de travailleurs informels et sur des cas où les associations de travailleurs informels se sont efforcées d’atténuer les crises. Comme Riisgaard, Mitullah et Torm (2022), nous adoptons la typologie de la protection sociale établie par Devereux et Sabates-Wheeler (2004) et définissons la protection sociale au sens large en y englobant les mesures de prévention (assurance-maladie, pensions, etc.), de promotion (microfinance, formation professionnelle, etc.) et de transformation (par exemple, représentation et action collective)5. Nous explicitons ces différentes dimensions de la protection sociale dans l’annexe supplémentaire en ligne B (en anglais) et les mettons en rapport avec nos données dans l’analyse présentée dans la sous-partie 5.2.

5. Analyse

Nous présentons nos résultats à la suite. Nous analysons tout d’abord les principaux problèmes auxquels ont été confrontés les travailleurs informels pendant le COVID-19. Nous étudions ensuite comment les associations de travailleurs informels ont aidé les travailleurs à surmonter ces difficultés. Nous examinons enfin les différents mécanismes d’adaptation et d’atténuation mis en œuvre par les associations, en dégageant différents thèmes qui se recoupent et se chevauchent parfois. Nous nous appuyons avant tout sur nos données qualitatives, que nous complétons le cas échéant par des données quantitatives afin d’avoir une vision intersectorielle et de pouvoir comparer avec la situation d’avant le COVID. Cette triangulation des données nous permet de dresser un tableau plus complet et plus nuancé.

5.1. Difficultés rencontrées par les travailleurs informels pendant la pandémie de COVID-19

5.1.1. Kenya

Au Kenya, la perte d’heures de travail et de revenu a été le principal problème pour les travailleurs des trois secteurs pendant la pandémie. Les petits commerçants ont vu fondre leurs recettes du fait de la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs. Les travailleurs des transports ont connu une baisse de revenu, les autorités leur ayant imposé de réduire le taux de remplissage de leurs véhicules ainsi que l’amplitude horaire de leurs services en raison du couvre-feu nocturne. Les conducteurs de boda-boda (motos-taxis), confrontés de surcroît à l’impossibilité de respecter la distanciation physique, ont fait par exemple état de ce problème:

Les conducteurs de motos-taxis se sont retrouvés à sec à cause du manque de travail et de la baisse de leurs revenus pendant la pandémie. La majorité d’entre eux n’étaient plus en mesure de payer leurs cotisations [d’assurance-maladie] au NHIF (représentant de la BAK, Nairobi, 18 juillet 2020).

Ce sont toutefois les travailleurs du secteur de la construction qui ont eu le plus de mal à payer leurs cotisations d’assurance-maladie. Si certains des travailleurs interviewés ont continué à s’acquitter de leurs cotisations pendant la pandémie, cela peut s’expliquer par le fait que notre échantillon comprend à la fois des membres et des dirigeants d’associations: ces derniers étant plus à l’aise financièrement, ils étaient davantage en mesure de payer leurs cotisations. En outre, il est prouvé que les cotisations statutaires au NHIF ont également diminué parmi les employés du secteur formel en raison de la perte d’emploi et de la réduction des revenus pendant la pandémie (Kairu et al., 2023).

Un conseiller jeunesse qui travaille pour des associations de travailleurs informels faisait justement part des difficultés rencontrées par les motos-taxis:

Les conducteurs de boda-boda travaillent souvent la nuit. Avec le couvre-feu, ce n’est plus possible. Leurs horaires de travail ont été réduits et, du coup, ils gagnent moins (conseiller jeunesse, Nairobi, 15 juillet 2020).

Pendant la pandémie, les habitants de Nairobi ont toutefois beaucoup emprunté les motos-taxis à l’approche de l’heure du couvre-feu, lorsque les matatu (minibus privés) avaient cessé de circuler et, parfois, pour se rendre (illégalement) dans les zones interdites d’accès.

En raison des mesures de restriction de déplacements et de fermeture des chantiers prises par le gouvernement kenyan, les travailleurs de la construction ont été plus nombreux à perdre leur emploi que ceux des transports et les commerçants. Quelque 93 pour cent des travailleurs des transports et 91 pour cent des petits commerçants sont restés en activité pendant la pandémie, contre 67 pour cent des travailleurs de la construction6. Le secteur de la construction a donc été moins résilient et moins capable de s’adapter au choc économique provoqué par la pandémie que ceux du petit commerce et des transports. Cela étant, les chantiers de particuliers n’ayant pas été mis à l’arrêt, les ouvriers qui travaillaient sur de grands projets se sont rabattus sur ces chantiers de moindre envergure et des emplois moins sûrs, moins bien rémunérés et plus précaires.

Des travailleurs ont estimé que leur sort s’était amélioré une fois que les restrictions imposées par le gouvernement avaient été assouplies. Pour les travailleurs des transports et les petits commerçants, c’est le recul de l’heure du couvre-feu qui a été décisif: le fait de pouvoir exercer leur activité deux heures de plus leur a permis d’accroître leur revenu. Pour les travailleurs de la construction, le changement le plus important a été la levée des restrictions de déplacement, qui leur a permis de chercher un emploi ailleurs:

Depuis la levée du confinement, nous pouvons nous déplacer et trouver du travail en dehors de Nairobi (travailleur de la construction, Nairobi, 15 juillet 2020).

Pour d’autres travailleurs en revanche, trois mois après le début de la pandémie, la situation ne s’était pas améliorée, voire avait empiré: leurs revenus avaient baissé, leurs dettes s’étaient accumulées, ils n’avaient pas trouvé d’emploi et n’avaient pas été aidés par les associations. Ils ont eu d’autant plus de mal à se remettre des effets de la pandémie qu’il y a eu plusieurs vagues de COVID-19, qui ont conduit au rétablissement des restrictions de déplacements et du couvre-feu.

5.1.2. Tanzanie

En Tanzanie, de même qu’au Kenya, toutes les personnes interrogées dans les trois secteurs ont invoqué comme problème numéro un pendant la pandémie la baisse de revenus consécutive à une perte d’heures de travail ou de recettes. Comme l’expliquait une personne membre d’une association de commerçants:

Comme nous sommes installées pour la plupart autour des écoles, nous vendons surtout à des scolaires, qui n’étaient plus là quand les écoles ont fermé. Alors nous avons dû arrêter. Cela a fait terriblement baissé notre revenu et nous nous sommes retrouvées à la maison à nous demander ce que nous allions bien pouvoir faire d’autre. Ça a été une période très dure pour la plupart d’entre nous (petite commerçante, Dar es-Salaam, 8 juillet 2020).

Ce sont sans doute les opérateurs de dala-dala (minibus urbains) qui ont subi toutefois la plus forte baisse de revenus en valeur absolue, en raison de la limitation du nombre de passagers à bord imposée par le gouvernement7. De fait, presque tous les travailleurs informels des transports interrogés ont indiqué que cette mesure leur avait posé des problèmes pendant la pandémie:

Les travailleurs avaient du mal à intégrer la règle de la capacité en places assises. Nous avons dû multiplier les réunions pour expliquer à nos membres l’intérêt d’appliquer cette mesure, qui visait à protéger leur santé et celle des passagers (secrétaire de la DARCOBOA, Dar es-Salaam, 24 juillet 2020).

La baisse du prix des carburants a permis de compenser en partie ce manque à gagner:

Le gouvernement a aussi annoncé une baisse des prix [des carburants] à la pompe, qui sont passés d’à peu près 1 800 shillings tanzaniens à 1 500 shillings tanzaniens le litre. Cela a permis de compenser la baisse du nombre de passagers, car nous n’étions autorisés à transporter que des passagers assis. Du coup, pendant cette période, on a pu travailler correctement et sereinement (travailleur des transports, Dar es-Salaam, 7 août 2020).

Certains travailleurs des transports ont été licenciés par des propriétaires de véhicules déçus de leur recette journalière, mais la grande majorité d’entre eux (81 pour cent) ont continué à travailler, contre 50 pour cent des petits commerçants et 33 pour cent des travailleurs de la construction. Comme au Kenya, ce sont ces derniers qui ont subi le plus de pertes d’emploi et qui ont eu le plus de mal à retrouver du travail en raison des mesures de restriction. En outre, il y a eu des effets d’entraînement entre les secteurs:

Les passagers étaient rares et cela a eu des conséquences pour d’autres activités, comme les mama lishe [marchandes de plats cuisinés] qui ont pour la plupart fermé, mais certains d’entre nous ont été réquisitionnés pour livrer de la nourriture à domicile aux personnes qui ne sortaient pas de chez elles par crainte du virus (travailleur des transports, Dar es-Salaam, 16 juillet 2020).

Fait intéressant, certains conducteurs de boda-boda (de même que certains petits commerçants) ont vu leurs revenus augmenter pendant la pandémie du fait de leur statut de travailleurs essentiels. Ils étaient en effet les seuls à pouvoir livrer de la nourriture à domicile (principalement à Dar es-Salaam) ou à offrir un moyen de transport fiable aux personnes qui étaient tenues de continuer à travailler comme le personnel hospitalier8. Néanmoins, parmi les opérateurs de dala-dala et les conducteurs de boda-boda qui ne sont pas propriétaires de leur véhicule, beaucoup se sont plaints d’avoir eu à verser la même recette journalière, ce qui les a conduits à s’endetter, comme le montrent les deux témoignages ci-dessous:

Oui, à présent l’activité a repris, même si la recette est encore faible mais, grâce à Dieu, nous avons de quoi manger. Mais nous devons de l’argent aux propriétaires des véhicules, parce que certains d’entre eux ont refusé de tenir compte du fait qu’on travaillait moins et de percevoir une recette journalière moins élevée. À la place, ils nous ont fait crédit, si bien qu’aujourd’hui on est nombreux à être endettés auprès de ces propriétaires cupides (travailleur des transports, Dar es-Salaam, 16 juillet 2020).

Oui, par exemple moi j’ai une moto en location-vente. On a demandé aux propriétaires de revoir à la baisse la recette qu’ils exigent de nous, mais ils ont refusé. Ils nous ont dit: si vous n’arrivez pas à nous verser l’intégralité de la recette, on inscrira le montant restant à votre débit et vous paierez votre dû lorsque les choses seront rentrées dans l’ordre. Cela fait qu’on s’est lourdement endettés ces derniers temps (travailleur des transports, Dar es-Salaam, 16 juillet 2020).

Malgré un «retour à la normale» plus rapide en Tanzanie, de nombreux travailleurs informels ont souffert pendant le confinement initial, certains ayant dû se passer de repas:

J’en ai bavé. [Je] suis veuve et mère de trois enfants. J’ai du mal à dire que je n’avais parfois pas de quoi nourrir ma famille. Je préfère oublier cette période (petite commerçante, Dar es-Salaam, 30 juillet 2020).

Qui plus est, les dettes contractées pendant le confinement ont eu des répercussions durables sur les individus:

Je me suis [tellement] endettée pendant la pandémie que je n’ai toujours pas fini de rembourser aujourd’hui (petite commerçante, Dar es-Salaam, 10 juillet 2020).

En résumé, au Kenya comme en Tanzanie, les petits commerçants et les travailleurs des transports ont pâti avant tout du manque de clients et donc d’une baisse de leurs recettes, et les travailleurs de la construction d’un manque d’accès à l’emploi. Dans les deux pays, une écrasante majorité des travailleurs ont indiqué avoir subi une baisse de revenus pendant la pandémie et éprouvé de ce fait des difficultés à se nourrir et à payer leur loyer et leurs factures ainsi que la cotisation à leur association. Cela montre que les travailleurs informels travaillent principalement pour assurer leur subsistance et qu’ils ne peuvent guère compter sur leur épargne ou des revenus de remplacement pour les aider à tenir en cas de crise.

Au Kenya comme en Tanzanie, la plupart des travailleurs informels ont toutefois continué à exercer pendant la pandémie, en dépit des mesures de restriction imposées, et certains se sont même adaptés aux circonstances en diversifiant leurs activités. Certains petits commerçants ont cessé de proposer leurs produits habituels pour se lancer dans la vente de citrons, de gingembre, de piment, d’ail, d’oignons, de curcuma, de menthe, d’eucalyptus et d’autres remèdes traditionnels à base de plantes que l’on pensait efficaces pour lutter contre les symptômes du COVID-19. D’autres se sont mis à confectionner des masques, moins coûteux que ceux produits en série − en Tanzanie, le président Magufuli avait d’ailleurs recommandé à la population de se procurer des masques fabriqués dans le pays (Kombe, 2021). L’augmentation de la demande de certains produits a créé de nouveaux débouchés pour certains petits commerçants, qui ont pu aussi fixer des prix plus élevés. Ces résultats confirment ceux de Kugler et al. (2023), qui constatent qu’au Kenya et dans plusieurs autres pays d’Afrique subsaharienne la proportion de personnes ayant arrêté de travailler pendant la pandémie est relativement faible, justement en raison de la part importante de travailleurs informels.

5.2. Aide apportée par les associations professionnelles informelles, avant et après le COVID-19

Les difficultés exposées dans la section précédente semblent concorder avec les raisons pour lesquelles les travailleurs ont sollicité leurs associations. Tous secteurs confondus, 30 pour cent des travailleurs kenyans et 34 pour cent des travailleurs tanzaniens disent avoir fait appel à leur association pendant la pandémie. En Tanzanie, cette proportion atteint 39 pour cent chez les travailleurs des transports, mais est inférieure à la moyenne chez les petits commerçants:

On sait bien que personne n’est à l’abri de cette pandémie, pas même nos dirigeants. Alors, plutôt que demander de l’aide, j’ai continué à travailler dur là où je pouvais pour subvenir aux besoins de ma famille. Il n’y avait pas de temps à perdre (petite commerçante, Dar es-Salaam, 8 juillet 2020).

Les petits commerçants n’ont parfois pas sollicité d’aide, parce qu’ils savaient que les associations n’étaient pas en mesure de leur accorder les prêts dont ils avaient besoin. La distanciation physique et les restrictions de déplacements − qui ont obligé les associations à limiter ou à annuler leurs réunions − sont une autre des raisons pour lesquelles les travailleurs n’ont pas contacté leurs organisations. Les associations auraient pu organiser des réunions en distanciel, mais la plupart d’entre elles ne l’ont pas fait, parce que leurs membres ne possédaient pas de Smartphone, n’avaient pas les moyens de payer un abonnement coûteux à Internet, n’étaient pas à l’aise avec les outils numériques (les plus âgés surtout), n’étaient pas intéressés ou étaient habitués aux réunions en face-à-face. L’absence de réunions a distendu les liens de solidarité. Les rares réunions qui se sont tenues en présentiel étaient réservées aux dirigeants, ce qui a laissé penser aux membres ordinaires qu’ils étaient tenus dans l’ignorance de certaines questions. Même si cela n’était peut-être pas l’intention, la crise covariante a révélé, et dans une certaine mesure renforcé, l’écart existant entre la protection sociale dont bénéficient les dirigeants et celle dont bénéficient les membres ordinaires.

Au Kenya, la proportion de travailleurs qui ont sollicité leur association est identique dans tous les secteurs. Un peu plus de la moitié l’ont fait (52 pour cent) pour demander un prêt ou retirer leurs économies (fonction de promotion de la protection sociale):

Pendant le confinement, ça a été franchement dur. Je voulais emprunter à la tontine pour la nourriture, le loyer et même pour mon commerce, mais les fonds ne suffisaient pas, il fallait attendre que les autres membres finissent de rembourser leur emprunt. J’avais trois mois d’arriérés de loyer et j’avais fait des achats alimentaires à crédit, alors cela ne m’a pas été d’une grande aide (petite commerçante, Nairobi, 16 juillet 2020).

D’autres se sont adressés à leur association pour des questions d’emploi (24 pour cent), des demandes de produits désinfectant et de masques (14 pour cent) ou pour se faire entendre et être représentés. En Tanzanie, la majorité des travailleurs (56 pour cent) ont contacté leurs associations à propos du COVID-19 lui-même (mesures de prévention), pour se procurer par exemple des produits désinfectants (c’est le cas notamment des travailleurs des transports). Venaient ensuite les demandes d’aide financière (17 pour cent), les questions liées à l’emploi (17 pour cent) et d’autres sujets (10 pour cent) tels que la formation. Les travailleurs ont ainsi demandé plus souvent des mesures de promotion et de prévention que de transformation.

Dans les deux pays, la plupart des travailleurs (81 pour cent au Kenya et 64 pour cent en Tanzanie) ont indiqué qu’ils avaient pu régler leurs problèmes grâce à leur association. Un petit commerçant de Nairobi témoigne ainsi:

Comme tout le monde est concerné, il n’y avait pas de temps à perdre. On avait peur d’être confinés pendant deux mois. On s’est dit que, plutôt que d’attendre qu’on nous aide, on allait se débrouiller avec ce qu’on avait. Chaque membre a donc reçu 20 000 shillings kenyans (petit commerçant, Nairobi, 16 juillet 2020).

Les travailleurs des transports tanzaniens (les plus susceptibles d’avoir sollicité leur organisation) ont dit dans l’ensemble la même chose, ce qui montre bien que les associations ont apporté une aide précieuse à leurs membres:

Grâce à nos associations, nous avons pu obtenir du désinfectant et des masques auprès du Medical Stores Department [MSD, l’agence nationale de distribution des produits de santé] à des prix avantageux (travailleur des transports, Dar es-Salaam, 22 juillet 2020).

Nos patrons ne veulent pas comprendre, malgré ce qui se passe, qu’on nous impose de transporter moins de passagers […], ils voudraient qu’on leur remette la recette journalière habituelle. Quand on ne peut pas, on est obligés de laisser le véhicule au dépôt et de partir. On est très reconnaissants à nos dirigeants, ceux du TADU [syndicat tanzanien des chauffeurs] par exemple, qui sont intervenus dans certains cas pour régler les conflits (travailleur des transports, Dar es-Salaam, 16 juillet 2020).

En Tanzanie, les travailleurs qui ont affirmé que leur association ne les avait pas aidés à surmonter leurs problèmes (36 pour cent) ont indiqué qu’ils les avaient résolus par eux-mêmes − par exemple en se procurant des produits désinfectants ou en s’informant sur les mesures de protection contre le COVID-19 auprès d’autres interlocuteurs −, ce qui montre que les associations ne disposent pas toutes des mêmes capacités et que le réseau de relations joue un rôle important:

Pendant la pandémie, non, je n’ai pas sollicité l’association, mais d’autres membres l’ont fait, alors nous les avons aidés. Une partie de l’aide est venue de l’association, mais il a fallu aussi qu’on y mette de notre poche […] pour secourir nos membres (travailleur de la construction, Dar es-Salaam, 10 juillet 2020).

Comme on l’observe dans le tableau ci-après, pendant la pandémie les travailleurs des deux pays se sont adressés à leur association pour les mêmes raisons que dans la période précédant le COVID-19, si l’on excepte la question des mesures sanitaires. Avant la pandémie, les principales préoccupations au Kenya étaient l’épargne, le crédit et l’investissement, l’emploi et le souhait d’être représenté et entendu. L’aide financière et les questions d’emploi étaient des sujets importants pour les travailleurs de tous les secteurs, et surtout pour ceux des transports et de la construction (qui ont évoqué les contrats, le non-paiement des salaires, la prévention et l’insécurité), tandis que la représentation et l’expression collective figuraient parmi les sujets importants pour les petits commerçants (qui ont cité le manque d’installations et de commodités, et le harcèlement policier parmi leurs problèmes majeurs). Les travailleurs des transports ont eux aussi dit s’être adressés à leurs associations pour des problèmes de harcèlement et de stigmatisation, ce qui montre l’importance de la fonction de transformation de la protection sociale. En Tanzanie, les trois principaux sujets avant la pandémie étaient l’épargne, le crédit et l’investissement, les projets de développement de l’association9 et la prévoyance (voir tableau). Comme au Kenya, il y a eu quelques variations entre les secteurs. Il ressort des entretiens que les petits commerçants ont également sollicité les associations pour négocier avec les autorités, tandis que les travailleurs des transports ont attiré leur attention sur des cas répétés de harcèlement policier, notamment les pots-de-vin réclamés par les agents, ainsi que sur les conflits entre conducteurs et propriétaires de motos-taxis découlant d’une rupture de contrat. Ces résultats indiquent là aussi l’importance de la dimension de transformation de la protection sociale.

Raisons de solliciter les associations professionnelles informelles avant la pandémie de COVID-19

Kenya Construction Commerce Transports Tanzanie Construction Commerce Transports
Épargne, crédit et investissement 37 10 17 10 11 3 4 4
Emploi 18 6 1 11 3 2 1
Formation/leadership/renforcement des capacités 4 2 2 3 2 1
Expression et représentation collectives 8 2 3 3 2 1 1
Prévoyance(maladie, décès) 4 1 2 1 9 3 2 4
Développementde l’association 12 2 5 5
Nombre d’observations 71 21 23 27 40 10 14 16
  • Note: En Tanzanie, seuls 40 des 65 travailleurs interviewés s’étaient adressés à leur association pour un problème spécifique, alors qu’au Kenya c’était le cas des 71 travailleurs interviewés.

    Source: Compilation des auteurs.

En ce qui concerne l’épargne, le crédit et l’investissement (fonction de promotion de la protection sociale), la pandémie de COVID-19, en venant ajouter un choc covariant à des crises idiosyncratiques, a mis en évidence les déficits d’adaptation de la protection sociale et les a dans l’ensemble accentués. Cela a accru la vulnérabilité des travailleurs informels, qui, faute de pouvoir compter sur un revenu de remplacement ou sur leur épargne, se sont lourdement endettés. Par rapport à la période précédant la pandémie, la proportion de travailleurs disant avoir obtenu un prêt de leur association a considérablement chuté − de 30 pour cent en Tanzanie et de 50 pour cent au Kenya − pour s’établir à environ 25 pour cent dans les deux pays, ce qui montre bien que la pandémie a asséché les ressources des associations. Au Kenya, si la plupart des répondants (78 pour cent) indiquaient avant la pandémie avoir bénéficié d’un prêt de leur association, ils n’étaient plus qu’un quart à en dire autant dans la période post-COVID. En Tanzanie, cette proportion était respectivement de 62 pour cent avant la pandémie et de 26 pour cent après10. La ventilation par secteur montre que, au Kenya, les principaux bénéficiaires de prêts ont été les travailleurs des transports, suivis des travailleurs de la construction et des petits commerçants, tandis qu’en Tanzanie ce sont les petits commerçants qui ont obtenu le plus de prêts et les travailleurs de la construction le moins. Ce résultat s’explique par le fait que les commerçants ont voulu se fournir en produits et marchandises très recherchés, car le changement des préférences de consommation évoqué plus haut leur offrait de nouveaux débouchés. Si les travailleurs de la construction ont obtenu moins de prêts, c’est entre autres parce qu’ils demandaient des montants relativement élevés qui dépassaient les capacités financières des associations. Sans compter qu’en Tanzanie les associations de travailleurs de la construction sont dans l’ensemble fragiles et mal financées (Riisgaard, Mitullah et Torm, 2022). Ainsi, bien que l’assistance financière soit considérée comme la plus importante des modalités d’aide apportée par les associations avant et après le COVID, l’octroi de prêts a considérablement varié selon les secteurs et les pays au fil du temps.

Pour ce qui est de la représentation et de l’expression collectives (fonction de transformation de la protection sociale), plus de la moitié (58 pour cent) des travailleurs interviewés au Kenya indiquaient qu’avant le COVID leur association se chargeait des questions de harcèlement policier et des relations avec les employeurs. Après le COVID, toutefois, ils n’étaient plus que 39 pour cent à en dire autant. Cette forme de soutien associatif a diminué pour les petits commerçants en particulier. Une poignée seulement de répondants ont indiqué que leurs associations avaient réorienté leurs activités de plaidoyer vers des questions liées au COVID. En Tanzanie, où les associations, qui sont, au dire des travailleurs, moins investies dans les activités de représentation et d’expression collectives, cette implication est généralement restée la même après le COVID − en moyenne, quelque 30 pour cent des associations ont maintenu des activités de plaidoyer. Signalons toutefois que les associations du secteur des transports ont intensifié leurs activités de représentation − 42 pour cent des répondants en faisaient état après la pandémie, contre 33 pour cent avant, signe qu’elles se sont mobilisées contre la limitation du nombre de passagers à bord imposée par le gouvernement. De façon générale, dans les deux pays et les trois secteurs, le COVID-19 a eu pour effet de détourner les associations des mesures de transformation au profit de mesures de promotion et surtout de prévention, preuve qu’une crise covariante fait passer au premier plan les questions les plus urgentes au détriment des préoccupations stratégiques de long terme.

5.3. Associations professionnelles informelles: mécanismes d’adaptation et de protection

Pendant la pandémie, les associations de travailleurs informels ont assumé un nouveau rôle de relais des consignes sanitaires officielles, mais n’ont pas pu continuer à assurer tous les services qu’elles proposaient jusque-là, comme en témoignent quelque 52 pour cent des répondants en Tanzanie et 41 pour cent au Kenya. Nous passons en revue à la suite les principaux mécanismes d’adaptation et de protection qu’ont mobilisés les associations.

5.3.1. Paiement des cotisations

Comme nous l’avons vu plus haut, les travailleurs ont subi dans les deux pays une perte de revenus qui a mis à mal leurs moyens de subsistance, si bien qu’ils n’ont pas pu s’acquitter de leur cotisation ou qu’ils n’en ont versé qu’une partie. Au Kenya, par exemple, 60 pour cent des travailleurs estimaient que cela avait représenté un véritable casse-tête pour les associations de travailleurs, ce qui témoigne une fois de plus de l’imbrication des crises. La majorité des associations (75 pour cent) ont adapté leurs modalités de cotisation pour permettre à leurs membres de suspendre ou de réduire leurs versements, et ont cessé d’appliquer des intérêts ou des pénalités de retard. La plupart des associations ont pu ainsi éviter les désaffiliations, ce qui aurait encore fragilisé leur assise financière (et leur pouvoir associatif).

D’après ce qui ressort des entretiens, certaines associations n’ont pas introduit de changements. C’est le cas surtout dans les transports, même si beaucoup d’employeurs du secteur avaient revu à la baisse le montant de la recette journalière demandée aux travailleurs. Cela tient sans doute à la nature même des associations de travailleurs des transports. Au Kenya, il s’agit de coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC) qui s’apparentent davantage à des employeurs et privilégient généralement les intérêts des propriétaires de véhicules au détriment de ceux des travailleurs, ce qui entraîne souvent des tensions entre les COOPEC et les travailleurs11. Les associations qui n’ont pas revu leurs modalités de cotisation ont perdu des membres, comme l’illustre le cas d’une association du secteur de la construction:

Au début, nous étions trente-deux membres mais nous ne sommes plus que seize aujourd’hui. Le COVID-19 en a poussé certains à quitter Nairobi, et d’autres n’avaient plus les moyens de verser leur cotisation, alors ils ont quitté le groupe. Parmi les membres qui sont partis, douze étaient des femmes et il ne nous en reste plus qu’une. Il y en a huit qui ont quitté Nairobi, une qui a déménagé et deux qui ont abandonné à cause des cotisations (travailleur de la construction, Nairobi, 19 juillet 2020).

En Tanzanie, près de la moitié des associations, dans les secteurs du commerce et des transports notamment, ont cessé de prélever des cotisations ou ont assoupli les conditions de versement, en autorisant par exemple des retards de paiement, tandis que d’autres, dans le secteur de la construction surtout, se sont mises en sommeil:

On n’a plus de réunions et on ne peut plus poursuivre nos activités, nos caisses sont vides puisque personne ne cotise (dirigeant d’une association de travailleurs de la construction, Dar es-Salaam, 19 juillet 2020).

5.3.2. Diminution du montant des prêts et des aides

Comme nous l’avons vu dans la partie 5.2, au Kenya comme en Tanzanie, la stratégie d’adaptation des associations a consisté le plus souvent à cesser d’octroyer des prêts ou à en réduire le montant, et ce dans tous les secteurs:

Ils ne m’ont accordé que la moitié de la somme parce qu’ils m’ont dit que je ne serais pas le seul à les solliciter pour ce problème (travailleur de la construction, Nairobi, 18 juillet 2020).

Même quand on demande un prêt, on n’obtient jamais le montant demandé (travailleur des transports, Nairobi, 18 juillet 2020).

Certaines associations autorisaient uniquement leurs membres à retirer leur épargne sans leur proposer de prêt, tandis que d’autres, dans le secteur du commerce notamment, ont préféré accorder une somme forfaitaire à tous leurs membres, comme a pu le constater une commerçante membre de deux groupes d’entraide:

Les membres d’United Kambi Moto ont tous reçu 10 000 shillings kenyans et ceux de Vision Sisters 4 000 (petite commerçante, Nairobi, 15 juillet 2020).

Comme l’indiquent ces témoignages, plusieurs associations ont accordé des prêts à leurs membres mais, en raison de leurs ressources limitées, elles n’ont pas été en mesure d’octroyer la totalité des montants demandés. Certaines d’entre elles ont donc préféré faire un versement unique à leurs membres, d’autres ont réduit le montant des prêts et d’autres encore ont suspendu les crédits tout en accordant une aide en cas de décès (frais d’obsèques et aide aux personnes à charge survivantes) ou d’hospitalisation. Comme leurs adhérents ne payaient plus leurs cotisations, la plupart des associations ont dû interrompre leur soutien financier aux travailleurs pour éviter la faillite. Au Kenya, les associations ne se sont pas effondrées dans l’ensemble, mais ont fait face à la crise en mettant en place des mécanismes d’adaptation certes limités, mais qui ont permis d’alléger le fardeau pesant sur leurs membres. Les associations de travailleurs de la construction, qui ont été les plus durement touchées, ont souvent préféré suspendre l’octroi de prêts pour pouvoir continuer à fournir une aide à leurs membres. Comme l’observent Riisgaard, Mitullah et Torm (2022), ces associations étaient déjà relativement fragiles avant le COVID-19, ce qui explique qu’elles aient été moins résilientes lorsqu’il s’est agi d’accorder des prêts pendant la pandémie. Cela montre une fois de plus que la crise n’a fait qu’aggraver des problèmes existants.

En Tanzanie aussi, les associations ont été submergées par les demandes de prêts et n’ont pas été en mesure de verser l’intégralité des montants demandés:

Pour nous, petits commerçants, les prêts sont indispensables à la bonne marche de nos affaires. C’est pourquoi, même pendant la pandémie, nous avons continué à accorder des prêts, même si nous avons dû en réduire le montant, parce que beaucoup de membres venaient en demander (dirigeante d’une association de petits commerçants, Dar es-Salaam, 30 juillet 2020).

On observe aussi que les demandes de crédit n’étaient plus motivées pour les mêmes raisons:

Oui, beaucoup de gens se sont mis à demander des prêts pour acheter des produits de première nécessité […], pour payer le loyer, pour avoir de quoi manger. Avant, ils en demandaient pour acheter un boda-boda ou une licence (travailleur des transports, Dar es-Salaam, 7 août 2020).

Les prêts ont principalement servi à payer le loyer et les achats alimentaires. Dans certains cas, notamment dans le secteur des transports, les associations ont accordé des prêts en nature:

Nous avons dû dire non à certaines demandes d’aide, sans quoi l’association aurait fait faillite. Nous avons donc cherché à obtenir des dons de nourriture et nous avons distribué des produits alimentaires au lieu d’accorder des prêts (dirigeant d’une association de travailleurs des transport, Dar es-Salaam, 22 juillet 2020).

En distribuant des denrées alimentaires telles que du maïs, de la farine et du sucre, les associations ont fait en sorte que les travailleurs n’utilisent pas l’aide allouée pour acheter de l’alcool, par exemple. Dans les secteurs du commerce et des transports, les associations ont réduit leurs services d’aide sociale pour faire face à l’augmentation du nombre de demandes de prêts (destinés essentiellement à l’achat de vivres ou au paiement du loyer), tandis que, dans le secteur de la construction, elles ont donné la priorité à l’aide au financement des frais d’obsèques (et à d’autres services), mais ont suspendu toutes leurs autres activités:

Tout est en stand-by pour le moment mais, pour des questions comme les obsèques, on nous verse la moitié de ce qu’on nous versait d’habitude. On est obligé de puiser dans notre cagnotte puisque les membres ne versent plus de cotisations (travailleur de la construction, Dar es-Salaam, 10 juillet 2020).

Mais, à cause de cette pandémie, nous avons dû arrêter des activités habituelles comme […] l’investissement, parce qu’il a fallu qu’on utilise l’épargne de l’association pour parer aux urgences, et à présent nous reprenons tout de zéro (dirigeant d’une association de travailleurs des transports, Dar es-Salaam, 2 juillet 2020).

On n’a plus de réunions, il n’y a pas de cotisations qui entrent dans les caisses, la plupart des membres sont sans emploi et le groupe est au point mort (dirigeant d’une association de travailleurs de la construction, Dar es-Salaam, 24 juillet 2020).

Comme nous l’avons indiqué précédemment, la baisse du nombre de prêts consentis dans le secteur de la construction s’explique notamment par le fait que les travailleurs sollicitaient généralement des montants élevés, pour l’achat d’équipements par exemple, que les associations n’avaient pas les moyens de leur accorder. De façon générale, les crédits octroyés pendant la pandémie n’étaient pas spécifiquement destinés à l’investissement et portaient souvent sur des montants plus modestes.

5.3.3. Stratégies d’adaptation en matière de santé

Au Kenya, 41 pour cent des travailleurs ont indiqué que leur association avait diffusé des informations sur les mesures sanitaires à prendre pendant le COVID-19 (lavage des mains avec du savon, distanciation physique et port du masque) et 35 pour cent qu’elle leur avait dispensé une formation sur les questions de sécurité et de santé ou leur avait facilité l’accès à une telle formation. D’après les témoignages recueillis, ce sont les associations de la construction et des transports qui ont le plus souvent fourni ces services liés à la santé:

Effectivement, sur notre chantier, nous disposons de désinfectant, d’eau et de savon. Nous avons également acheté des masques (travailleur de la construction, Nairobi, 19 juillet 2020).

Au Kenya, les associations ont pris d’elles-mêmes l’initiative de fournir à leurs membres une assistance en matière de santé. En Tanzanie, en revanche, elles n’ont souvent fait que relayer les recommandations des pouvoirs publics. Dès le début de la pandémie, le gouvernement a mis en place une équipe composée de dirigeants d’associations aux niveaux national et local, de praticiens de la santé et de travailleurs sociaux afin d’informer et d’orienter la population. Il a imposé aux opérateurs de minibus de ne transporter que des passagers assis, aux gares routières de mettre à disposition des usagers de l’eau, du savon et du désinfectant, et aux passagers de porter un masque. Les associations ont appliqué les consignes, veillé à ce que leurs membres disposent des équipements nécessaires et suivi l’évolution de la situation. L’interdiction des grands rassemblements empêchant la tenue des réunions, certaines associations ont utilisé les réseaux sociaux pour informer leurs membres sur les mesures et les protocoles sanitaires. D’autres, dans le secteur des transports surtout, ont continué malgré tout à organiser des réunions et en ont même augmenté la fréquence:

Au départ, on les contactait une fois par mois mais, avec cette catastrophe, on a décidé de le faire une fois par semaine pour donner des instructions aux gens qui travaillent dans la gare routière et les inciter à ne pas changer d’itinéraire (dirigeant d’une association d’opérateurs de dala-dala, Dar es-Salaam, 2 juillet 2020).

Certains responsables d’association ont également formé les travailleurs aux questions de sécurité et de santé lors de petites réunions informelles organisées, par exemple, sur des parkings. Par ailleurs, les associations ont souvent trouvé des solutions pour que leurs membres soient moins pénalisés financièrement par les mesures de restrictions imposées par le gouvernement. Les propriétaires de minibus ont ainsi parfois choisi de laisser leur véhicule au dépôt plutôt que de l’exploiter à perte. Quant aux conducteurs de boda-boda qui louent la moto à la journée, ils ont obtenu de ne verser qu’une partie des frais de location pendant la pandémie et se sont entendus sur un échéancier avec le propriétaire de la moto pour finir de payer leur dû après la pandémie.

Dans l’ensemble, au Kenya comme en Tanzanie, les associations ont largement contribué à sensibiliser les travailleurs informels à la prévention et à leur faciliter l’accès à des fournitures et des équipements abordables tels que des masques, des seaux, de l’eau, du savon et des produits désinfectants. Dans le secteur des transports, les associations ont beaucoup contribué à désamorcer les tensions et les menaces de grève résultant de la perte de revenus. Certaines associations ont également embauché à temps partiel des travailleurs qui avaient perdu leur emploi, et ont multiplié leurs actions de plaidoyer auprès des autorités, de l’administration et de la société civile, notamment. La pandémie a donc donné parfois l’occasion aux associations de faire la preuve de leur utilité en apportant des solutions à des problèmes préexistants, comme la promotion et la protection de la santé en général et la diversification des revenus.

6. Conclusions

Nous avons analysé dans cet article les multiples difficultés qu’ont rencontrées les travailleurs informels pendant la pandémie de COVID-19, ainsi que les mécanismes d’adaptation qu’ont mis en place les associations pour protéger leurs membres. Au Kenya comme en Tanzanie, les travailleurs informels n’ont généralement pas eu d’autre choix que de continuer à travailler pendant le confinement, et c’est en grande partie grâce à eux que l’économie a continué à tourner pendant cette période difficile. Paradoxalement, toutefois, du fait de leur pouvoir limité et de leur hétérogénéité, les travailleurs informels n’ont guère été entendus dans les débats sur les coûts économiques et sociaux du COVID-19.

Le confinement, imposé avec plus ou moins de rigueur au Kenya et en Tanzanie, a perturbé le quotidien des travailleurs formels et informels ainsi que les activités des associations professionnelles informelles, qui ont pâti de la perte de revenus subie par la plupart de leurs adhérents. Beaucoup d’associations avaient jusque-là pu prémunir leurs membres contre les chocs idiosyncratiques, notamment en couvrant les coûts induits par la maladie, un décès, la scolarisation des enfants, un mariage ou le chômage. Pendant la pandémie, toutefois, elles ont cessé de prélever des cotisations, si bien qu’elles n’avaient plus les moyens d’assurer le volet prévention de la protection sociale. Certaines d’entre elles ont néanmoins continué à proposer des mesures de promotion en offrant par exemple à leurs membres un soutien financier, souvent sous la forme de prêts sans intérêt. Ce soutien, bien qu’insuffisant, montre que les associations ont su se montrer innovantes en réponse à la crise. Ainsi, malgré leurs limites, elles ont contribué de manière décisive à compléter l’aide d’urgence des pouvoirs publics, en octroyant les ressources nécessaires et en soutenant les membres vulnérables qui avaient perdu leur emploi pendant la pandémie. Cependant, comme la plupart des associations informelles épargnent tout au long de l’année et se partagent les dividendes (épargne plus bénéfices) à la fin de l’année, elles n’ont pas de coussin de sécurité dans lequel puiser en cas de crise inattendue comme la pandémie de COVID-19. De fait, les prêts sans intérêt constituent une solution temporaire, mais ne sont pas forcément adaptés en cas de crise durable. Si les associations devaient tirer une leçon de cette période ce serait donc de mettre de côté une partie de leur épargne pour éviter de repartir de zéro chaque année. Une solution consisterait à ce qu’elles prennent le statut de coopératives d’investissement. Par ailleurs, nous montrons dans cet article que les associations n’ont pas saisi l’occasion de la pandémie pour exploiter la dimension de transformation de la protection sociale (expression et représentation collectives), sauf dans le secteur des transports (et notamment chez les opérateurs de dala-dala en Tanzanie), puisqu’elles n’ont pas plaidé la cause de leurs membres auprès des responsables politiques pendant la crise du COVID-19. Dans l’ensemble, même si certaines structures de soutien informelles ont fait la preuve de leur utilité en adoptant des stratégies d’adaptation spécifiques à la crise du COVID-19, notre étude confirme l’hypothèse selon laquelle la protection sociale informelle est moins efficace pour faire face à des chocs covariants qu’en cas de risques idiosyncratiques, bien que des variations existent entre pays et entre secteurs.

Les données sectorielles indiquent que, dans les deux pays, les associations de travailleurs de la construction ont été plus durement touchées que celle de petits commerçants et de travailleurs des transports. Cette plus grande résilience des associations des transports tient au fait qu’elles sont en général plus structurées et réglementées que celles du secteur de la construction. En outre, en Tanzanie, les associations du secteur des transports ont réussi à écarter la menace de grèves et ont défendu les intérêts de leurs membres en négociant un accord collectif avec le gouvernement. Le secteur des transports a fortement pâti de la limitation du nombre de passagers à bord. De ce fait, la plupart des travailleurs ont vu leur revenu diminuer ou ont perdu leur emploi, ce qui n’a pas empêché leurs associations de poursuivre leurs activités malgré la baisse de leurs recettes (provenant des cotisations et des droits d’adhésion) et le départ de membres.

Confrontées à un manque ou à une insuffisance de ressources en raison du faible montant des cotisations encaissées, les associations ont dans l’ensemble été restreintes dans leur capacité à octroyer des crédits à leurs membres pendant la pandémie. Dans les deux pays, elles ont été submergées par les demandes de prêt, si bien qu’elles ont accordé des crédits moins nombreux et de plus faible montant. En Tanzanie, l’octroi de crédits a diminué, notamment dans le secteur de la construction, tandis que la fourniture de services sociaux a augmenté, preuve que les associations ont revu leurs priorités pour répondre aux besoins urgents. Les travailleurs des transports tanzaniens ont particulièrement souffert de la limitation de la capacité en places assises mais, dans l’ensemble, les opérateurs de dala-dala ont continué à travailler normalement, si ce n’est qu’ils étaient tenus de faire respecter les mesures sanitaires aux passagers (port du masque et désinfection des mains). En outre, des mesures spécifiques, telles que l’autorisation de l’accès des boda-boda au centre-ville et la baisse de la TVA sur l’essence, ont atténué l’impact des restrictions pour les travailleurs informels des transports. En Tanzanie, beaucoup d’associations de travailleurs des transports ont proposé de nouveaux services comme la formation aux mesures de prévention et l’achat de matériel de protection sanitaire à des prix abordables (désinfectant et autres). Fait important, les associations qui ont innové sont celles qui ont le mieux résisté à la crise. En assouplissant leurs règles et en diminuant le montant des cotisations et des pénalités de retard, en réaffectant leurs ressources ou en réorientant leurs activités, elles ont pu venir en aide rapidement aux travailleurs informels faisant face à des difficultés pendant la pandémie. En revanche, les systèmes nationaux de protection sociale tels que le NHIF étant régis par des règles strictes, ils n’ont pas pu accorder des dispenses de cotisations (ou de pénalités) aux travailleurs affiliés, comme l’auraient souhaité beaucoup d’entre eux. Les régimes de protection sociale formelle ont donc de précieux enseignements à tirer de l’expérience des associations, qui savent adapter leurs règles et leurs procédures afin de protéger leurs membres en cas de crise.

Même si la plupart des associations étudiées ne se sont pas effondrées, du moins pendant la phase initiale de la pandémie, elles ont démontré une capacité limitée à venir en aide à leurs membres lors d’un choc covariant. Cela laisse penser qu’une approche combinant des mécanismes de protection sociale formels et informels est nécessaire pour permettre aux associations de faire face à l’adversité et d’alléger leur fardeau. Une solution serait de créer un registre social des travailleurs informels afin que les autorités puissent apporter un soutien ciblé à ces derniers, ainsi qu’à leurs associations. Cela dit, au Kenya, beaucoup d’associations professionnelles informelles sont immatriculées auprès du Département des services sociaux, si bien que la non-inscription dans le registre social n’explique pas forcément l’insuffisance de la protection. De plus, les travailleurs informels ne sont pas répertoriés dans le registre social kenyan, si ce n’est dans une allusion implicite à la collecte de données sur les bénéficiaires potentiels (Maintains, 2021). Il conviendrait dès lors d’inclure plus explicitement les travailleurs informels et leurs associations comme une catégorie à part entière dans un registre social amélioré. Cela devrait permettre de résoudre les difficultés que rencontrent les associations pour répondre efficacement aux urgences de leurs membres, notamment en cas de crise. Il convient toutefois de ne pas négliger les problèmes que posent les registres − et notamment le risque que les données sociales numérisées soient exploitées à des fins clientélistes (Khan et Roy, 2019). La question de l’enregistrement des travailleurs informels a également été abordée en Tanzanie, où de petits projets pilotes ont été lancés en vue de répertorier les petits commerçants, de manière qu’ils puissent être facilement contactés et inclus dans les stratégies nationales de réponse en cas de crise d’une ampleur similaire à celle du COVID-19.

Néanmoins, malgré toute la bonne volonté des pouvoirs publics, force est de reconnaître que les associations informelles auront toujours un rôle à jouer: les programmes de protection sociale formelle ne peuvent pas répondre aux besoins de l’ensemble de la population, et des travailleurs informels en particulier, en raison des ressources limitées dont disposent les États. Il est donc nécessaire de renforcer la résilience des mécanismes de soutien informels, puisque les associations restent les principaux amortisseurs des chocs idiosyncratiques. En cohérence avec la littérature (Oware, 2020; Oduro, 2010), nous estimons nécessaire que la protection sociale formelle complète et renforce les aspects positifs des mécanismes de soutien informels au lieu de les affaiblir. Les représentants des associations ne doivent pas se borner à inciter les travailleurs informels à adhérer à l’assurance sociale formelle. Ils doivent aussi être associés (et pas seulement ponctuellement) à la conception des régimes d’assurance et aux instances chargées d’élaborer les politiques visant les travailleurs informels, afin de faire en sorte que les besoins de ces derniers soient bien pris en compte. Les décideurs auraient intérêt à exploiter le potentiel des associations en s’associant avec elles pour concevoir des programmes de protection sociale qui répondent aux besoins des organisations professionnelles et des travailleurs en cas de choc covariant.

Au-delà des implications pour l’action des pouvoirs publics à plus long terme, une stratégie plus immédiate et à plus court terme pour faire face aux prochaines crises d’ampleur nationale consisterait à étendre les transferts en espèces ciblés afin de protéger les travailleurs informels et de permettre à leurs associations de faire face à l’adversité. Au Kenya, les transferts en espèces d’urgence octroyés pendant la pandémie ont atteint principalement des personnes qui bénéficiaient déjà d’autres programmes de prestations (les habitants des bidonvilles par exemple), et aucun mécanisme n’a été mis en place pour les nombreux autres travailleurs qui avaient besoin de soutien. En Tanzanie, le programme de transferts du fonds d’action sociale (Tanzania Social Action Fund) cible les ménages en situation d’extrême pauvreté, or les travailleurs informels ne sont pas dans ce cas et aucun programme de transferts ne couvre les personnes qui ne sont pas suffisamment pauvres pour bénéficier de l’aide sociale et qui constituent ce que l’on appelle le «chaînon manquant de la protection sociale» (Guven, Jain et Joubert, 2021)12. La mise en place de programmes de transferts inconditionnels en espèces lors d’une crise covariante pourrait donc permettre d’atteindre les personnes les plus vulnérables de l’économie informelle urbaine.

Notes

  1. Voir Riisgaard, Mitullah et Torm (2022) pour de plus amples informations sur les secteurs sélectionnés.
  2. Pour plus de précisions, voir https://ruc.dk/en/forskningsprojekt/informal-worker-organisation-and-social-protection.
  3. Voir l’annexe supplémentaire en ligne A (en anglais) pour plus de précisions sur le processus de collecte des données.
  4. L’échantillon n’est pas représentatif de la proportion d’hommes et de femmes dans l’économie informelle, puisque tant au Kenya qu’en Tanzanie la plupart des travailleurs informels sont des femmes (OIT, 2019). Les secteurs de la construction et des transports sont toutefois à dominante masculine dans les deux pays.
  5. Nous n’abordons pas ici ce que Devereux et Sabates-Wheeler (2004) appellent les mesures de protection telles que les programmes d’aide sociale ciblés sur les plus pauvres, car elles ne font généralement pas partie du soutien offert par les associations professionnelles informelles.
  6. Dans l’ensemble, tant au Kenya qu’en Tanzanie, environ 85 pour cent des petits commerçants et des travailleurs des transports sont restés en activité pendant la pandémie.
  7. Les dala-dala étaient tenus de limiter le nombre de passagers à la capacité en places assises du véhicule et ne pouvaient pas transporter de personnes debout. Cette mesure avait été prise pour freiner la propagation du COVID-19, conformément aux directives du ministère de la Santé.
  8. En outre, pendant la pandémie, les motos-taxis ont été autorisés à entrer dans le centre-ville pour prendre et déposer des clients. L’accès au centre leur était jusque-là interdit, à cause de la recrudescence d’infractions et de vols à l’arraché imputés à des conducteurs de boda-boda.
  9. Cette rubrique englobe des questions telles que l’achat de terrains par l’association, les prêts consentis aux chauffeurs de minibus urbains et aux conducteurs de motos-taxis pour qu’ils acquièrent leur propre véhicule, ainsi que les questions liées à l’immatriculation de l’association.
  10. Parmi les services fournis par les associations au Kenya figurent, outre les prêts, des aides pour financer les frais d’obsèques (90 pour cent), de mariage (49 pour cent), de santé (76 pour cent), de chômage (53,5 pour cent), d’assurance-maladie formelle (41 pour cent) et de scolarité (32 pour cent).
  11. Depuis 2012, les opérateurs de matatu au Kenya ont l’obligation légale d’adhérer à des COOPEC, qui sont agréées par la direction des coopératives et ont pour mission de gérer la flotte de véhicules immatriculés à leur nom et d’obtenir pour leurs travailleurs une autorisation d’exercer délivrée par l’autorité nationale des transports et de la sécurité.
  12. À propos de la pandémie de COVID-19 en Afrique, voir aussi Bodewig et al. (2020).

Remerciements

Les auteurs remercient la Danish International Development Agency (DANIDA) pour son soutien financier. Ils adressent aussi leurs remerciements à toutes les personnes qui ont eu l’amabilité de leur consacrer du temps et de les faire bénéficier de leurs expériences et de leurs connaissances.

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